Ceux qui partent trop tôt
Si les jeunes hésitent plus qu’avant –«un succès de notre mobilisation», relève Paul Marchand, le directeur de l’Association québécoise de prévention du suicide–, la génération précédente, les hommes mûrs (entre 39 et 64 ans), y voit encore trop souvent une réponse à leurs souffrances.
Pour changer cette triste réalité, le Grand Forum de la prévention du suicide, qui se tenait à Trois-Rivières du 25 au 27 septembre, présentait plus de 45 conférences, panels, ateliers et activités de sensibilisation.
Agence Science-Presse (ASP) — Lorsqu’on regarde les statistiques, ce sont les hommes entre 39 et 64 ans qui se suicident le plus souvent. Comment l’expliquez-vous?
Paul Marchand (PM) — Ces hommes dans la force de l’âge, ce sont nos leaders. On évite donc de voir le problème parce qu’on a surtout envie qu’un adulte nous «drive», pas qu’il nous retarde.
Pourtant, ce n’est pas tant la compétitivité ou la société qui met beaucoup de pression sur ces gens qui pourrait expliquer ce taux, mais bien le fait qu’une plus grande détresse est présente au quotidien chez ces gens. Et le suicide, c’est une façon de mettre fin à cette souffrance. C’est d’ailleurs au sein de cette cohorte qu’il y a le plus petit effet des facteurs de protection, ceux qui donnent la capacité de «passer à travers», comme le sentiment d’appartenance à sa communauté.
ASP — Comment a pris forme le Grand Forum de la prévention du suicide?
PM — Nous ne voulions plus d’une formule de trois jours, comme un congrès traditionnel. Nous avons privilégié des journées thématiques autour de l’engagement —s’engager dans sa communauté autochtone, s’engager contre l’homophobie, s’engager auprès des 17-23 ans– pour intéresser les quelque 400 personnes du milieu à se déplacer à Trois-Rivières.
C’est sûr, à Québec ou Montréal, nous aurions eu sans doute plus de monde. Mais c’est un congrès de synergie des acteurs avant tout. Nous avons choisi les thématiques en fonction de la prépondérance du suicide au sein de ce groupe et de l’originalité. Être en région permet aussi de traiter de sujet dont on parle moins. Par exemple, la présence des armes. En région, il y a plus de chasseurs et par conséquent, plus d’armes à feu disponibles pour celui qui voudrait s’en servir.
ASP — Vous avez une journée et des activités destinées aux proches –S’engager avec les endeuillés– où vous amenez la notion de «postvention»…
PM — La postvention, c’est l’ensemble des activités et des interventions que l’on organise après que le suicide soit complété, destiné à éviter la contagion en grappe. Ces actions doivent viser le long terme et cibler toutes les personnes susceptibles d’être touchées par le suicide. Le premier geste est d’identifier les personnes les plus vulnérables et d’analyser ce qu’il convient de faire pour veiller sur elles.
Le suicide est un sujet toujours tabou. Pourtant, il occupe une grande place dans les familles et chez les endeuillés. Il faut aussi favoriser les regroupements, les lieux de parole et les témoignages qui ont une force de frappe non négligeable. Au Québec, nous en sommes encore qu’aux balbutiements. Chez nos voisins, il y a une grande place faite aux endeuillés avec des services offerts, des évènements et même un congrès qui leur est destiné.
ASP — Vous avez présenté au forum une carte de prévention des suicides des régions du Québec, de quoi s’agit-il?
PM — J’ai visité la moitié du réseau de prévention du Québec et j’ai isolé 20 bons coups en matière de prévention. Par exemple, sur la Côte-Nord, il y a deux réseaux qui travaillent en collaboration. En Gaspésie, la postvention est une mesure systématisée. Je rêve d’un Québec sans suicide où le réseautage et les interventions de prévention bâtiraient un lieu épargné par ce drame. Car le suicide n’est pas une option. Lorsqu’une personne souffre, son jugement est altéré. Elle ne choisit pas de mourir, mais elle veut que s’arrêtent ses souffrances. Ce n’est pas la vision romantique que l’on peut parfois en avoir. La meilleure prévention est la mobilisation sociale. Il ne faut pas banaliser le suicide. Il faut en parler le plus possible autour de soi.
Source : Isabelle Burgun, Agence Science-Presse
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