Cris du cœur pour sauver les cours de francisation
Le désarroi était palpable chez plus d’une vingtaine de manifestants rassemblés à Rivière-du-Loup devant le bureau de la députée de Rivière-du-Loup-Témiscouata, Amélie Dionne, le 29 novembre. Depuis aujourd’hui, les services de francisation pour les adultes ont pris fin, plongeant plus de 200 élèves et une quinzaine d’enseignantes de la région dans l’incertitude.
Gambie, Pérou, Maroc, Tunisie, Colombie, Brésil, les origines des manifestants formaient une mosaïque unifiée pour une seule cause : la sauvegarde des cours de francisation. Mayra Jaimes est originaire du Pérou et elle habite maintenant à Saint-Modeste. Après six mois de démarches, elle a enfin réussi à s’inscrire aux cours de francisation en janvier 2024, au Centre d’éducation des adultes de Rivière-du-Loup. «C’est inquiétant. J’aimerais faire la formation de comptabilité. Les cours de français sont essentiels pour moi, si je veux avancer dans ma vie», résume-t-elle.
Mme Jaimes indique qu’elle vivait un stress pendant qu’elle restait seule à la maison, alors qu’elle ne maitrisait pas la langue française. «Grâce à la francisation, la solitude est finie. Je me suis fait des amis et je connais plus le Québec. C’est comme ça aussi que j’ai pu connaître plus de personnes», ajoute-t-elle.
Ces services lui ont permis de briser l’isolement et de mieux s'intégrer au coeur de sa communauté d’accueil. «Rester à la maison, surtout l’hiver, quand tu viens d’un pays chaud et que tu ne sais pas grand-chose d’ici, c’est dur. Je connais plus les sports d’hiver. Les profs nous ont fait nous promener partout dans la région. C’est quelque chose de très important.»
Lors de la manifestation du 29 novembre devant le bureau de la députée Amélie Dionne, elle a souhaité lancer un message clair au gouvernement du Québec, en français.
«Il ne faut pas arrêter la francisation pour les nouveaux arrivants si vous voulez préserver le français et si vous voulez nous permettre de nous intégrer à la société québécoise.»
ÉTUDIANTS ET ENSEIGNANTES TOUCHÉS
Pour le Centre de services scolaire Kamouraska-Rivière-du-Loup, cette cessation des cours de francisation concerne 170 élèves et 11 membres du personnel enseignant, dont la majorité à temps partiel. Au Centre de services scolaire du Fleuve-et-des-Lacs, l’arrêt de la francisation affecte 33 élèves et 4 enseignants.
«Quand je suis arrivée ici tantôt, j’ai vu cette belle gang multiculturelle. Pour eux, c’est la fin d’un milieu de vie. C’est ça aussi, la classe de francisation. Ces enseignantes sont la référence pour beaucoup de choses, outre l’apprentissage de la langue», souligne la présidente du Syndicat de l’enseignement du Grand-Portage (SEGP), Natacha Blanchet.
Catherine Bédard-Nadeau, enseignante en francisation dans le secteur de Saint-Pascal, se retrouve devant un mur de questions sans réponse. Elle a appris au début du mois qu’elle perdrait son emploi le 29 novembre. «Je suis complètement dans le flou. C’est une journée très triste pour moi aujourd’hui parce que je fais partie des enseignantes à qui on n’a rien offert encore», témoigne-t-elle.
Ses étudiants ont besoin de progresser en français et ils représentent une main-d’œuvre qui est particulièrement en demande dans la région. Elle ne croit pas à la qualité d’un enseignement offert uniquement en ligne pour ce profil d’étudiants. Mme Bédard-Nadeau souligne que les cours de francisation vont beaucoup plus loin que de simples leçons de grammaire. «On enseigne la façon d’être au Québec. C’est un endroit où plein de ressources sont données aux étudiants. Je ne sais pas comment on va remplacer ça. Je trouve ça excessivement triste. C’est vraiment une journée sombre.»
La présidente du SEGP, Natacha Blanchet, déplore que le gouvernement ne se rende pas sur le terrain pour voir dans les classes de francisation ce qui s’y passe. «Tout le monde se lance la balle : le fédéral, le provincial, le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration avec le ministère de l’Éducation et le gouvernement qui lance la balle aussi aux centres de services. C’est une partie de ping-pong», résume-t-elle.
Dans la région, le Centre d’éducation des adultes était le seul endroit où les cours de francisation étaient disponibles pour les nouveaux arrivants. Ces derniers se retrouvent désormais devant un vide de services.
En juillet 2024, le ministère de l’Éducation a publié les règles budgétaires de fonctionnement concernant la francisation pour les années 2024 à 2027. Pour l’année scolaire qui est en cours, la limite de financement a été déterminée en fonction du nombre d’équivalents temps plein déclarés en 2020-2021, en pleine pandémie. À ce moment, on ne comptait qu’une seule classe de francisation au Centre de services scolaire de Kamouraska-Rivière-du-Loup et aucune à du Fleuve-et-des-Lacs. Avant cette modification, elle était définie en fonction des besoins des deux années précédentes.
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