Le voilier centenaire de Sylvain Dorey
Il y a un an, Sylvain Dorey profitait du temps doux de l’automne pour larguer les amarres et partir à l’est du fleuve Saint-Laurent sur Jonas, son petit voilier de bois. Un voyage qui a cimenté sa passion pour la navigation et qui l’a poussé à vouloir la partager. C’est donc sans surprise que le Louperivois d’adoption a de nouveau quitté la région cette année, mais pour le Guatemala où il retrouvera cette fois un navire en sérieux besoin d’amour, mais aussi les balbutiements d’un grand projet qu’il souhaite rassembleur.
Sylvain Dorey le raconte lui-même : l’idée a germé aux frontières du Labrador, aux portes de l’Atlantique et du Grand Nord, lors de sa dernière aventure. Quelque part, se disait-il, un bateau se cherchait un nouvel équipage et attendait son nouveau voyage.
«Quelqu’un m’a dit un jour que mon bateau, Jonas, était chanceux d’avoir quelqu’un qui s’occupe de lui et qui en prend soin. C’est quelque chose qui est resté avec moi», a partagé Sylvain Dorey, au début novembre. «Quand j’ai décidé de regarder pour plus gros, pour m’ouvrir à de nouvelles opportunités, je savais qu’un bateau m’attendait quelque part dans le monde. Un bateau qui était là et qui avait hâte que je le rencontre.»
Ce navire, il l’a finalement trouvé sur les rives du Rio Dulce, un fleuve du Guatemala. Un vieux voilier centenaire construit en 1917, non loin d'Amsterdam aux Pays-Bas. Un bateau dont la coque est en acier riveté, une technique qui n’est plus utilisée, mais qui en fait une embarcation très durable, idéale même, pour affronter les éléments difficiles de certaines expéditions.
Son nom? «De Rob», en référence au mot «phoque» en néerlandais. Un navire de 41 pieds et 40 000 livres qui a vécu maintes aventures et qui a été au cœur de plusieurs chantiers de rénovation majeurs, dont le plus récent date d’environ 30 ans. Un bateau qui s’apprête maintenant à en vivre un nouveau qui le mènera, à terme, dans les eaux du fleuve St-Laurent pour une toute première fois.
C’est d’ailleurs pour le retrouver et entamer le travail de que Sylvain Dorey a quitté vers l’Amérique du Sud pour quelques mois, le 12 novembre. Après l’avoir acheté au début de l’année 2022, il passera un premier hiver à ses côtés, lançant du même coup les travaux de restauration qu’il estime déjà à plusieurs saisons et plusieurs milliers de dollars.
«J’ai acheté une maison avec les fondations, les murs et le toit à refaire. Les éléments principaux sont là, il y a une histoire et beaucoup de cachet, mais il y a aussi beaucoup à accomplir», imagine le passionné.
«Ce sera un long processus, mais en même temps, je ne veux rien brusquer. Ça ne se fera pas en un claquement de doigts et c’est correct. Je veux bien faire les choses et m’assurer de faire perdurer tout le matériel qui a déjà été entretenu par de nombreuses mains humaines.»
À la recherche d’un navire pour un projet ambitieux qu’il a nommé «Le Caboteur Centenaire» , Dorey avoue qu’il aurait pu choisir une embarcation en meilleur état pour se lancer. Mais «De Rob» s’est présenté à lui, un peu comme si leur destinée était liée, et il a eu un coup de cœur.
«J’aurais pu trouver autre chose, mais je ne voulais pas autre chose. Le projet, la vision que j’ai, ne serait pas possible avec un bateau plus récent, plus moderne […] Je ne ferais tout ça avec un autre navire moins riche en histoire. Étrangement, c’est celui-là qu’il me faut», assure-t-il.
Il y a aussi cette idée qu’une rénovation de cette envergure lui permettra de connaître son nouveau compagnon de fond en comble, dans les moindres détails. «C’est très paradoxal, puisque je ne suis pas un constructeur ni un réparateur. J’ai envie de voyager, mais voilà, j’ai acheté un bateau à retaper complètement. Je crois qu’il y a quelque chose qui m’attire là-dedans, dans cette idée d’apprendre et de le faire moi-même.»
«Et puis, il n’y pas meilleur moyen d’apprendre à connaître un bateau qu’en le révisant pièce par pièce», ajoute-t-il, soulignant qu’il n’y pas non plus de meilleur moyen de partager la mer qu’avec «un bateau vieux d’un siècle». Il y a une poésie dans cette idée de poursuivre son histoire et celle des gens qui l’ont précédé.
LA SUITE
C’est ainsi que démarre le chantier de réparation du grand voilier néerlandais. Celui-ci prendra certainement quelques années, mais il n’est que le premier chapitre de l’histoire du Caboteur Centenaire. L’étape initiale, espère Sylvain Dorey, lui permettant de rassembler une communauté de passionnés qui sera là aussi pour la suite lors du grand retour.
«Je prévois plusieurs hivers de rénovation, alors j’espère pouvoir être accompagné. J’ai envie que ce soit une part entière de quelque chose de plus grand et non une étape nécessaire avant le début du projet», explique le marin. «Je veux impliquer les gens, en inviter sur place et qu’on apprenne tous ensemble là-dedans.»
Une fois sa forme d’antan retrouvée, «De Rob» aura d’ailleurs la mission de retourner auprès des gens, en les amenant eux aussi à la rencontre du fleuve Saint-Laurent et de ses rives. «Je veux faire plus que de la plaisance […] Je veux faire des spectacles sur le bord du fleuve avec le bateau comme scène, comme élément rassembleur. Je pense par exemple à un spectacle multidisciplinaire avec du cirque, des chants marins, des contes…», explique-t-il avec enthousiasme.
«On pourrait aussi faire une résidence de création. Des artistes pourraient s’engager à passer un été à créer sur le bateau et on pourrait se promener à la rencontre des gens. Faire un spectacle itinérant, peut-être même se greffer avec des festivals? Il n’y a pas de limite.»
Il estime que le bateau sera le véhicule idéal pour transmettre son amour du fleuve. «Ma passion pour la navigation est née ici sur le fleuve Saint-Laurent […] Je veux me servir du cachet du voilier pour attirer l’œil et que les gens regardent au-delà, qu’ils voient le fleuve et réalisent à quel point c’est exceptionnel.»
«J’ai envie de profiter de tout ce qu’il peut offrir et permettre aux gens de se reconnecter avec le rivage, d’actualiser cette vie qu’il y a toujours eu sur le Saint-Laurent. Je veux sensibiliser le monde en s’émerveillant, en apprenant et en partageant tant les histoires du passé que les enjeux à venir.»
Un beau et grand rêve qui se matérialisera à travers un organisme à but non lucratif ou encore une entreprise, mais tout ça est encore à déterminer. Après tout, il y a encore beaucoup à faire, à préparer et à préciser. «J’ai du temps et je suis bien entouré», souligne l’instigateur, précisant qu’une campagne de sociofinancement a aussi été démarrée pour permettre à et ceux et celles qui souhaitent participer à la réalisation du projet.
Un jour, Sylvain Dorey a mis les pieds sur l’eau et la mer l’a mordu. Depuis, ils sont tous les deux solidement accrochés, incapables de se quitter.
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