Complexe santé Rivière-du-Loup : «Ce projet-là a scrappé ma vie»
«Mais qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu pour mériter ça?» C’est à travers cette formule empreinte d’incrédulité et de désespoir que le résident de la rue Saint-Louis de Rivière-du-Loup, Pierre Landry, a résumé sa situation – et celle de sa compagne – dans une récente lettre ouverte publiée dans le journal Info Dimanche. Des mots durs, difficiles à lire, qui illustrent pourtant bien une réalité : leur vie a changé du tout au tout en quelques mois. Et non pas pour le mieux.
Alors que le bruit incessant de la machinerie lourde se fait entendre et que sa maison entière vibre au rythme du pieutage, M. Landry a accepté de revenir sur les derniers mois qu’il a vécus depuis l’annonce du projet Medway à quelques mètres de sa porte d’entrée. Une année pénible, faite de plus de bas que de hauts, qu’il craint n’être pourtant que les douloureuses prémices aux mois et années à venir.
Une année durant laquelle il est aussi devenu une figure publique, porte-étendard d’un groupe de citoyens d’abord inquiets par la réalisation de ce «mégaprojet», puis simplement opposés à sa concrétisation dans la forme et l’endroit proposés. Un contestataire à tous crins, leader de «chialeux» et de «frustrés», l’a-t-on identifié.
«C’est un rôle que je n’ai pourtant jamais vraiment voulu. Je ne souhaitais pas être au front, mais une contingence a fait que je l’ai été», raconte-t-il dans un espace de vie derrière chez lui, le bureau à l’avant étant trop bruyant.
À l’automne 2021, rien ne destinait d’ailleurs l’homme de 75 ans, ancien directeur du Musée du Bas-Saint-Laurent, à cette vilaine responsabilité. En novembre, le retraité et sa compagne ont quitté la municipalité de Saint-Alexandre-de-Kamouraska pour le centre-ville louperivois. Ils souhaitaient s’impliquer bénévolement, rencontrer des gens, avoir accès à davantage de services de proximité et peut-être même délaisser la voiture. Ils ont choisi la rue Saint-Louis où ils n’y voyaient pratiquement que des avantages.
«C’était à quelques pas du parc des Chutes et des commerces de la rue Lafontaine. La maison est grande, solide, en bon état. On était heureux, enchantés même. C’était vraiment l’idéal», se remémore-t-il.
«Malheureusement, c’est tourné rapidement au cauchemar.»
«TROP GROS, TROP HAUT, TROP VITE»
À peine cinq mois après leur déménagement, Info Dimanche rapportait pour la première fois la volonté du Groupe Medway, un promoteur immobilier de Québec, de s’installer sur un terrain non loin de chez lui. Un projet initial pour lequel il ne voyait pas matière à contestation.
«Dans un premier temps, on parlait du terrain de Poitras Meubles et Design et on trouvait que c’était un moindre mal, compte tenu des installations présentes. On pensait à 3-4 étages, mais on a vite réalisé que c’était plus que ça. Le coup majeur, ç’a vraiment été lorsqu’ils ont apposé les avis de démolition sur les maisons devant.»
Leurs boites n’étaient même pas toutes défaites lorsque leur nouvelle vie a été bousculée et qu’ils ont décidé de poser des questions et de manifester leur désaccord. «On savait qu’on déménageait dans un secteur urbain, dans un centre-ville, où il y a des commerces. On connaissait le zonage avec du résidentiel et du commercial. On vivait bien avec ça. Mais là, c’était la totale, trop gros, trop haut, trop vite…»
Écrivain, amoureux des mots, de la littérature et de l’histoire régionale, Pierre Landry a senti qu’il devait agir, parler, écrire. Il l’a fait pour lui et ses voisins, mais aussi pour la ville et son avenir. «Ce n’est pas seulement une histoire de ‘’pas dans cour’’, martèle-t-il. Ma cour, elle est large. J’aime Rivière-du-Loup. Pour moi, un développement comme ça n’a simplement pas sa place en son cœur et ça m’a atteint à plusieurs niveaux.»
Il explique avoir un attachement particulier au patrimoine et à l’histoire de cette ville qu’il côtoie depuis l’adolescence. Il a lui-même écrit sur son train, a participé à des luttes pour la protection de son musée et de son école de musique. Il s’est réjoui des luttes passées pour la protection de ce qui a été construit par les générations précédentes.
