Commission parlementaire sur le projet de loi 72
«Les spiritueux sont considérés comme le rince-bouche du diable» - Jonathan Roy
Le copropriétaire de la Distillerie Fils du Roy de Saint-Arsène, Jonathan Roy, a été invité à s’exprimer en commission parlementaire sur le projet de loi 72, le 11 novembre. L’homme d’affaires a déploré que les spiritueux soient exclus de la livraison d’alcool à domicile que celui-ci autorisera. Il a aussi, surtout même, rappelé les iniquités que vivent nombreuses distilleries dans l’industrie des boissons alcooliques au Québec.
Le projet de loi 72 du gouvernement du Québec prévoit autoriser les restaurants et chaines de restauration à faire appel à un tiers pour livrer des boissons alcoolisées en accompagnement d’un repas. De même, la consommation d’alcool sera désormais permise dans un restaurant sans devoir y commander de la nourriture.
Or, les spiritueux ne font pas partie de la liste des produits alcoolisés qui pourront accompagner les commandes à domicile. Pourtant, on y trouve tous les autres types de produits avec alcool confectionnés au Québec : la bière, les vins et les cidres.
«Cette exclusion est une preuve patente d’iniquité envers un segment de marché qui a le vent dans les voiles», lance Jonathan Roy, nommé récemment président de l’Union des microdistilleries du Québec (UQMD). «Une fois de plus, les spiritueux du Québec sont considérés comme le rince-bouche du diable», admettra-t-il plus tard dans une formule qui frappe l’imaginaire.
UNE AUTRE INIQUITÉ
Devant la commission, sur laquelle siégeaient plusieurs députés et la vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbault, l’entrepreneur établi à Saint-Arsène a rappelé avec conviction que le secteur des spiritueux était mal aimé dans l’industrie – l’exemple du projet de loi 72 en étant un parmi d’autres. Une incohérence, alors que les distilleries de petite taille représentent maintenant près de la moitié des ventes d’alcool québécois à la SAQ.
«Depuis 2017, tous les nouveaux projets de loi excluent les spiritueux, regrette-t-il. On se fait dire que nous sommes une industrie qui fabrique des alcools dangereux. Mais dans les faits, nous sommes une des industries avec les normes de mise en marché les plus sévères. Chacun de nos produits doit être gouté, testé et vérifié par la SAQ.»
Dans une allocution émotive, Jonathan Roy a envoyé un crochet aux lois et règlementations désuètes et archaïques qui encadrent toujours l’ensemble de l’industrie des boissons alcooliques au Québec, appelant à la fin de la «prohibition» des spiritueux.
«Les microdistilleries québécoises sont producteurs d’alcool les plus maltraités au Canada […] Si je veux aller faire gouter mes produits dans un bar, je n’ai pas le droit. Je ne peux pas non plus vendre à un resto, à un bar, alors que tous les autres producteurs ont ce droit. Notre seul canal de distribution, c’est la SAQ. On peut aussi vendre sur le lieu de fabrication, mais on paie la SAQ de toute façon, ce qui rend la chose quasiment impossible à arrimer avec une rentabilité quelconque…», note l’homme d’affaires.
Depuis juillet 2018, les distilleries de petite taille peuvent en effet vendre leurs produits leur lieu de production. Mais encore là, la façon de procéder est loin d’être adéquate. Même si la Société des alcools du Québec (SAQ) n’intervient pas dans la vente du produit, elle touche une majoration qui équivaut presque au double de ce que reçoit l’artisan. Malgré des chiffres de vente impressionnants, peu de distilleries peuvent ainsi vivre du fruit de leur travail, voire même rentrer dans leurs frais. Ils souffrent.
«On a la plus haute majoration au Canada quand on vend un produit sur place […] On ne peut pas attendre une grande réforme des lois sur l’alcool au Québec pour changer la donne pour nos distilleries de petite taille. Elles sont vraiment à l’écart… et pas juste un peu.»
Pour corriger en partie la situation, Jonathan Roy et l'UQMD proposent de départager les microdistilleries artisanales (pas soumises à la majoration de la SAQ) des microdistilleries industrielles (soumises à la majoration) selon leur production de litres annuelle comme c’est fait ailleurs au pays.
Il faut comprendre qu’actuellement, un producteur qui produit son maïs pour son alcool, comme Jonathan Roy, ne peut pas le faire sous un «permis d’artisan», puisque le maïs (au même titre que l’orge ou le seigle) n’est pas reconnu comme matière première admissible. Malgré une production «artisanale», plusieurs distilleurs possèdent donc un «permis industriel» et sont soumis, bien malgré eux, à la majoration de la SAQ.
«Les critères d’admissibilité au permis artisanal doivent être modifiés. L’admissibilité doit être basée sur un ‘’litrage’’ annuel (600 000 litres, par exemple). Cette façon de faire permettrait à une petite distillerie qui souhaite devenir grande de réinvestir son argent dans son entreprise. Lorsqu’elle aura atteint une certaine production, à ce moment-là, la majoration pourrait s’appliquer. Ce serait tout à fait normal.»
Jonathan Roy a été félicité par les élus de la commission parlementaire pour ses commentaires et la présentation du mémoire de l’UQMD. Il estime cependant que les félicitations et le fait d’être entendu ne sont «plus suffisants». Pour que l’industrie survive et que les microdistilleries fassent encore partie du décor québécois dans quelques années, «il faut agir maintenant», croit-il.
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