Oléoduc : «Qui va payer pour?»
Un projet de transport d’hydrocarbures entre l’ouest et l’est du pays est-il encore viable en 2025? Des investisseurs sont-ils prêts à engager des sommes titanesques pour qu’un tel projet voie le jour, dans un contexte économique et énergétique aussi instable et incertain? Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, n’y croit pas.
«Relancer ces mégaprojets ne fait aucun sens sur le plan économique», a-t-elle tranché, lors d’un entretien, à la mi-février. «Comme pour les années passées, les investissements dans de nouvelles infrastructures de pétrole ou de gaz demeurent risqués.»
Mme Whitmore donne l’exemple de l’extension du réseau TransMountain, l’un des derniers projets de pipeline à avoir été réalisé dans l’Ouest canadien. Si le passé est garant de l’avenir, il est difficile de croire qu’un mégaprojet comme celui d’Énergie Est puisse être ressuscité, quoi qu’en pensent certains politiciens.
«Le projet de TransMountain a pris 12 ans à se réaliser. En cours de route, des investisseurs l’ont abandonné en raison du manque de rentabilité. Le gouvernement fédéral l’a racheté pour 4,5 milliards de dollars et au final il aura couté plus de 34 milliards aux contribuables», a-t-elle soutenu. «Un projet de pipeline, c’est long et extrêmement couteux. C’est aussi difficile à amortir, donc très risqué.»
Il va sans dire qu’un oléoduc pouvant transporter des hydrocarbures vers l’est couterait «encore plus cher», ne serait-ce qu’en raison de l’immense distance à parcourir. En 2016, on estimait la longueur d’Énergie Est à plus de 4 600 kilomètres, entre l’Alberta et le Nouveau-Brunswick, contre près de 1 000 km pour TransMountain.
Selon Johanne Whitmore, les conditions de marché sont «très volatiles» et n’encouragent pas d’éventuels investisseurs à se projeter dans l’avenir. «Tout peut changer très rapidement sur les marchés, il y a trop d’incertitudes», a-t-elle observé, soulignant que le mandat de Donald Trump à la Maison-Blanche sera terminé, tout comme celui de son prédécesseur, à la fin des travaux de construction.
Actuellement, estime-t-elle, les gens réagissent à une «soudaine urgence» de diversifier les marchés d’exportation, mais il s’agit d’un besoin à court terme auquel un pipeline ne peut pas répondre. «Menacés, les gens cherchent à riposter aux tarifs sur les produits pétroliers ou le gaz naturel par un élan patriotique à travers la construction de pipelines. Or, l’enjeu économique reste le premier facteur à considérer. La question à savoir est qui va payer pour cela?», a-t-elle analysé.
«Pour l’instant, aucun promoteur ou investisseur ne s’est engagé à relancer ces projets en raison des incertitudes sur plus de 10 ans», a-t-elle ajouté. «Si les investisseurs privés ne sont pas là, pourquoi est-ce que le public investirait dans ces projets très risqués ?»
La spécialiste croit néanmoins qu’il est important de faire preuve de vigilance. Le lobby du pétrole est «puissant» et il ne fait pas de doute que l’industrie serait favorable au développement d’un nouveau projet de pipeline…surtout si elle peut compter sur le soutien des décideurs politiques.
Johanne Whitmore maintient que les gouvernements doivent viser des «secteurs d’avenir», alignés sur les besoins de demain. Elle cible notamment le développement des infrastructures d’électricité et les chantiers améliorant la performance énergétique des industries.
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