Wolastoqiyik Wahsipekuk
La mémoire retrouvée d’une Nation
L’histoire de la Première Nation Malécite de Viger qui a repris son nom Wolastoqiyik Wahsipekuk est unique et il s’en sera fallu de peu pour qu’elle ne résonne plus dans la mémoire collective. C’est cette histoire que Camil Girard et Carl Brisson mettent en lumière dans le livre Alliance et traités avec les peuples autochtones du Québec, l’histoire de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, la nation Malécite du Saint-Laurent.
Camil Girard, docteur en histoire et professeur-chercheur associé à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et Carl Brisson, géographe et chargé de cours à l’UQAC, ont effectué un véritable travail de moine. Pendant près de deux ans, ils ont plongé dans environ 4 500 documents archivés mis à leur disposition par les Malécites du Québec.
Le livre de 372 pages paru en mars dernier aux Presses de l’Université Laval se veut une pièce maitresse du passé de la Première Nation. L’ouvrage est abondamment illustré de cartes et de traités. Il faut savoir que les Malécites sont parmi les premiers à signer avec Champlain l’alliance de mai 1603 à Tadoussac, établissant du même coup une relation de nation à nation. Lors de la Commission de 1603, le roi Henri IV les désigne par le mot «peuple». La France occupe le territoire dans des termes qui n’impliquent ni cession ou vente des terres. Les traités qui suivront permettront de préciser l’étendue du territoire malécite.
TERRITOIRE
Le livre met en exergue l’une des particularités de la Première Nation Malécite de l’ère moderne, la dispersion de ses membres. Dépossédés d’un territoire qui s’étendait à l’ouest avec la rivière Chaudière jusqu’à l’est à la rivière Mitis, au nord au fleuve Saint-Laurent et au sud jusqu’au nord du Maine et du Nouveau Brunswick, les Malécites, privés même d’une véritable réserve, ont été condamnés à devenir un peuple errant.
L’ouvrage démontre clairement l’impact des années 1850. On assiste aux premières lois qui viendront définir les territoires autochtones qui deviendront les réserves. Puis, la Confédération canadienne en 1867 vient fédérer l’exclusion des peuples autochtones. L’allié du passé devient l’indien, un mineur sous tutelle de l’État. Un indien qui se verra confiné à l’oubli. «C’est un virage à 180 degrés, c’est une stratégie pour éteindre les nations autochtones», laisse tomber le Kévin Morais, Chef à la gouvernance, finance et trésorie de la Première Nation.
CULTURE DE L’OUBLI
Dans leur conclusion, les auteurs soulignent bien que cette dispersion mène à la perte de la mémoire des Malécites du Québec. Un peuple contraint et condamné à s’oublier lui-même. «Ce système force l’oubli qu’on renvoie au Peuple», ajoute Camil Girard. Une Nation qui se retrouve amputée de sa propre mémoire.
Cette culture de l’oubli est à ce point ancrée que les Malécites du Québec souhaitant obtenir des terres afin de s’y établir en 1827 seront identifiés par le gouvernement comme des Abénaquis.
«C’est cet héritage de l’oubli planifié qui explique la quasi-disparition des Malécites du
Québec des nations autochtones jusqu’en 1987», écrivent MM. Girard et Brisson. Mais c’était sans compter sur la détermination de quelques familles résilientes qui ont porté sur leurs épaules cette reprise de l’identité. «Nous les avons toutes nommées dans les pages 242 et 243 c’était important de le faire», ajoute M. Girard.
On retrouve d’ailleurs en annexe tous les traités signés depuis 1726, venant ainsi remettre en question, selon les chercheurs, la croyance populaire que la Proclamation royale est le premier traité reconnaissant les droits fondamentaux des peuples autochtones. «C’est le régime français, dans des traités avec des alliances, à la fois avec les Français, mais aussi à la fois avec les Britanniques. La Proclamation n’invente pas tout. Mais il faut chercher derrière», souligne Camil Girard.
Leur recherche vient justement mettre en lumière le lien intrinsèque entre les Premières Nations et les pays d’Europe. Les auteurs démontrent que les alliances entre les Premières Nations, d’abord avec la France puis avec l’Angleterre, sont incontournables et essentielles à l’établissement des colonies en Amérique du Nord, mais aussi que ces mêmes alliances permettaient aux Autochtones d’assoir leur autonomie sur leurs terres.
GENÈSE
C’est à l’initiative du chef Kévin Morais, qui signe justement la préface, que le livre existe. Jamais la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk n’avait été l’objet d’une recherche scientifique. «Le groupe de recherche en histoire de l’UQAC avait déjà produit d’autres livres et j’ai assisté à un de leur lancement. J’ai rencontré Camil Girard à ce moment. C’est-là qu’une graine a été semée, en 2017. Nous sommes une nation méconnue qui a été absente de la place publique pendant plusieurs années et nous avions l’occasion de retracer et transcrire cette histoire», raconte le chef Morais.
En 2019, MM. Girard et Brisson ont transmis le rapport de cette recherche et ont manifesté le souhait d’en produire un livre de référence qui ultimement allait être publié ce printemps par les Presses de l’Université Laval. Chacune des familles de la Première Nation Malécite en a reçu un exemplaire de luxe à couverture rigide.
«Pour la Nation c’est un ouvrage précieux. C’est une fierté. C’est une question omniprésente pour nous, de connaitre notre histoire, notre langue. Avant l’arrivée des Européens, notre histoire n’était pas écrite, mais à partir du moment où il y a des écrits, nous pouvons remonter dans le temps. C’est un document qui s’inscrit dans notre réappropriation culturelle. Ça renforce notre identité et ça justifie notre présence au Bas-Saint-Laurent et ce qu’on fait aujourd’hui», explique Kévin Morais.
GRAND CHEF TREMBLAY
Pour le Grand Chef de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, Jacques Tremblay, le livre s’inscrit dans l’histoire puisqu’il s’agira du premier ouvrage portant sur la Première Nation Malécite de Viger à se retrouver à la grande Bibliothèque nationale. Toutefois, ce dernier a souligné l’apport de Ghislain Michaud et de son livre «Les gardiens des portages: l’histoire des Malécites du Québec» publié à Les Éditions GID en 2003. «Il a fait du beau travail et il faut le souligner aussi. C’était un point de départ important, mais cette fois on pousse un peu plus loin.»
Le nouveau livre s’inscrit dans une volonté manifeste de partager les fruits de cette recherche de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk avec ses voisins. «C’est de faire reconnaitre notre histoire (...) et je crois que ça va permettre une meilleure compréhension», estime M. Tremblay.
Ce dernier est conscient de la méconnaissance du passé de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk depuis sa renaissance en 1987, une histoire qui va bien au-delà des droits ancestraux.
Le livre de Camil Girard et de Carl Brisson vient donc replacer cette histoire oubliée de la Nation Malécite du Saint-Laurent. Une Nation qui aujourd’hui a su récupérer son nom, sa culture et qui assume sans pudeur son rôle d’acteur socioéconomique… et soulignons-le avec contemporanéité.
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