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Gicleurs : un sentiment de résignation dans certaines RPA

durée 25 janvier 2024 | 06h04
  • Marc-Antoine Paquin
    Par Marc-Antoine Paquin

    Journaliste

    L’obligation gouvernementale d’installer des gicleurs dans la grande majorité des résidences pour ainés québécoises a été une source d’anxiété et d’accablement pour plusieurs propriétaires ces dernières années. Aujourd’hui, à environ 10 mois de la date butoir de décembre 2024, une vingtaine de résidences n’ont toujours pas ajouté le système à leur établissement au Bas-Saint-Laurent. L’échéancier est court et amène maintenant avec lui un sentiment de résignation, constate le Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA).

    Dans son rapport daté du 20 janvier 2015, le coroner Me Cyrille Delâge a recommandé à la Régie du bâtiment du Québec que l’obligation d’installer des gicleurs automatiques s’applique à tous les bâtiments certifiés, anciens et nouveaux, qu’ils soient situés en milieu rural ou urbain. 

    Depuis, la situation a beaucoup évolué. En juillet 2014, sur les 1 937 RPA certifiées au Québec, 32,5 % d’entre elles étaient munies de gicleurs (631). Au cours des dix années suivantes, on a noté une augmentation considérable du nombre de RPA qui se sont équipées de gicleurs, mais aussi un nombre important de RPA qui ont fermé leurs portes pour diverses raisons.

    Selon des informations obtenues auprès du ministère de la Santé et des Services sociaux en vertu de la Loi d’accès à l’information, en date du 31 octobre 2023, 1 011 résidences privées sur 1435 étaient complètement giclées au Québec, soit environ 70 %. Au Bas-Saint-Laurent, 23 RPA sur 107 n’étaient toujours pas munies de gicleurs. On estime la proportion de RPA conformes à environ 78,5 %. 

    «L’échéance est là, elle arrive rapidement, et au moment où on se parle, c’est certain que d’autres résidences vont fermer d’ici décembre prochain», regrette Hans Brouillette, directeur des affaires publiques au RQRA. «En ce sens, il y a une forme de résignation qui s’est installée», ajoute-t-il. 

    Le portrait est clair. À moins d’un an de la date limite, les résidences qui pouvaient aller de l’avant l’ont fait ou travaillent à terminer certains travaux. Pour d’autres - majoritairement de plus petites résidences - ce sera très difficile. Certaines seront exemptées de l’obligation, puisqu’elles comptent moins de 10 résidents, mais plusieurs autres risquent de faire partie d’une «triste statistique» de fermeture. Actuellement, en province, deux résidences ferment leurs portes chaque semaine*, selon le RQRA qui cite l’argent comme le principal facteur.  

    «Plus l’échéance arrive, plus les couts montent. Les entrepreneurs savent qu’il y a une pression et ils ajustent les prix en fonction de l’inflation et des subventions disponibles. Il y a aussi une question de disponibilité, surtout en région où des déplacements et des périodes d’hébergement sont nécessaires. L’échéance crée une rareté.»

    UNE AIDE INSUFFISANTE 

    Dans son rapport, Me Delage avait suggéré de donner aux résidences un délai de cinq ans pour se conformer à la nouvelle règlementation. La date butoir a été repoussée à quelques reprises déjà, et le programme d’aide financière dont l’objectif est d’aider les propriétaires a été bonifié plus d’une fois également, soit en janvier 2018 et en décembre 2022. 

    Or, cette aide n’est pas adéquate, elle ne l’a même jamais vraiment été, soutient le RQRA, et ce même si elle a atteint 9,1 M$ au Bas-Saint-Laurent, selon les données du ministère. L’organisme a milité pour que l’entièreté des investissements nécessaires soit couverte par le gouvernement. Elle continue de maintenir ce discours aujourd’hui, même s’il est vraisemblablement trop tard. 