«Pour moi, il y avait à Rivière-du-Loup une sensibilisation, un élan, envers la protection du patrimoine. Et avec ce projet, on est en train de défaire ce qui a été mis en place. On déroge de la voie qui a été donnée ces dernières décennies par les différentes administrations. Dans mon esprit, c’était implanté et immuable […] Alors quand c’est arrivé, ça m’a débâti.»
«Je suis un fighter, donc j’ai lutté. Mais c’est le combat qui m’a choisi. Je m’en serais passé. Je ne suis pas venu ici pour ça, au contraire. Je voulais contribuer, m’impliquer, terminer un projet d’écriture…»
SUIVRE SES CONVICTIONS
Pendant des mois, en collaboration avec des voisins et d’autres citoyens interpellés, il a multiplié les présences aux séances du conseil municipal et il a coordonné des signatures en opposition à l’adoption de certains règlements et aux demandes de démolitions. Il a étudié les règlements, posé des questions, émis des doutes et des inquiétudes. Il a suivi ses convictions, même si celles-ci l’ont parfois amené à être dur à l’endroit des élus.
«J’ai parlé de conflit d’intérêts à un moment. Ce n’était pas une référence aux enveloppes brunes directement, mais plutôt une image pour dire que les élus sont en conflit entre les intérêts des citoyens et ceux des promoteurs», dit-il.
Il regrette les façons de faire de la Ville dans ce dossier, de la rapidité d’exécution au manque de consultations et de communications, en passant par l’absence d’un vrai référendum sur la question. Son «incurie», son «manque d’écoute» et l’absence de considération pour la mobilisation citoyenne, également.
«Se battre contre les autorités élues, des gens qui sont choisis pour te représenter, défendre tes intérêts, c’est difficile, horrible», a-t-il confié.
«Aider les projets de développement oui, bien sûr, mais quand ce sont des projets de cette ampleur, quand c’est lié au plus gros investissement privé de la ville, vraisemblablement, il me semble que ça méritait une consultation en amont», ajoute-t-il, maintenant que «ce projet va à l’opposé de ce que devrait être un urbanisme contemporain axé sur le social et l’environnement.»
Pierre Landry craint également pour l’avenir. Il s’inquiète pour sa qualité de vie des prochaines années, au cœur d’un grand chantier et d’un quartier qui sera plus achalandé que jamais. Il craint aussi pour la suite des développements privés en sol louperivois. «L’évidence, c’est que les promoteurs ont beaucoup de poids. Les citoyens doivent s’intéresser davantage aux décisions de leurs élus», maintient-il.
Pierre Landry et sa conjointe, tout comme plusieurs voisins, estiment aujourd’hui être pris en otage, incapables de s’évader. Le pieutage n’est que le début, admettent-t-ils tant bien que mal. Suivront des travaux durant quelques années et, ultimement, l’adaptation à une nouvelle vie. Les répercussions sur leur quotidien s’accumuleront, ils en sont convaincus.
C’est pour ces raisons, mais aussi bien d’autres – qui vont bien au-delà du quartier et de sa situation – que M. Landry a pris la parole contre la construction du mégaprojet au centre-ville. Au mieux, certains auront été conscientisés à l’écoute. Et tant pis pour ceux qui l’auront diabolisé, s’est-il dit.
Il y a un an, le citoyen célébrait quelques semaines de vie dans son nouveau chez-soi. Aujourd’hui, il aurait préféré n’y avoir jamais mis les pieds. Et pendant la lutte, il a perdu de vue ce à quoi il voulait consacrer ses prochaines années : ses mots, sa poésie et ses projets littéraires.
«Ce projet-là a scrappé ma vie», répète-t-il, avant de terminer l’entretien avec une image résumant son année 2022. «Rivière-du-Loup a gagné un combattant, mais elle a perdu un poète.»
4 commentaires
Je suis d'accord avec vous , sur le trop vite, la grosseur et la hauteur aurait été accepté dans le périmètre de l'Hôtel Universelle ou ailleurs… , là ou les bâtiments se respectent (hauteur) l'urbanisme de la ville est vraisemblablement désuet , dans les règlements des municipalités aujourd'hui, il y a une hauteur a respecté , des distances, ainsi de suite .Je ne comprends vraiment pas le conseil de ville, c'est vraiment des novices ceux qui siègent dans ce conseil, il m'en manque un bout pour que je puisse comprendre, , ils n'ont pas été à l'écoute de leurs citoyens.
Oui , pour le progrès , mais surtout faire les choses dans les règles de l'art et prioriser le gros bon sens.
Oui aux prochaines élection, il faut sortir ce conseil de ville.