Rivière-du-Loup - La foule murmure. Sur la scène, les musiciens de l'Orchestre symphonique de l'Estuaire (OSE) accordent doucement leurs instruments. Trônant à l'avant-plan, l'impressionnant piano brille fièrement sous les projecteurs. Dans sa longue robe noire, l'artiste fait son entrée. Coiffée à la perfection, gracieuse, elle s'arrête, regarde la foule, sourit, puis pose la main sur ce piano avec lequel elle désire ne faire qu'un.

Le signal est donné. D'un mouvement sec, le maestro abaisse sa baguette et fait résonner les premières notes du Concerto pour piano no 1 en Si bémol mineur de Tchaikovski. Caroline Beaudoin elle, attaque et entame au piano le rêve de sa vie.

«J'étais nerveuse, mais prête. Je m'étais vraiment beaucoup exercée, mais ce n'est jamais gagné. Une foule de facteurs doit être considérée: le public, l'orchestre, avec qui je n'avais joué qu'une seule fois lors de la générale», dit Caroline, qui a pu réaliser le tout grâce au docteur Réjean Grenier, son confrère soliste, qui en était à sa deuxième participation à un événement de ce genre.

En 2010, il avait organisé «Rêverie», un premier concert avec l'OSE, lors duquel lui aussi réalisait le rêve de jouer avec un ensemble symphonique. «J'avais assisté à son concert et éprouvé beaucoup d'admiration pour lui, de même qu'une pointe d'envie. Je lui en avais fait part l'année suivante, et il m'avait dit «Pourquoi ne le referions-nous pas ensemble?», dit Caroline. En répétant l'exploit tout en lui permettant de réaliser elle aussi son rêve, Réjean Grenier redonne au suivant. «Je croyais qu'un rêve ne se réalisait qu'une fois», disait-il à propos de cette deuxième rencontre symphonique pour lui.

DES PARENTS ÉMUS

Parmi l'auditoire, la famille de Caroline, ses deux enfants, Gabriel et Laurence, les yeux rivés sur leur mère, tout comme son conjoint, Étienne Charron, qui sait toute l'importance que revêt cette prestation pour sa conjointe perfectionniste. De la première rangée du balcon, il la fixe, lui transmet son énergie, lui qui, visiblement, connait chaque note, chaque passage, pour avoir entendu Caroline s'exercer encore et encore. À proximité, la lèvre de Jeannine Beaudoin tremble. Elle est venue de Thetford Mines avec son époux Marcel et ses enfants Julie et François, pour entendre jouer sa fille. Une larme de fierté, de joie, mouille doucement son visage, puis une autre et une autre.

Caroline l'entraine dans l'univers du compositeur, dont elle fait vivre l'émotion aux 1 000 spectateurs, faisant fi de la technique. Ses mains sont guidées par son cœur. Elle est en parfaite symbiose avec un piano devenu son complice. Le duo est invincible. Dans l'auditoire, plusieurs s'essuient les yeux.

Lorsqu'au signal du chef d'orchestre l'interprétation se termine, Caroline se lève, en larmes, pose la main sur sa bouche et se dirige vers le maestro qu'elle enlace pendant que la foule lui sert une ovation. «C'est la première fois dans toute ma carrière qu'une soliste se jette dans mes bras après un spectacle», blaguera Luc Chaput.

RÊVES DE JEUNESSE

Lorsqu'il a eu l'idée d'organiser ce genre d'activité afin d'amasser de l'argent pour le département d'ophtalmologie, Réjean Grenier avait interprété en 2010 le concerto pour piano de Robert Shumman, qu’il avait appris à l’âge de 16 ans. Caroline Beaudoin elle, avait aussi interprété à 17 ans la pièce qu'elle avait choisie: le concerto de Tchaikovski. «Je l'avais jouée avec une autre pianiste, mais je rêvais de l'interpréter avec un véritable orchestre symphonique».

La pression était d'autant plus forte pour cette dernière qu'elle voulait aussi démontrer à ses enfants qu'avec de la persévérance, tout est possible. Mission accomplie pour elle et le docteur Grenier, eux qui ont subjugué l'auditoire.

Au lendemain, les doigts de ce dernier étaient toujours aussi agiles, mais pour soigner ses patients au centre hospitalier. Caroline elle, y retrouvait son poste d'ingénieure, chargée de projet.

Le magnifique bijou qu'elle portait au cou lors du concert avait repris sa place dans le tiroir. On aurait cru le diamant que portait Céline Dion à la cérémonie des Oscars. À défaut d'avoir porté «Le Coeur de l'Océan», Caroline Beaudoin pourra se vanter d'avoir réalisé son rêve en transportant le coeur de l'auditoire.