L'Isle-Verte, 23 janvier 2014
Parce que je me souviens…
*** Un commentaire de François Drouin ***
Comment aborder le dixième anniversaire d'une tragédie qui a emporté la vie de 32 personnes et en a marqué au fer rouge des centaines d’autres ? Comment rappeler l’horreur sans blesser de nouveau ceux qui l’ont vécue ?
J'ai été aux premières loges du 23 janvier. Je me suis retrouvé au cœur de l'intervention comme aucun autre journaliste. J'ai été témoin de scènes à vous fendre le cœur et l’âme. Et comme pour plusieurs présents cette nuit-là, chaque retour sur cette nuit m'est anxiogène. Et c’est précisément ce que je souhaite éviter à ceux qui étaient là.
Il y a 10 ans, 32 personnes ont péri dans le pire incendie de l’histoire de L'Isle-Verte. Les photos que j’ai prises ont fait le tour du monde. L’histoire était choquante et mes images, saisissantes.
Dix ans plus tard, je n’ai rien oublié, je préfère mettre en lumière le courage des secouristes, des policiers, des paramédics, des pompiers. Je me souviens de la solidarité malgré la peine et la douleur. Je me souviens de l’aplomb de Ginette Caron, de la détermination d’Ursule Thériault, du cran d’Yvan Charron, et des mots justes de l’abbé Gilles Frigon.
Ce village, lové entre fleuve et cabouron, a durement encaissé le choc, à l'instar de nombreux premiers répondants, policiers, pompiers, paramédics, citoyens... et moi.
Comme bien des intervenants ce soir-là, je n'étais pas prêt. Nous avons encaissé le choc et nous avons fait ce que nous avions à faire. J'étais le seul journaliste - photographe présent, j'étais dépassé, mais je savais que je devais documenter au maximum tout ce qui se passait, tout ce qui se déroulait sous mes yeux. Je devais donner le meilleur de moi-même. Je me souviens de mon soulagement à l'arrivée du caméraman de CIMT, Danny Lorrain, une quinzaine de minutes plus tard.
Tout ce temps, des policiers, pompiers, paramédics et des citoyens ont bravé les flammes pour porter secours. Ils ont mis leur vie en jeu. Leur santé mentale aussi. Nous sommes plusieurs à être revenus de cette nuit-là sur nos deux jambes, mais l'esprit ébranlé, ailleurs.
Des amis policiers, pompiers et paramédics, des citoyens, vivent encore aujourd’hui avec ces répercussions au quotidien. Plusieurs ont dû apprendre à composer avec un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Les symptômes, et je pourrais vous en parler longtemps, sont envahissants et leurs conséquences dans nos vies, bien réelles.
***
Longtemps après l'incendie, certaines scènes terribles ont occupé mon esprit, ont oblitéré mes pensées. Aujourd'hui encore, je deviens émotif quand vient le temps de raconter cette nuit-là.
Si je le fais aujourd'hui, c'est principalement pour saluer la mémoire de ces 32 disparus, mais aussi le courage et l'abnégation de ceux qui se sont portés au secours des résidents.
Dans une nuit d’encre noire et d’un froid sibérien, je tiens à rappeler à quel point les survivants, les policiers, les pompiers de L'Isle-Verte et des municipalités voisines, les paramédics, mais aussi les témoins et résidents, ont posé des gestes héroïques. Vous avez mis votre vie en suspens pour porter secours à votre prochain. Vous avez affronté une scène de guerre en plaçant votre sens du devoir au-dessus de votre propre vie. Ça n’a pas été parfait, mais sans votre courage, le bilan, déjà tragique, aurait été encore plus funeste. Vous avez toute mon admiration.
Plusieurs d'entre vous ont été marqués pour la vie. J'espère que vous allez bien. C’est en pensant à vous que j’ai choisi de ne reproduire qu’une seule photo de cette nuit-là et de ne pas produire une série de reportages retour.
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Oui je me souviens du 23 janvier 2014. Je m’en souviendrai toute ma vie. Mais pour être franc, des fois, je préfèrerais en oublier des p’tits bouts. Oublier l’horreur. Dix ans plus tard, les cris se sont tus, les flammes sont éteintes depuis longtemps, mais je me souviens.
Je me souviens de L’Isle-Verte aussi, et surtout de vous, gens extraordinaires, de votre résilience, de votre bienveillance, de votre patience. Vous avez été exceptionnels.
Beaucoup d’eau a coulé sous le pont de la rivière Verte. Des maux ont trouvé leurs mots, et certaines questions, pas toutes, ont trouvé leurs réponses. Mais si l’écho de ce 23 janvier continuera de résonner encore longtemps dans nos mémoires et dans nos cœurs, une page se tourne.
Je n’oublierai jamais, mais aujourd’hui, comme le dit si bien Ginette Caron, je choisis de regarder vers demain.
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Ce dixième anniversaire et les reportages qui seront diffusés dans les médias peuvent provoquer des angoisses, vous faire revivre des émotions que vous souhaiteriez garder au fond de vous-même. N'hésitez pas à demander de l'aide.
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