Parler des inégalités pour un virage numérique sans fractures
L’ABC des Portages a tenu une rencontre d’information avec ses partenaires sur le virage numérique et ses fractures, le 11 avril. Le phénomène, appelé à se développer à vitesse grand V dans les prochaines années, ne tient pas compte des personnes déjà dans des situations précaires, selon l’organisme communautaire en alphabétisation.
«Le virage s’est accéléré, les fractures se sont agrandies et ont créé dans la société des fossés, des obstacles, des barrières pour les personnes [dans des situations plus précaires]», soutient Réjane Gourin, formatrice à l’ABC des Portages qui oeuvre dans les MRC de Kamouraska, Rivière-du-Loup et Témiscouata.
D’après l’organisme et le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) dont il fait partie, la dématérialisation et la déshumanisation renforcent les fractures numériques.
Selon eux, la première fracture est matérielle, c’est-à-dire que les personnes touchées n’ont pas accès à Internet ou au matériel nécessaire pour y accéder comme un ordinateur, une tablette ou un cellulaire, explique l’ABC des Portages. La seconde est la capacité à comprendre et à utiliser les technologies quotidiennement.
«La troisième est en lien avec la notion de privilège», témoigne l’organisme. Car ceux qui utilisent les technologies en retirent des avantages afin de prendre soin de leur santé, leurs finances.
UN VIRAGE NUMÉRIQUE ACCÉLÉRÉ
Le virage numérique a commencé dans le début des années 2000, raconte Mme Gourin. «En 2006, un texte qui a été lu à l’Assemblée nationale par un groupe d’alphabétisation nommait déjà des difficultés numériques [que nous abordons aujourd’hui]».
Et depuis la pandémie, avec les effets des confinements, le RGPAQ a remarqué l’accélération fulgurante de la transformation numérique d’entreprises privées et du gouvernement.
Ces changements touchent tout le monde, «mais on n’a pas tous les mêmes ressources pour faire [la transition]», a indiqué la formatrice à l’ABC des Portages, Camille Ouellet. «C’est ce qui va créer une sorte de coupure entre ceux pour qui c’est possible de prendre le virage et ceux qui sont laissés derrière dans ce chemin-là.» Ces personnes peuvent être moins alphabétisées et plus pauvres que la population générale. Il peut aussi s’agir de personnes âgées ou en situation de handicap.
Pour elles, l’accès aux technologies est plus ardu et l’obligation de se conformer les déstabilise. Leurs démarches, qui prenaient déjà un peu plus de temps que pour les gens normaux sont allongées et peuvent leur couter des frais supplémentaires. Elles deviennent donc plus vulnérables, en plus de perdre de l’autonomie, du pouvoir sur leur vie, de l’estime de soi et se sentir humiliées et isolées. Puis, finalement, elles sont privées de leurs droits fondamentaux à l’information, à la santé et à l’éducation, selon l’ABC des Portages. «C’est comme si on avait foncé tête baissée [sans s’adapter à elles]», se désole Mme Gourin.
Pendant la prochaine année, l’ABC des Portages et son regroupement feront donc de la sensibilisation afin que les personnes dans des situations plus précaires soient prises en compte. À l’aide de la déclaration «Traversons l’écran : Pour un virage numérique humain», le Regroupement recueillera des signatures afin de garder les services publics en personnes, d’humaniser ces derniers et de les rendre plus clairs et simples, de donner accès à Internet et les outils technologiques et d’aider les gens à utiliser le numérique. «On n’est pas contre le numérique, on est pour les choix. Que le numérique ne soit plus le seul choix», soutient M. Gourin. Il est donc impératif, selon elle, que le gouvernement aille moins vite et qu’il réfléchisse au côté humain pour éviter que l’exclusion sociale continue de s’agrandir.
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