Les mille et une couleurs de Papa Noël
«Si je mourais demain, je veux que tout le monde le sache, je mourrai heureux. J’ai tout ce dont j’ai besoin et je suis fier de l’homme que je suis.» Papa Noël Sow a surmonté plusieurs obstacles avant d’ouvrir sa propre boutique africaine sur la rue Lafontaine. Des rues du Mali à entrepreneur à Rivière-du-Loup, cet homme inspirant a été marquant pour plusieurs personnes qu’il a côtoyées au fil des ans.
Papa Noël a passé une grande partie de sa vie à voyager d’un pays à l’autre en Afrique, toujours à la recherche d’une nouvelle aventure à affronter. Pendant plusieurs années, il a vécu dans la rue avec à peine de quoi manger. «Je dormais dehors, et il y a des nuits où je rentrais dans mon sac de plastique pour me protéger de la pluie.»
Ce n’est pas cette période difficile qui l’a empêché de continuer à rêver grand : il voulait transmettre aux autres ses apprentissages puis foncer droit devant vers une meilleure qualité de vie. «Toutes ces expériences m’ont permis de comprendre maintenant ce qu’est l’être humain.»
À l’époque, il a trouvé l’amour avec une Louperivoise qu’il a épousée en Afrique. Il a décidé de quitter son pays pour suivre son cœur. À peine installé à Rivière-du-Loup en 2009, Papa Noël avait déjà de grandes ambitions. Nouveau pays, nouvelle culture, nouvelle vie : il a tout recommencé à zéro. Malgré sa séparation, Papa Noël ne s’est pas laissé abattre. Il partage maintenant sa vie avec sa compagne et complice, Mélanie Émond, qui l‘accompagne dans tous ses projets.
Dès ses premiers instants dans la région, il a vécu un grand choc culturel. Personne ne le saluait dans la rue, des regards méfiants de ceux qui le croisaient, rien n’était partagé, tout appartenait à quelqu’un. En Afrique, jamais on n’entend les mots «c’est à moi», explique-t-il.
Sa première expérience à l’épicerie est une catastrophe. De la nourriture sans goût, peu d’épices exotiques, mais surtout, pas de piments forts comme il les aimait en Afrique. Constatant sa déception, les employés du IGA ont travaillé de peine et de misère pour lui trouver des piments forts africains. Puis un jour, on cogne à sa porte. C’était le IGA qui venait lui porter ses piments. Grâce à Papa Noël, cette épicerie a maintenant plusieurs aliments étrangers dont les clients raffolent. «Aujourd’hui, s’il y a des bananes plantain au IGA, c’est à cause de moi!», a-t-il avoué, en s’esclaffant.
Au moment de se trouver un emploi, il frappe un mur. Papa Noël ne connait pas ce qu’est un curriculum vitae et ne possède aucune expérience de travail sur papier. Sans surprise, son visage amical et son côté persévérant lui ont permis d’obtenir un poste dans une usine.
RACISME
Que l’on se retrouve en région ou dans une métropole, les minorités culturelles ne seront jamais à l’abri de commentaires désobligeants, selon lui. Papa Noël raconte que dans ses premières années à Rivière-du-Loup, alors qu’il marchait le long de la rue Lafontaine, un homme le suivait et lui lançait des injures racistes. «Un peu plus loin, il y avait deux jeunes qui me connaissaient et quand ils ont vu le monsieur, ils s’en sont occupé. J’ai dû intervenir pour leur dire d’arrêter.»
Pour lui, ce n’est pas parce qu’un infime partie de la population est malveillante que l’autre partie le sera elle aussi. Par sa propre expérience, c’est souvent cette majorité qui prend sa défense dans de telles situations. Peu importe la couleur, le sexe, ou toute autre différence physique d’un être humain, «c’est l’amour qui fait que tu continues à avancer.»
GRANDS PROJETS
En 2017, il décide enfin de réaliser son rêve : ouvrir sa boutique africaine pour transmettre à la communauté louperivoise cette culture qu’il porte sur le cœur. «Il fallait que quelqu’un le fasse. Je l’ai aussi fait pour les gens qui viennent de l’Afrique, pour qu’ils se sentent chez eux quand ils visitent la région. Moi je veux que les gens sortent d’ici satisfaits, et s’ils le sont, moi je serai satisfait.» C’est à ce moment qu’un client interrompt la conversation. «Avec ces piments Papa Noël, je suis satisfait !», a-t-il lancé, exhibant le pot qu’il avait dans la main. Les deux hommes ont éclaté de rire, sans même se connaitre.
Autre réalité québécoise qui l’a mis dans tous ses états : les conditions dans lesquelles vivent nos aînés. Dans son pays d’origine, les aînés sont la plus grande richesse d’une société. Sa grand-mère a 106 ans aujourd’hui et vit toujours sous le même toit que sa famille en Afrique. C’est sa plus grande fierté. Papa Noël souligne que c’est grâce à eux si nous sommes en vie, et que nous leur devons le plus grand respect. «Avant d’ouvrir ma boutique, j’ai pris des objets que j’avais en ma possession et je les ai amenés dans des résidences pour aînés. Je les ai remerciés d’être en vie et je leur ai dit que pour les remercier, je leur partageais mon idée d’ouvrir une boutique africaine à Rivière-du-Loup. S’ils acceptaient, je l’ouvrais», a-t-il raconté. «Ils m’ont donné une autorisation et m’ont félicité pour mon
projet.»
S’il avait un conseil à donner à quelqu’un qui voudrait immigrer au Québec, ce serait de rester soi-même. «Ce n’est pas le statut d’un individu qui va déterminer s’il est bon ou mauvais. C’est l’être humain qui est devant moi qui compte. Chez moi, c’est l’humanisme qui est la première de mes bases.» Il rappelle sans cesse à ses deux enfants qu’il faut s’entraider, qu’il est important pour l’être humain de s’ouvrir à autrui, et qu’il faut donner la chance aux autres d’être écoutés. «Je le savais que j’avais le potentiel de redonner à ma communauté, mais personne ne voulait m’aider tant que je n’avais pas assez d’argent pour le montrer.»
En bout de ligne, Papa Noël rappelle qu’on ne se souvient pas d’une personne pour son argent, mais bien pour sa gentillesse et le respect qu’elle a envers les autres.
Il suffit de visiter sa boutique une seule fois pour comprendre qu’il sera difficile d’oublier cet homme aux mille et une couleurs.
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