Des centaines de petits pingouins en visite au large de Rivière-du-Loup
À une dizaine de kilomètres au large de Rivière-du-Loup, deux colonies de petits oiseaux noir et blanc nichent sur les iles des archipels du Pot à l’Eau-de-Vie et les Pèlerins. Arrivés avec les vagues migratoires des dernières semaines, des milliers de petits pingouins ont mis le cap vers l’estuaire du Saint-Laurent pour la période de reproduction.
Les petits pingouins sont rarement vus près des côtes de Rivière-du-Loup puisqu’ils se nourrissent de lançons et de capelans, présents en quantité abondante près des iles.
Selon le dernier inventaire réalisé en 2023 par Jean-François Rail du Service canadien de la faune, on comptait environ 3 500 petits pingouins nicheurs dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent. Ce nombre est stable depuis plusieurs années. M. Rail est responsable du suivi des populations nicheuses d’oiseaux marins au Québec.
Environ 10 % de la population mondiale de petits pingouins est observée au Canada. De ce nombre, 60 % se situent dans le golfe et dans l’estuaire du Saint-Laurent. «Les populations de petits pingouins les plus à l’ouest commencent à Saint-Jean-Port-Joli [à l’ilot rocheux le Pilier-de-Bois] et ça se termine à Matane et à Pointe-des-Monts», indique-t-il.
INVENTAIRE
Pour réaliser cet inventaire, les équipes du Service canadien de la faune se rendent sur les petits ilots pour compter les œufs. Chaque œuf représente un couple nicheur. Pour les milieux plus difficiles d’accès comme les falaises ou les escarpements, les individus sont dénombrés visuellement.
«Les petites iles et les rochers sont moins accueillants pour les prédateurs, c’est pourquoi les petits pingouins évitent les grandes iles. Ils aiment les falaises et les corniches, où ils peuvent déposer leurs œufs directement sur la roche et dans les crevasses», explique le biologiste et administrateur de la Société Duvetnor, Jean-François Giroux. Les petits pingouins pondent des œufs coniques, un résultat de l’évolution, puisque cette forme les empêche de rouler et de tomber dans l’eau.
Des œufs pondus ont été observés à la fin du mois d’avril, cette année. La période de reproduction est donc déjà commencée. Les petits pingouins quittent le nid vers l’âge de 18 jours avec leurs parents. Ils seront présents dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent jusqu’à la mi-juillet. Pendant l’hiver, ils se trouvent sur la côte est américaine, le long du Maine, dans la baie de Fundy et près de Cape Cod. Ils viennent nicher dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent et repartent ensuite.
Les petits pingouins bénéficient d’un large terrain de jeu dans la région, puisque la Réserve nationale de faune des Îles-de-l’Estuaire, qui est protégée par Environnement Canada, compte une dizaine d’iles réparties sur 120 kilomètres entre Kamouraska et Le Bic.
«Ce n’est pas une espèce menacée, mais elle est sensible aux changements du milieu estuarien. L’écosystème du Saint-Laurent est en train de changer. À court terme, les colonies sont stables. On a des craintes pour l’avenir en raison de l’augmentation de la température de l’eau et de la baisse de la concentration en oxygène dans le fleuve», précise le biologiste Jean-François Giroux.
L’an dernier, le capelan a peu «roulé», c’est-à-dire frayé, sur les plages, ce qui a un effet direct sur l’abondance de la nourriture pour les petits pingouins. Cela pourrait se répercuter sur le succès reproducteur de cet oiseau marin, en raison de la moins grande disponibilité de la nourriture.
ÉTUDE
Entre 2015 et 2018, le chercheur Raphaël Lavoie d’Environnement et Changement climatique Canada a suivi 58 petits pingouins à l’aide d’émetteurs GPS dans six colonies réparties le long du fleuve Saint-Laurent. Cette étude du Service canadien de la faune avait pour objectif de réaliser une carte de répartition en mer des petits pingouins pendant leur période de reproduction, entre les mois de mai et juillet.
Parmi les colonies suivies, on retrouve celles du Gros Pot et du Gros Pèlerin, deux iles au large de Rivière-du-Loup. M. Lavoie s’intéresse aux risques environnementaux comme les déversements de pétrole et aux effets qu’ils peuvent avoir sur les oiseaux marins.
«Nous voulions connaitre les endroits où ils vont et la densité d’oiseaux. Quelles sont les conditions marines qui font en sorte qu’ils ont plus de probabilité de se rassembler à ces endroits? Nous avons extrapolé ces conditions environnementales à travers les 85 colonies de petits pingouins sur le fleuve Saint-Laurent.»
L’absence de prédateurs, comme les renards qui mangent les œufs, en fait des secteurs de choix pour les oiseaux marins. Le plus important point chaud, où les conditions océanographiques sont propices pour le petit pingouin, est les iles Sainte-Marie, dans la région de la Basse-Côte-Nord. Il s’agit d’une aire protégée par le gouvernement canadien. En deuxième position, on retrouve tout l’estuaire du fleuve Saint-Laurent, dont une grande zone qui englobe le secteur de Rivière-du-Loup.
«Ça nous permet de connaitre les endroits où il y a plus de risques pour cette espèce-là. Si on connait bien les réalités locales, on peut intervenir dans le cadre d’une urgence environnementale», ajoute M. Lavoie.
Il explique que les risques de déversement ou d’urgence environnementale sont plus denses où le fleuve Saint-Laurent se rétrécit et où le trafic maritime se densifie. «Ça nous montre les points chauds et où des efforts de conservation pourraient être dirigés.»
Comme cette espèce est vulnérable aux risques environnementaux, les experts sont unanimes : les petits pingouins sont un excellent indicateur de la santé de l’écosystème du fleuve Saint-Laurent.
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