Intimidation en ligne
«La haine n’a pas sa place et c’est imputable» - Sébastien Rioux
Menaces de mort, fausses rumeurs, images scatologiques trafiquées, insultes, création de faux comptes, voilà le cocktail imbuvable auquel Sébastien Rioux de Trois-Pistoles a eu droit pendant 15 mois entre 2020 et 2021. Un cocktail Molotov lancé en ligne, mais dont les répercussions bien réelles ont enflammé sa vie avec des arrière-gouts de racisme, de pédophilie et de violence.
C’est son histoire de résilience et de justice que partage aujourd’hui le principal intéressé alors que son tortionnaire attend sa sentence. L’intimidateur, Peter Poncak, 37 ans, a plaidé coupable à un chef d’accusation de harcèlement criminel en vertu de l'article 264 du Code criminel canadien le 22 mars dernier. Les faits reprochés ont été commis entre le 1er mai 2020 et le 4 aout 2021. Poncak, qui réside dans la région de Gatineau, encourt une peine maximum de 10 ans de détention.
Sébastien Rioux souligne toutefois que la période d’intimidation de Poncak s’étire sur une plus longue période que celle admise par l’accusé. «C’est plus long, mais le plus important c’est qu’au moins, il a plaidé coupable.»
PÉDOPHILIE ET SCATOLOGIE
Pendant cette période, l'accusé a utilisé diverses plateformes pour acheminer à la victime différents messages. Que ce soit par messagerie instantanée, par textos, par courriel ou même en commentaires sous des vidéos que l'artiste pistolois réalise pour des clients.
Poncak ne s’est pas arrêté là, il a aussi utilisé des pseudonymes pour sévir, notamment Garinknapp, Nick Gurr, Volcelemperor, [email protected]. Sous l'adresse [email protected], l'accusé a fait parvenir à la victime des images d'hommes ayant des relations sexuelles avec des excréments humains. Sous l'adresse [email protected], il a envoyé une vidéo contenant des images d'un homme déféquant dans la bouche d'un autre homme.
La façon de faire de Poncak décrite dans le plaidoyer est simple, il a communiqué avec Sébastien Rioux en utilisant diverses plateformes et ses nombreux pseudonymes pour maintenir un contact sporadique et harcelant. «Des fois, j'étais quelques jours sans rien recevoir, puis je recevais plusieurs messages en quelques jours», ajoute le créateur de contenu numérique. C’est le supplice de la goutte d’eau étiré sur plus d’une année. Son téléphone, avec son accord, a même été mis sous écoute par les policiers.
GENÈSE
Sébastien Rioux est actif sur Twitter. Non seulement il y présente le fruit de ses créations, mais il y pourfend avec fermeté ce qu’il perçoit comme de la misogynie, du racisme, de la xénophobie, de la violence, et de la désinformation en plus de défendre ses convictions écologistes. Toutefois, c’est un commentaire en apparence banal qui a été le point de départ d’une spirale infernale.
«Je recevais déjà beaucoup de messages haineux de “gratteux de guitare”, de “pouilleux”. Mais ça ne sortait jamais du cadre de Twitter», explique Sébastien Rioux. Mais une simple réponse à un tweet a engendré une déferlante de commentaires, bien au-delà du réseau social à l’oiseau bleu.
À l’époque, des dizaines de femmes ont dénoncé les agressions sexuelles du producteur Harvey Weinstein, qui a fait les frais du mouvement #MeToo. «Peter Poncak a sorti une de mes réponses de son contexte. Ma réponse était “Lorsque Jean Rioux mon ancêtre et immigrant breton prit épouse en mariage catholique, il avait 26 ans, elle 13 ans. C’était en 1677.” Mon but était de dire que par chance, ça n’existe plus. Lui, il a viré fou et il a essayé de me faire passer pour un pédophile», lance le Pistolois.
Dans son plaidoyer de culpabilité, l’accusé a reconnu avoir créé des faux comptes, dont un qui laissait croire que Sébastien Rioux affirmait lui-même avoir violé sa cousine de 14 ans.
De ce simple tweet, l’accusé s’est engagé dans une démarche d’intimidation à grande échelle comme l’a démontré son plaidoyer. À plusieurs reprises, Sébastien Rioux a reçu un mème tiré du film «Taken». Cette image reprend une citation connue du film en anglais disant «I will find you, and I will kill you» (je te trouverai et je te tuerai, en français).
FAR WEST
C'est justement face à ce Far West 2.0 que Sébastien Rioux a dû se faire justice. Twitter, Facebook et Instagram ont rapidement été mis à contribution, mais aussi Gab, un service de réseautage social en ligne basé au Texas et qui se présente comme une alternative à Facebook et champion de la liberté de parole. Le réseau dont l’artiste-réalisateur ignorait l’existence est toutefois pointé du doigt pour être utilisé par des groupes racistes, xénophobes et homophobes.
«Il [Peter Poncak] m’envoyait des captures d’écran! Pour être certain que je le voie!». M. Rioux affirme avoir dénombré au fil des mois 13 faux comptes à son nom.
UNE ÉPÉE DE DAMOCLÈS
Dès 2020, Sébastien Rioux a rapidement obtenu la fermeture du compte de Peter Poncak sur Twitter. «Suite à ça, j’ai porté une première plainte. Les policiers l’ont retracé à partir de l’adresse IP fournie par Twitter. Il a été interrogé puis relâché. C’est là que ç’a commencé à être l’enfer.»
L’accusé n’a pas ménagé ses efforts pour faire de la vie de Sébastien Rioux un enfer. Ce dernier a dû avoir recours à l’aide du Centre d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) après sa deuxième plainte à l’automne 2020. Une aide bénéfique qu’il salue aujourd’hui. «Merci bon dieu qu’ils existent. L’accompagnement dans le côté judiciaire que je ne connaissais pas, ç’a été long, j’ai porté plainte en octobre, je crois, et il a été arrêté le 4 aout 2021. C’est la première fois que j’ai eu l’impression de respirer en deux ans.»
«J’ai eu peur par moment, il m’envoyait des photos de moi enfant avec un gars qui tire en dessous. […] J’avais la chienne d’ouvrir mon ordinateur, j’avais peur qu’il débarque chez nous avec un gun. Le CAVAC a été un soutien essentiel», raconte le Pistolois. Le 4 aout 2021, Peter Poncak a finalement été arrêté au terme d'une enquête lors de laquelle il y a eu une perquisition. Cette dernière a permis de relier les différents comptes de l'accusé à une seule adresse IP.
«Il y a de l’aide, même si le processus est long et parfois lourd, il en vaut la peine. Rappelez-vous, on n’est jamais complètement anonyme sur le web. La haine n’a pas sa place et c’est imputable […] J’ai gagné le jour où il a été arrêté… Parce que je n’ai plus jamais reçu de message», voilà donc l’ultime message du Pistolois.
Ce dernier espère qu’en racontant son histoire, il saura convaincre toute personne victime d’intimidation, en ligne ou non, de faire cesser la haine dont elle est la proie.
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