Lever l’ancre et rêver sans condition
Quand Sylvain Dorey a quitté la marina de Rivière-du-Loup avec son petit voilier de bois, à la mi-septembre, il comptait naviguer vers la Côte-Nord avant de se laisser guider par le fleuve, la température et ses envies. Dès le départ, il s’attendait à vivre un voyage unique et déstabilisant, mais l’expérience a chaviré chacune de ses attentes. Il est revenu de ce périple avec beaucoup d’humilité, un respect renouvelé pour la nature et des souvenirs plein la tête.
Info Dimanche a rencontré le jeune marin quelques minutes après son arrivée au port de Rivière-du-Loup, le 17 novembre, pratiquement deux mois après qu’il l’ait quitté, seul. Malgré le froid et le ciel d’un gris monotone, le jeune homme ne cachait pas un large sourire derrière une barbe bien garnie.
«Considérant que j’ai navigué tout seul, ces temps-ci, sans dizaines d’années d’expérience, ç’a vraiment bien été et j’en suis très heureux. Disons que c’était une autre forme de plaisir que de naviguer ici avec des amis. C’était parfois très intense, et il y a des moments où je me suis fait assez peur, mais plus j’avançais, plus je réalisais ce que je réussissais à accomplir avec mon petit bateau», a-t-il confié.
Le 19 septembre, pratiquement dans les dernières heures de l’été, Sylvain Dorey a levé les amarres de Jonas, son voilier de bois d’une vingtaine de pieds qu’il a rénové lui-même au cours des derniers mois. Il savait alors qu’il souhaitait atteindre la Côte-Nord, mais la suite n’était pas détaillée, l’itinéraire n’était - volontairement - pas prédéterminée.
«Mon projet s’est vraiment bâti au jour le jour parce que je ne savais pas à quel point j’allais me rendre loin. Je ne voulais pas non plus me forcer à me rendre quelque part pour ne pas me mettre en danger», a-t-il expliqué.
Le plaisir de la navigation, la beauté des lieux et la curiosité d’en découvrir encore davantage l’auront rapidement emporté sur le reste. Son escapade sur le fleuve Saint-Laurent, sa plus grosse sortie en solitaire, l’aura amené vers Terre-Neuve, le Cap-Breton et les Îles-de-la-Madeleine. Un périple de plus de 2800 kilomètres, surprenant à tout point de vue, entre terre et mer.
«Je n’avais pas envie que ce soit juste des vacances. Je ne voulais pas juste aller me promener quelques jours, quelques semaines. D’un côté, il y a un dépassement de soi, de me dire que je suis capable. De l’autre, il y avait un côté historique derrière ça, puisque c’est un bateau de bois. On ne parle pas beaucoup du patrimoine nautique, du fleuve. J’avais envie de continuer à faire vivre tout ça et de montrer aux gens, à mes amis, que tout est possible», raconte l’homme de 27 ans qui a découvert son amour pour la mer en travaillant pour la Société Duvetnor.
TRAJET
Parti de Rivière-du-Loup, il a d’abord rejoint l’île au Lièvres, puis le Bic et Rimouski. Il a ensuite traversé le fleuve direction Baie-Comeau, puis s’est arrêté à Sept-Îles, avant d’atteindre Mingan et ses îles. Havre St-Pierre l’a par la suite accueilli avant de le laisser repartir vers Natashquan et Kegaska, au nord de l’île de l’Anticosti.
Si c’est à Kegaska que la route 138 s’arrête sur la terre ferme, c’est là aussi qu’il a réalisé que la sienne, sur l’eau, ne faisait que commencer. «C’est vraiment là que le fun a débuté, raconte-t-il. J’étais rendu là moi aussi, mais ce n’était pas la fin de mon aventure, je pouvais aller encore beaucoup, beaucoup plus loin. En plus, la météo était fantastique.»
De la baie de Kegaska, il a poursuivi sa route vers l’est, naviguant au large de l’archipel de Washicoutai, de La Romaine et de nombreuses îles de la Basse-Côte-Nord jusqu’à Harrington Harbour, village de l’île du même nom connu pour le tournage du film La Grande Séduction.
«La Basse-Côte-Nord, c’est vraiment magnifique. C’est un grand chapelet d’îles et de roches. Il y a des endroits désertiques, des petits villages. Pour la voile, c’est intéressant, parce qu’il y a des petits abris, des mouillages, dans le jargon, où on peut facilement se mettre à l’abri.»
Poursuivant son périple dans la même direction, il a atteint la région de Blanc-Sablon près d’un mois après son départ. De là, il est descendu vers Terre-Neuve où il s’est arrêté une semaine, puis au Cap-Breton. «En traversant le Détroit de Belle Isle, vers Terre-Neuve, j’ai eu mon plus gros problème. Une attache d’un de mes haubans, qui retiennent le mat, s’est cassé en faisant de la voile. Je me suis retrouvé au milieu avec un mat fissuré qui bougeait dans tous les sens et qui menaçait de s’écraser.»
Heureusement, il a atteint la terre ferme en sécurité. «À Terre-Neuve, les gens étaient incroyablement accueillants. Certains connaissaient le bois, les bateaux. Finalement, les dommages n’étaient pas inquiétants. J’ai toutefois été plus sécuritaire dans mes choix, dans ma voile, par la suite.»
Après le Cap-Breton, où il a séjourné rapidement, les îles-de-la-Madeleine formaient un arrêt obligé en route vers la Gaspésie. Il y a accosté quelques jours au début novembre, avant de remonter dans le golf du Saint-Laurent vers la côte gaspésienne. Il a alors réalisé une traversée de 29 heures, très bien préparée – comme chaque sortie d’ailleurs –, jusqu’à Rivière-aux-Renards.
Sur le retour, il a frappé de la neige, près de Mont-Louis, mais tout s’est dans l’ensemble bien déroulé. Et c'est avec un fort sentiment d'accomplissement qu'il a retrouvé la marina de Rivière-du-Loup, son port d'attache, à la mi-novembre.
UNE EXPÉRIENCE COMME PAS UNE
Sylvain Dorey est originaire de France. Ayant grandi dans les Alpes, il est fier d’être le premier marin de sa lignée. Pourtant, il y a quelques années à peine, il n’aurait jamais pensé être capable d’un tel voyage. Cela ne l’a cependant pas empêcher de s’investir dans sa nouvelle passion avec sérieux et d’en être récompensé. Il revient de cette unique aventure avec humilité et un respect encore plus grand pour la nature.
«Je me répétais souvent que je n’étais pas le maitre sur le fleuve, que je n’étais qu’un passager qui demandait à la mer de me laisser passer sans trip me bousculer […] Vivre à quelques pieds du fleuve, voir les vagues passer au-dessus du bateau, ça te ramène sur terre», a-t-il imagé.
Il souhaite que cette histoire puisse inspirer les gens à se dépasser et à croire en eux. «Qu’ils se rendent compte qu’on peut faire des choses encore plus grosses qu’on pense, dans la voile ou ailleurs. Quand on se donne les moyens, on peut faire plus que ce qu’on pense», a-t-il dit.
«Je veux que les gens rêvent en grand, et qu’ils rêvent sans condition. Suivez vos rêves, et petit à petit, les choses vont se faire.»
Sylvain Dorey continue de rêver à la voile. Il prépare déjà une prochaine aventure qu’il est impatient de vivre… et de raconter.
4 commentaires
mon rêve de toute ma vie, chapeau bas Sylvain !et merci pour ce joli voyage...