Les progrès de l’alphabétisation sur la Côte-du-Sud
Que de changements, depuis le début de la colonie, dans le domaine de l’éducation! Nous sommes passés d’une population où il n’y avait pas d’écoles, à la Loi sur l’Instruction publique du Québec qui légifère pour l'amélioration du système sous la responsabilité du ministère de l’Éducation du Québec. Cette loi a été adoptée en 1988 et elle résulte de la modernisation de plusieurs anciennes mesures initiées en 1829, 1867 et 1964. De la petite ardoise à l’ordinateur.
De nos jours, le monde de l’écriture joue un rôle essentiel dans la plupart des activités de la vie. Ce ne fut pourtant pas toujours le cas. En 1736, l’intendant Hocquart déplore la piètre éducation des enfants d’officiers et de gentilshommes : à peine savent-ils lire et écrire. À la fin du Régime français, Bougainville, aide de camp de Montcalm, constate que la très grande majorité des enfants ne sait pas écrire. Sous l’administration coloniale britannique, on dénonce encore l’ignorance des Canadiens. Les marchands de Québec signalent, en 1786, la médiocre instruction de la jeunesse : « Sauf dans les villes dont certes les écoles ne sauraient être vantées, [l’éducation] se borne au sexe féminin; cinq ou six maisons d’école petites et médiocres, éparses à travers le pays, sont tenues pour l’instruction des filles par des religieuses appelées soeurs de la Congrégation, mais il n’existe aucune institution digne de ce nom qui s’occupe de celle des garçons. C’est pour cette raison que les habitants ignorent malheureusement l’usage des lettres et ils ne savent ni lire ni écrire, situation vraiment lamentable ».
Il faudra attendre jusqu’au milieu du XIXe siècle pour que la rédaction, cette capacité à communiquer par écrit, commence véritablement à s’étendre à toute la population du Québec. Sur la Côte-du-Sud -région agricole située sur la rive sud du Saint-Laurent entre la rivière Boyer à l’ouest, la ville de Rivière-du-Loup à l’est et l’état du Maine au sud-, l’évolution de l’alphabétisation suivra généralement celle de la province, grandement favorisée par les lois scolaires de 1841 et 1846.
Une population sans écoles
Entre 1680 et 1759, il n’existe aucune école sur la Côte-du-Sud. Les habitants de cette région pensent plutôt à améliorer leur situation matérielle dans un milieu neuf, à peine ouvert à la colonisation. Malgré cela, 12,9 pour cent des gens résidant ou s’étant mariés sur la Côte-du-Sud savent signer leur nom.
D’autres ont sans doute fréquenté les établissements de Québec ou de la Rive-Sud (Lévis et La Durantaye). Certains curés enseignent à leurs ouailles. Quelques maîtres itinérants vont aussi de paroisse en paroisse apprendre aux enfants, les rudiments de la grammaire et de l’arithmétique moyennant une modeste rétribution. [...] . Les premières institutions scolaires n’ouvriront qu’à la fin des années 1760.
Les premières écoles
Après la Conquête, la situation des écoles ne fait que se détériorer, malgré les efforts de la nouvelle administration coloniale. De 1760 à 1790, la province de Québec vit « la période de l’ignorance généralisée, période marquée par l’absence d’écoles élémentaires et de maîtres compétents; les vingt-trois-vingt-quatrièmes de la population perdent les notions élémentaires de la lecture et de l’écriture ».
Quelques années plus tard, certains instituteurs laïques ouvrent aussi des établissements [ ] . La crise qui secoue l’économie du Bas-Canada, au début du XIXe siècle, fait prendre conscience à la bourgeoisie commerçante, surtout anglophone, que l’instruction est le remède nécessaire aux maux de l’agriculture et du monde des affaires en général. Aussi l’Assemblée législative vote-t-elle, en 1801, la loi établissant The Royal Institution for the Advancement of Learning, premier système public d’éducation. Cependant, l’opposition du clergé catholique a un réseau non confessionnel d’écoles, dirigé par des Anglais protestants, fait que la majorité des Canadiens français prend le parti d’ignorer l’Institution Royale. (L’Acte pour l’établissement des écoles gratuites et l’avancement de la science).
