Gratien Fournier: un demi-siècle au service de sa clientèle
En entrant chez Télévisions Rivière-du-Loup 1987, on aperçoit, au fond, entre les téléviseurs géants et des appareils électroniques, Gratien Fournier, attablé à son bureau, devant une pile de documents. L’homme de 72 ans est la colonne vertébrale du commerce depuis plus d’un demi-siècle, 51 ans.
Du jeune homme qui s’est présenté avec ses échantillons de tapis au premier propriétaire au dernier écran Hi Tech, il en a coulé de l’eau sous les ponts de la rivière du Loup. Pour M. Fournier, en jetant un regard sur la longue route parcourue dans cet univers souvent exigeant qu’est la vente au détail, il esquisse un sourire.
«Ah non, je ne le regrette pas. Ç’a passé tellement vite, c’est comme si on était en 1973. J’ai eu une belle vie.»
Originaire de Témiscouata-sur-le-Lac, il fait partie d’une fratrie de sept enfants. «Tous des comptables», lance en riant son associé, François D’Amours. Mari, père et grand-père, si la famille est au cœur de sa vie, il se défini aussi par ses qualités d’administrateur. La gestion prend ici des allures de véritable passion.
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L’histoire de Gratien Fournier dans le domaine de la vente au détail débute au tout début des années 70, plus précisément en 1973. À la sortie du Cégep, diplôme en main, comme bien d’autres de son âge, le jeune homme explore le marché du travail. Il se retrouve à la Cave à Tapis qui appartient alors à Robert Potvin. Mais c’est avec André D’Amours, l’oncle de François, qu’il trouvera sa voie.
«André avait toujours des idées. Il voulait se lancer en affaires, avoir son propre commerce et vendre des télévisions. Il a réussi à avoir la ligne de télévision Hitachi. À l’époque, c’était quelque chose. Le cousin d’André a demandé un échantillon de tapis et c’est moi qui y suis allé», raconte M. Fournier.
Il n’est jamais vraiment parti. Le commerce qui avait pignon sur rue au 484, Lafontaine à Rivière-du-Loup, le local qui a abrité Mélusine jusqu’à tout récemment, s’est rapidement fait une renommée.
Si André D’Amours est un vendeur flamboyant, Gratien, plus discret, s’impose par ses qualités de gestionnaire. Bien avant la démocratisation de l’informatique, il met en place un système Cardex, une méthode de tenue de registres particulièrement efficace. Cette rigueur dans l’administration le définira pour le reste de sa carrière.
«Avec mon système, j’avais toutes les données, le nom du client, l’adresse, le numéro de téléphone, la date d’achat. S’il y avait un problème, j’avais toute l’information. Ça nous permettait d’aider la clientèle avec les garanties, de mieux la servir. Nous avons commencé ça sur une base solide.» Le ton était donné.
Surnommée les Télévisions Hitachi, «faut dire qu’on en a vendu pas mal», souligne sourire en coin M. Fournier, le petit commerce contribue à faire entrer la télévision à transistors dans de nombreuses maisons de Rivière-du-Loup et des environs.
De la première télé à transistors avec son écran cathodique plus profond que large nous voici aux immenses écrans OLED. Des petites boutiques de la rue Lafontaine, aux centre commerciaux, aux grandes chaines, à Amazon, Gratien Fournier a été aux premières loges de la mouvance du marché mais aussi de toutes les avancées technologiques des cinq dernières décennies.
«J’ai toujours été présent dans les conventions, je me suis toujours renseigné. Avec la gestion, j’ai embarqué dans un rôle que je n’ai jamais pu lâcher. J’aime ça. J’ai même fait mes cours du soir à l’université pour obtenir mon diplôme de comptable général agréé.»
Quand on lui demande de cibler les dates importantes de sa longue carrière, il cible les années 1983 et 1987, celles qui représentent le zénith de sa carrière. La première est celle du grand déménagement dans leurs locaux actuels à l’angle des rues Lafontaine et Hôtel-de-Ville. À ses dires, le déménagement a été le fer de lance de la croissance du commerce. La deuxième date, 1987, est celle où il a fait l’acquisition du commerce avec François D’Amours.
«Je terminais l’université en comptabilité. Dans ce temps-là, de l’ouvrage il n’y en avait pas et travailler dans un bureau de comptable, ça ne m’intéressait pas. André m’a parlé de Gratien et ç’a cliqué», raconte en riant François D’Amours.
«Acheter le magasin est le meilleur coup de ma carrière. Le meilleur et le pire, souligne pince-sans-rire M. Fournier. Je travaillais déjà beaucoup, mais là je travaillais encore plus. On a fait évoluer le magasin, on a poussé l’audio, on a entré la photo et l’informatique.» La vente au détail est une maitresse exigeante, il ne s’en cache pas, mais il ne s’en plaint pas non plus.
«La clientèle d’aujourd’hui aime être bien servie et c’est de plus en plus difficile d’être bien servi. Mais quand un client entre ici, on lui fait comprendre qu’il est important. Il se sent en sécurité ici. Nous sommes un commerce de proximité, et ça ne changera jamais.»
M. Fournier retient aussi les nombreux voyages, offerts par les fournisseurs aux détaillants les plus méritants. Voyages qui lui ont permis de visiter de nombreux pays, comme la Norvège, la Suède, la France, et même le Brésil. «Des voyages de millionnaires, qu’on n’aurait jamais eu les moyens de se payer», souligne-t-il.
Malgré les années qui érodent parfois les passions les plus fortes, Gratien Fournier ne compte pas quitter son magasin de sitôt. «Tant que je vais être en mesure de travailler, je vais travailler. Je vais être là. J’aime encore ça. Nous avons toujours eu de bons employés et c’est encore le cas. Je suis chanceux. Des vacances ? Oh, non, je n’en ai pas pris depuis quelques années.»
François D’Amours retient de son associé, de son ami aussi, sa passion, sa profonde honnêteté, et son respect pour la clientèle et ses collègues. «Gratien, ce n’est pas un “boss”. On travaille avec lui. Il a pris sur ses épaules l’administration du magasin. De nous tous, il est certainement celui qui se renseigne le plus. Il faut comprendre à quel point Gratien c’est un super travaillant, un homme de principe, de famille aussi. En 36 ans, on ne s’est jamais chicané. C’est ça Gratien.»
Certains rêvent d’une retraite dorée dès l’âge de 40 ans, d’autres, comme Gratien Fournier, la repoussent indéfiniment. Après 51 ans au sein de l’entreprise, l’usure du temps, celle qui fait courber les dos, raidir les ligaments, plisser la peau, n’a pas su altérer sa passion.
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