Francisation
Au-delà des chiffres, de la Tunisie à Rivière-du-Loup
Cette histoire est celle de Maha Khezami, de Ahmed Namouchi et de leurs deux fils Ayoub, âgé de sept ans, et Mahdi, un an et demi, arrivés à Rivière-du-Loup dans la froidure de décembre, en 2023. C’est aussi celle de milliers d’autres familles néo-québécoises, qui ont fait le choix de se déraciner de leur pays en quête d’une meilleure vie pour leur famille.
Assis sur de petites chaises dans une classe de maternelle de l’école La Croisée I, ils ont accepté de se poser pendant une heure afin de raconter leur parcours. Leurs paroles sont entrecoupées des babillages de leur fils cadet, Mahdi, à la découverte d’un nouvel environnement. Ayoub est venu rejoindre ses parents quelques minutes plus tard, à l’heure de la collation.
Avant de prendre l’avion vers le Québec, Ayoub a pu découvrir sa future école en photos. Ses parents étaient déjà en contact avec Chantale Boucher, conseillère pédagogique en francisation et éducation interculturelle au Centre de services scolaire (CSS) de Kamouraska-Rivière-du-Loup, pour faciliter leur arrivée dans la province. Elle est d’ailleurs présente avec eux lors de l’entretien avec Info Dimanche.
«C’est la force qui nous a aidés, parce qu’on avait peur pour notre enfant au départ, précise Ahmed Namouchi. C’était primordial, qu’on soit rassurés que notre fils prenne sa place, pour qu’on s’occupe de notre installation.» En quelques heures, la petite famille est passée du soleil chaud de la Tunisie à la rigueur de l’hiver québécois. Heureusement, cette transition a été méticuleusement préparée.
CRAINTES
Ahmed Namouchi et Maha Khezami ont tous les deux appris le français lors de leur parcours scolaire. «En Tunisie, on commence à enseigner le français dans les écoles publiques à partir de la 3e année de primaire. L’enseignement de Ayoub était purement en arabe», explique le père de famille.
De son côté, Maha s’inquiétait pour son fils. Elle craignait qu’il n’arrive pas à se faire comprendre par son enseignante pour des demandes aussi simples qu’aller aux toilettes. La courbe d’apprentissage, pour son fils alors âgé de six ans, était très prononcée. À la maison, ses parents parlent arabe. Le jeune garçon a pu avoir l’aide de son père, qui a enseigné le français langue seconde au primaire en Tunisie.
«On savait qu’il n’allait rien comprendre au départ. Il parlait juste un peu français, [il connaissait] les nombres, les couleurs», raconte Ahmed Namouchi. Son défi principal a été de le préparer à cette réalité.
Dès le troisième jour de son arrivée au Québec, le couple a rencontré l’enseignante d’Ayoub. Ils ont pu visiter sa classe et savoir à quel bureau leur fils s’assoirait. «Ça nous a beaucoup aidés pour être confiants et pour lui transmettre ça.»
Selon la conseillère pédagogique Chantale Boucher, l’essentiel est que l’enfant se sente le bienvenu dans sa classe. Son travail est principalement de créer des ponts entre les enseignantes et les familles nouvellement arrivées dans la région. Besoins en matériel scolaire, informations sur les vêtements d’hiver, aide à l’intégration à l’école, ses interventions sont multiples afin de rendre cette transition un peu plus douce pour les familles qui ont choisi d’immigrer dans la région.
Au CSS de Kamouraska-Rivière-du-Loup, il n’y a pas de classe de francisation. Les élèves immigrants sont intégrés directement dans les classes «ordinaires» et des cours de francisation, appelés «intégration linguistique, scolaire et sociale» sont ajoutés à leur cursus.
«Si on voit qu’un élève ne parle pas français et qu’il ne pourra pas réussir à suivre le programme régulier, on le place en modification des attentes pour éviter de les mettre en échec», explique Chantale Boucher. La plupart d’entre eux ne seront pas en mesure de suivre le programme éducatif en raison de leur apprentissage de la langue française. Ils bénéficient donc d’un bulletin scolaire spécial. Au début du mois de novembre, tous les services en francisation ont été coupés à travers le Québec dans le secteur adulte. Les cours se poursuivent toujours au préscolaire, au primaire et au secondaire.
ADAPTATION
Les deux parents d’Ayoub ont eux aussi eu besoin d’une période d’adaptation, confrontés au mur de l’accent québécois, avec ses voyelles distinctives. «On n’arrivait pas à comprendre le français du Québec», résume Mme Khezami.
«Au retour de son premier jour d’école, on lui a demandé ce qu’il avait compris. Il a dit : rien […] Il ne comprenait même pas les prénoms de ses amis», se rappelle M. Namouchi. Toutefois, son fils lui racontait ses jeux avec les autres enfants dans la cour d’école, un langage universel.
Quand Maha se tourne vers son fils ainé, on peut voir toute sa fierté dans son regard. Avec le temps, ses craintes se sont estompées. «Après trois mois, j’étais très contente et très fière de lui parce qu’il parle bien le français. Maintenant, il a oublié la langue arabe. On essaie de l’entrainer pour parler en arabe à la maison…»
Au fil des semaines, Ahmed et Maha ont été aux premières loges de l’apprentissage fulgurant de leur fils. «On voit la progression de Ayoub. Elle est énorme. Après un an, il parle bien le français du Québec. Il comprend lorsqu’il regarde la télé. Parfois, il commence à nous corriger un peu sur notre prononciation […] On accepte ça. On sait que la communication est primordiale pour lui, parce qu’il veut avoir des amis», renchérit Ahmed. Passe-partout a d’ailleurs été d’un grand secours afin de faciliter l’apprentissage de la langue.
Après seulement un an, Ayoub peut maintenant soutenir une conversation en français et répondre à des questions sur son parcours scolaire sans difficulté. Il est même volubile, en présence de ses parents et de son jeune frère. «C’était trop difficile de parler en français quand je suis arrivé en première année. La maitresse, elle m’a appris à parler en français. Maintenant c’est trop facile [...] À la maison, je parle beaucoup le français et un peu en arabe», partage Ayoub. Il aide naturellement les autres élèves de la classe d’intégration à s’approprier la langue. Hors de l’école, Ayoub s’est découvert un intérêt et un talent pour le patinage. Son père croit que son intégration dans son milieu passera aussi par la pratique de sports d’hiver.
«Lorsqu’on est venu ici, on n’a pas regretté. On a fait le bon choix. On compte rester ici, on ne va pas changer […] C’est au-delà de ce qu’on a espéré, honnêtement. On sait que beaucoup d’autres portes vont s’ouvrir, on l’espère», conclut Ahmed Namouchi. Ayoub passera les prochaines semaines avec sa mère en Tunisie. C’est la première fois qu’ils retourneront dans leur pays natal depuis leur arrivée au Canada, il y a un an.
En novembre 2021, on comptait 149 élèves immigrants inscrits dans les établissements du Centre de services scolaires de Kamouraska-Rivière-du-Loup. Parmi eux, 35 élèves recevaient des services en francisation. Trois ans plus tard, on en dénombre 343. Leur nombre a plus que doublé. En 2024, 165 élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire ont recours à des services en francisation. Le CSS a été appelé à développer ses services rapidement afin de répondre à la demande.
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