La solastalgie de Catherine D’Amours, entre mémoire et territoire
Trois-Pistoles, le fleuve Saint-Laurent et ses battures sont les piliers du tout premier essai de la professeure et chercheuse à l’École de design de l’UQAM, Catherine D’Amours, intitulé «Les paysages intérieurs – Solastalgie, mémoire et territoire». Il aborde le lien émotif que l’on entretient par rapport à la nature, qui s’ancre autant dans nos mémoires que dans notre territoire.
Ses recherches mettent en valeur la région d’où elle vient, Trois-Pistoles, puisqu’elle avait besoin de mieux comprendre ses racines afin de se reconnecter au monde naturel qui l’entoure. «On est très chanceux d’avoir eu cette proximité avec un environnement qui est profondément beau. On a une chance exceptionnelle de venir d’un monde vivant aussi présent. C’est un grand privilège qui vaut la peine d’être remis en cause et revisité», exprime l’autrice.
La naissance de son fils l’a amenée à approfondir sa réflexion sur les bouleversements écologiques, sociétaux et politiques actuels. Elle a réalisé que son travail de designer, à coups de campagnes évènementielles et de promotions, faisait en quelque sorte partie du problème. Afin de trouver des réponses à ses questionnements, Catherine D’Amours s’est donné le droit de retourner aux études, et ensuite d’écrire un essai.
SOLASTALGIE
Le terme solastalgie, qui exprime un deuil des paysages disparus ou transformés, lui a permis de mettre des mots sur des sentiments qui l’envahissaient, lorsqu’elle retournait dans sa ville natale. «Il y a plein de moments particuliers où je me suis sentie bizarre et je n’arrivais pas à mettre des mots dessus. Ce néologisme permet de décrire les expériences que j’ai vécues de façon répétée.»
À l’arrivée de Catherine D’Amours dans un chalet de Trois-Pistoles pour la période des Fêtes en 2020, des glaces flottaient sur le fleuve, elle a eu droit à un paysage hivernal et enneigé. Le lendemain, une pluie tiède s’est abattue sur la région, faisant disparaitre toute la banquise sur le fleuve Saint-Laurent. Dans la rue, elle marchait dans les flaques d’eau, plutôt que dans un paysage de blanc immaculé.
«Ce moment-là m’a habitée pendant des semaines. J’ai réalisé que quelque chose se transformait dans les paysages où j’ai grandi», résume-t-elle. Même chose lorsqu’elle est retournée près du chalet de son grand-père, où l’odeur des lilas embaumait l’air. Il ne reste que des souvenirs de son vaste potager et des arbustes fleuris.
«Je pense qu’il y a quelque chose de particulier qui se passe à Trois-Pistoles. C’est hyper important pour moi que mon fils y retourne pour qu’il comprenne d’où il vient, l’histoire et de sa famille et celle qui le relie au territoire. Ça me rend émotive, j’ai vraiment écrit ce livre pour lui», souligne-t-elle.
UNE DIFFÉRENTE APPROCHE
Catherine D’Amours propose de remplacer l’écoanxiété ou l’ignorance volontaire par l’amour de l’environnement qui motive le développement d’une relation de réciprocité avec la nature.
Cette réflexion sur son rapport au monde naturel l’a amenée à transformer son approche de l’enseignement. «J’ai eu le besoin de passer à l’action. Pour calmer cette anxiété, il fallait trouver des façons de faire une différence à mon échelle.» L’essai s’est révélé comme une façon efficace de vulgariser des concepts complexes et restreints au milieu académique. «Mon premier geste, c’est de me donner le droit d’écrire et d’essayer de faire du bien.»
Selon elle, la connexion au territoire amène forcément une autre façon d’en parler et d’agir par rapport à lui, qui a tout à voir avec le savoir-être. «Notre rapport au vivant est différent, ce n’est pas tout le monde qui a cette perception-là. Le système capitaliste nous a extrait du monde vivant. Les gens le savent, mais ça reste quelque chose de flou, qui n’est pas appliqué dans leur vie.»
En tant qu’artiste, elle veut utiliser ses talents afin de les mettre à profit pour défendre des causes qui sont plus grandes qu’elle. Catherine D’Amours s’était d’ailleurs impliquée dans la mobilisation visant à sauver le traversier l’Héritage I à Trois-Pistoles, entre 2019 et 2020, en créant du visuel pour les manifestants. «Si on veut que nos petits milieux continuent d’exister et de fleurir, il ne faut pas enlever les piliers de ce qui rend ces villages-là si vivants», conclut-elle.
La préface de l’essai est signée par la cofondatrice du mouvement Mères au front, Anaïs Barbeau-Lavalette. L’ouvrage fait partie de la collection Documents de la maison d’édition Atelier 10.
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