    «Quand de nouvelles obligations qui amènent des couts sont imposées, dans n’importe quel secteur d’activités, ces coûts-là sont normalement transférés aux consommateurs, à l’usager, aux bénéficiaires. Dans le cas des RPA, ce n’est pas comme ça que ça se passe», a souligné Hans Brouillette.

    «On nous impose toutes sortes de règlements au nom de la sécurité - et c’est souhaitable, on veut plus de sécurité - mais sans réaliser que les RPA ne peuvent pas transférer ces coûts-là aux résidents.»

    D’une part, il explique que la capacité de payer des usagers n’est pas là, eux qui n’ont souvent pas de revenus supplémentaires et qui décaissent leurs actifs. De l’autre, il y a également au Québec une règlementation qui encadre les augmentations de loyer et qui empêche le transfert de la totalité des couts aux résidents.

    Dans ce contexte, le RQRA estime qu’il n’est pas juste et équitable de faire assumer aux propriétaires des investissements pour un ajout qui, bien que nécessaire et souhaitable, «n’apportera aucun revenu supplémentaire aux propriétaires».

    Il ajoute que ces derniers ont déjà assumé plusieurs hausses de couts ces dernières années avec l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et les couts élevés de main-d’œuvre. Plusieurs dépenses de plus, liées aux assurances, à l’ajout de mitigeurs d’eau chaude et à l’installation qu’équipements pare-feu, ont aussi eu un impact sur leurs finances. 

    «Donnons l’exemple d’une obligation qui amène un cout de 100 $. Même si on nous donne 90 $ ou 95 $, les quelques dollars restants on les prend où? C’est ça le problème. C’est de s’imaginer que les résidences vont toujours pouvoir absorber la balance», a-t-il déploré, soutenant qu’il est aussi très difficile d’obtenir des prêts dans ce contexte où les nouvelles entrées de fonds ne sont pas suffisantes pour le remboursement. 

    «On impose une obligation, on donne une partie de l’argent pour y arriver, mais le reste, les propriétaires doivent le prendre dans leurs avoirs personnels. Au final, une fois les différentes obligations respectées, on se retrouve avec des résidences qui font très peu de profits ou même pas du tout. Les propriétaires sont bénévoles à plusieurs endroits et ils finissent par abandonner.»

    «DRAME HUMAIN»

    Selon le RQRA, la lourdeur de la règlementation imposée aux RPA a créé plus d’un «drame humain» ces dernières années au Québec. Quand une fermeture survient, des ainés perdent un logement dans lequel ils vivaient parfois depuis 15-20 ans. Ils sont aussi souvent contraints de s’éloigner de leur famille et de quitter une communauté qu’ils connaissent et où ils se sentent bien. 

    «Comme autorité, c’est facile d’adopter des règlements, dire que c’est pour la bonne vertu avec ce qui s’est passé à L’Isle-Verte par exemple», a soutenu M. Brouillette. «Mais la fermeture d’une résidence à un effet sur le moral, sur le physique et sur la détérioration de la condition de l’ainé.»

    Hans Brouillette souhaite être clair : le Regroupement est en faveur de l’installation des gicleurs. Personne, dit-il, ne peut s’opposer à davantage de sécurité pour les ainés. 

    «On est tous pour la sécurité, tous pour la vertu, mais il faut avoir la possibilité de l’assumer. Faisons-le collectivement.»

    Au cours des 10 dernières années, le ministère de la Santé et des Services sociaux a compilé la fermeture de 895 résidences privées pour ainés, pour un total de 16 309 unités. Au Bas-Saint-Laurent, 67 résidences privées pour ainés ont fermé leurs portes, totalisant 903 unités. 

    Entre 2016 et 2023, les propriétaires tenus d’installer des gicleurs ont d’ailleurs été deux fois plus nombreux à fermer leur résidence que leurs homologues à la tête d’une RPA déjà entièrement «giclée », selon un rapport de recherche de l’École nationale d'administration publique (ENAP). 
     

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