Travaux sans permis : sept locataires à la rue à Rivière-du-Loup
Le 19 septembre, sept résidents de Rivière-du-Loup se retrouveront sans logement en vertu d’une décision de la Cour supérieure rendue le 19 juillet. Après avoir effectué des modifications sans permis à l’intérieur d’un immeuble à logements du 77, rue des Jonquilles à Rivière-du-Loup, alors qu’il croyait à tort en avoir eu l’autorisation par la Ville, Adalbert Lévesque, âgé de 74 ans, se retrouve au pied du mur.
Il lui reste un peu moins de 30 jours pour accompagner ses locataires et procéder aux travaux de démantèlement de trois logements aménagés illégalement. «Je leur ai dit que j’allais les aider du mieux que je peux […] On est toujours en pleine pandémie, on ne voit pas d’annonces de logement, j’ai de bons locataires et je dois les expulser. Quelle compassion a la Ville ? C’est notre gouvernement de proximité qui est censé prendre soin de nous et il nous poursuit», s’indigne M. Lévesque.
Mathieu Gaudreault et sa conjointe Kelly Lapointe ont appris la mauvaise nouvelle de leur propriétaire la semaine dernière. «Je commence un nouvel emploi, c’est certain que je pensais qu’on allait rester ici pour de bon. Je n’ai pas de sommeil, c’est stressant et angoissant comme situation», explique M. Gaudreault. Le couple songe maintenant à déménager dans la région du Saguenay. Mathieu Gaudreault ajoute que le contexte de pénurie de logement dans la région ne leur rend pas la tâche facile. Le taux d’inoccupation des logements à Rivière-du-Loup est présentement de 0,5 %. «Pourquoi ils ne nous accordent pas jusqu’à la fin du bail pour se trouver quelque chose d’autre ?», se questionne le couple.
Un autre locataire rencontré sur place, qui a demandé l’anonymat, explique qu’il a emménagé il y a deux mois dans cet appartement avec sa conjointe et sa petite fille de six mois. «On ne sait pas ce qu’on va faire, ou ce qu’on va pouvoir trouver en juste un mois. Nous n’étions pas en connaissance de cause. Nous ne savions pas que le propriétaire était devant la Cour supérieure. Il aurait dû nous le dire avant de louer. Je sais que nous n’aurons pas le même confort ailleurs, mais nous sommes obligés de quitter.»
Le propriétaire du 77, rue des Jonquilles croyait être dans ses droits en ajoutant trois logements à son immeuble, après avoir discuté avec l’ex-urbaniste de la Ville, Myriam Marquis en septembre 2019. Dans son jugement rendu le 19 juillet dernier, la juge de la Cour supérieure, Suzanne Ouellet, estime qu’une entente verbale avec un fonctionnaire de la Ville ne peut «équivaloir à l’émission d’un permis en bonne et due forme, surtout dans le contexte spécifique et particulier de la modification d’un Projet particulier de construction, de modification ou d’occupation d’un immeuble (PPCMOI).»
DÉMARCHES AU CONSEIL MUNICIPAL
Lors d’une rencontre avec le Service de l’urbanisme en septembre 2019, Adalbert Lévesque pensait avoir eu l’autorisation de mener ses travaux, qu’il voulait réaliser avant l’arrivée de l’hiver. Il a admis qu’à l’automne 2019, il a modifié l’intérieur de l’immeuble sans permis pour ajouter trois logements. Le propriétaire a plaidé coupable et payé l’amende en lien avec un constat d’infraction. M. Lévesque croyait que l’histoire s’arrêterait là, ce qui n’a pas été le cas.
«La preuve révèle que les travaux étaient terminés au 9 décembre 2019 (date de l’assemblée publique de consultation)», peut-on lire dans le jugement. «En agissant ainsi de manière précipitée, M. Lévesque s’est lui-même placé en situation de contravention qui ne satisfait pas au critère de la bonne foi», soulève la juge Suzanne Ouellet.
Le 12 novembre 2019, le comité consultatif d’urbanisme de la Ville de Rivière-du-Loup a approuvé le projet et s’est montré favorable «à la modification du PPCMOI pour l’ajout de trois logements dans le bâtiment existant avec les conditions de conformité du nombre de stationnements minimum».
Lors d’une assemblée publique tenue en décembre 2019, Adalbert Lévesque a admis ses torts. «Je confesse mon péché. J’ai complété mes logements. Je l’ai fait dans l’espoir que mon projet allait être accepté. Pis, en principe, on m’avait dit que ça ne créerait pas nécessairement de difficulté.» De son côté, «le conseil [municipal] désirait laisser la chance au requérant que son projet puisse devenir conforme s’il n’y avait pas de contestation et éviter l’éviction des locataires», peut-on lire dans le procès-verbal du 10 février 2020.
La Ville de Rivière-du-Loup a ensuite reçu 59 demandes de participation à un référendum (qui s’opposaient à la modification du PPCMOI), alors que le nombre de signatures nécessaire était de 33. Devant cette opposition, les élus ont décidé de ne pas adopter la résolution finale approuvant la modification de l’immeuble situé au 77, rue des Jonquilles. Adalbert Lévesque a été placé devant le fait accompli.
La juge estime que le propriétaire ne pouvait ignorer la réglementation applicable. La décision prévoit que M. Lévesque doit demander un permis de construction dans un délai de 30 jours et reconvertir l’immeuble à 4 logements, alors qu’il en compte 7, dans un délai de 60 jours.
Adalbert Lévesque estime qu’il coutera environ 40 000 $ pour rendre l’immeuble conforme. Les travaux de modification lui ont couté 150 000 $, sans compter les revenus de location perdus et la baisse de valeur de son immeuble. Il déplore entre autres la «froideur et la dureté du conseil municipal» et dénonce le virage «autoritaire de la Ville». Adalbert Lévesque se questionne également sur le fait que toutes les décisions du conseil municipal sont prises à l’unanimité, sans débat public. Il se demande pourquoi il n’a pas pu s’entendre avec la Ville à l’amiable et ainsi éviter l’éviction de ses locataires. En plus des pertes financières, il dit vivre un stress constant de voir son dossier judiciarisé. Après ces démarches juridiques, il a décidé de quitter Rivière-du-Loup.
Le directeur du Service des communications de la Ville de Rivière-du-Loup, Pascal Tremblay, n’a pas voulu commenter la décision de la Cour supérieure. «La finalité du jugement démontre pourquoi la Ville a décidé d’aller de l’avant et de faire respecter la réglementation municipale en place, nul n’est au-dessus des lois», a-t-il indiqué. D'après la Ville de Rivière-du-Loup, la responsabilité de reloger les locataires revient au propriétaire.
8 commentaires
Banalisons le fait que le proprio s’était informé à une personne supposément crédible, qu’il était prêt à payer, en plus de l’amende, pour rétablir les faits.
Cependant, peut-on réaliser que nous sommes dans une situation exceptionnelle de pénurie grave de logements locatifs et que le fautif avait communiqué avec la Ville qui l’avait hypothétiquement rassuré sur les suites de la cause.
Lire une loi contient aussi le nombre d’alinéas ajoutés au cours des années pour l’ajuster à une réalité sociale en mouvement.
La juge aurait-elle pu prendre cette cause en délibéré et tenter de rapprocher les deux parties en cause, ou les nombreuses demandes d’un référendum ont-elles effrayé ces élu(e)s municipaux pour leur réélection.
Si la loi, c’est la loi, tenir compte d’éléments favorables ne doit-il pas être envisagé compte tenu de la situation?