Deux héros dans la nuit: Colette Lafrance et ses sauveteurs
Le 23 janvier, alors que la Résidence du Havre se transforme en véritable enfer, Colette Lafrance, lutte pour sa vie. Elle saute d’un étage et atterrit sur le toit d’une terrasse. Elle aperçoit des faisceaux lumineux, deux ombres se détachent dans la noirceur et la fumée. Pascal-Éric D’Amours et Simon Dufour de la Sûreté du Québec l’ont trouvé, ils viennent la sauver. Près de cinq ans et demi plus tard, c’est elle qui les retrouve, ses deux sauveteurs, ses deux héros.
L’émotion était palpable lundi dernier dans l’appartement de Mme Lafrance à L’Isle-Verte. Baignée par une lumière douce qui fait contraste avec cette nuit tragique, la dame de 86 ans a enfin pu rencontrer ceux à qui elle doit la vie. Pour les deux agents, il était hors de question de manquer ce rendez-vous.
Assise entre les deux policiers, Colette Lafrance rayonne. Il se dégage d’elle une force et une grande vivacité. S’essuyant les yeux d’un mouchoir, elle raconte d’une voix assurée ce qu’elle a vécu.
Son sauvetage, la fumée, les étincelles, puis l’autobus dans lequel elle tentera de se réchauffer alors qu’elle aperçoit pour la première fois, médusée, l’intensité du brasier.
«Quand j’ai vu où j’étais, les balcons tombaient. Tout ça descendait. Quand j’ai vu ça. Je me suis renfrognée. Je me suis dit «ici, il faut toffer», il n’y a plus de vivant là-dedans», laisse-t-elle tomber.
Transportée au Centre hospitalier de Trois-Pistoles avant d’être transférée à Rimouski, puis relocalisée à la Villa des Basques, Mme Lafrance n’a d’autre souhait que de revenir chez elle, à L’Isle-Verte et de retrouver les deux braves policiers.
«Mes larmes, disons, je les ai passées là-bas. On dirait que c’est mieux à l’étranger. Dans ces cas-là, il faut peut-être sortir du milieu. Mais je voulais revenir, L’Isle-Verte, c’est chez moi», raconte l’une des trois dernières survivantes du Havre.
RECHERCHE
Avec détermination et la moitié d’un prénom, «Pascal», entendu dans la cacophonie de la nuit, Mme Lafrance amorce ses recherches. C’est avec des découpures d’articles d’Info Dimanche qu’elle aborde le sergent Dave Ouellet qui a tôt fait de reconnaitre Pascal-Éric D’Amours. Il ne reste plus qu’à identifier Simon Dufour.
C’est finalement le lundi 3 juin à 13 h 30 que les deux policiers en congé se présentent à la porte de Colette Lafrance. «C’est de mettre un visage vivant sur cette nuit-là», lance Simon Dufour. Un visage qui s’avèrera un véritable baume au cœur pour les deux hommes.
«Ça a été une nuit d’enfer, encore aujourd’hui c’est difficile. Les émotions ne sont jamais loin. Nous étions 10 policiers ce soir-là, nous le portons tous», laisse tomber Pascal-Éric D’Amours.
Aujourd’hui, Colette Lafrance ne ressent aucune colère envers le destin, mais plutôt une profonde reconnaissance envers «ses deux sauveteurs» et la vie qui se poursuit. Pour Simon, la culpabilité de ne pas avoir pu sauver plus de résidents l’habite toujours. «On essaie de focaliser sur le positif.»
BLESSURES DE L'ÂME
Les plaies sont toujours vives. «Vous êtes des héros. On a tous été marqués au fer rouge, c’est dans notre cœur. On n’y peut rien. Mais on doit se souvenir de vous, c’est vous autres qui nous avez sauvés, qui m’avez ramassée. Vous êtes tellement de bonnes personnes», lui répond Mme Lafrance.
Loin de chez eux, ils sont revenus près du Havre, écouter Colette Lafrance, son histoire, leur histoire. Trois destins, à jamais liés. Elle est la première qu’ils ont sauvée. Lundi, ils ont écouté, ils se sont ouverts à elle aussi. Les yeux parfois rougis par l’émotion, ils ont parlé, un peu. Ils se sont confiés à elle. Colette Lafrance a écouté. Elle a posé un regard bienveillant sur eux. Elle sait. Ces trois-là sont unis à jamais, ce sont des survivants.
Ces deux hommes, comme d’autres policiers, pompiers, paramédics, simples citoyens, ont vécu l’enfer cette nuit du 23 janvier. Ils l’ont traversé pour lui arracher quelques vies. Des héros portant aujourd’hui encore le fardeau d’en avoir trop vu. Et malgré tout, Pascal-Éric D’Amours et Simon Dufour sont là, pour protéger et servir. Lundi, ils rencontraient Colette Lafrance qui tenait tant à leur dire... merci.
Une dame toute menue qui au beau milieu du brasier a confronté sa peur, qui s’est battue pour rester en vie. En se laissant tomber de son balcon, puis en faisant confiance à ses deux sauveteurs qui l'ont ensuite attrapée, ce petit brin de femme au courage immense a tenu la main de ses deux héros en s'accrochant à la vie. Cinq ans et demi plus tard, elle reprenait ces mêmes mains, meurtries, pour leur retirer un peu de ce lourd fardeau.
Parce qu’après la nuit d’horreur, après les cris... Il reste la vie.
Photo : François Drouin
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