L’Institution Royale
Majoritairement catholique et francophone, la population de la Côte-du-Sud n’en accepte pas moins l’installation de l’Institution Royale sur son territoire. Entre 1803 et 1818, neuf écoles qualifiées ainsi ouvrent entre Montmagny et Rivière-du-Loup : ce qui représente 40,9 pour cent de l’ensemble des institutions scolaires relevant de la loi de 1801 dans le district de Québec [ ] . Ce résultat indique une amélioration par rapport à la période précédente - 9,7 pour cent des conjoints signent entre 1760 et 1799 — [ ] .
En 1820, les instituteurs de Cap Saint-Ignace, L’Islet et Saint-Thomas enseignent tous les éléments de base du savoir : tels la lecture, l’écriture et le calcul. Parfois s’ajoutent l’anglais ou le latin. Ces matières sont données séparément et non simultanément comme de nos jours, les professeurs demandent aux parents des écoliers une rémunération variable selon la difficulté du cours.
Carte représentant la rivière Ouelle et la Côte-du-Sud
La présence d’écoles royales sur la Côte-du-Sud semble avoir été bien appréciée par la population, malgré l’opposition, voire l’hostilité de quelques membres du clergé catholique, notamment à Cap Saint-Ignace. L’inspecteur d’école, Abraham Larue, dénonce le curé de cet endroit, qui refuse toute école royale " sous le faux prétexte que les écoles établies sur les bases actuelles sont des institutions contraires à la religion! ".
La seule institution qu’il accepte est celle qu’il dirigerait. « Et tandis que dans des paroisses voisines, l’éducation fleurit à l’ombre d’une institution bienfaisante, notre malheureuse jeunesse, victime du caprice et de vains scrupules de M. Parent, croît et languit dans la plus déplorable ignorance ».
Outre les maisons d'enseignement de l’Institution Royale, la Côte-du-Sud possède aussi quelques établissements privés. En 1806, Mgr Bernard-Claude Panet, curé de Rivière-Ouelle, évêque coadjuteur de Québec et, en 1825, successeur de Mgr Plessis, envisage de fonder un pensionnat pour les filles de la paroisse et de la région de Rivière-Ouelle. La Congrégation Notre-Dame prend possession du nouveau couvent le 14 août 1809 et reçoit dès la première année une trentaine d’élèves. D’autres enseignent également. En 1816, Jean Lebrun fait la classe à la famille Têtu de Montmagny, où il demeure. Rémy Béchard montre les rudiments du français et de l’arithmétique aux enfants de John Kally, pilote de Rivière-d-Loup. [ ]
La loi des écoles de Fabrique
En 1824, le Parlement vote une seconde loi scolaire. La Loi des écoles de Fabrique n’abolit pas l’Institution Royale de 1801 qui, somme toute, ne fonctionne pas très bien en milieu francophone, mais permet la création d’un second réseau dirigé par les curés et marguilliers dans chaque paroisse. Elle répond aux voeux de Mgr Plessis, évêque de Québec, qui, tout en écartant ce qu’il considérait comme une menace anglo-protestante (loi de 1801), espérait un jour la fondation d’écoles où la doctrine catholique serait enseignée et mise en pratique. Celle de 1824 ne donne cependant pas les résultats escomptés. L’apathie demeure générale.
Vers la création d’un réseau scolaire
En 1829, une autre loi régissant la scolarité est adoptée : la loi des écoles de l’Assemblée législative. Elle sera la première à vraiment réussir à doter d’un réseau d’écoles tout le territoire habité de la province. Alors qu’en 1828, 11 679 élèves fréquentent 325 écoles; en 1836, dernière année de l’application de la loi, 1 372 écoles desservent 53 377 étudiants. En moins de dix ans, le nombre d’établissements scolaires a plus que quadruplé et la quantité d’élèves, quintuplé. De très nombreux enseignants ont profité des subventions accordées par la loi de 1829 sur la Côte-du-Sud [...] .
De 1836 à 1841, le Québec vit sans nouvelle législation dans ce domaine. Le 18 septembre 1841, le Parlement vote une loi établissant un nouveau système [ ]. Elle crée la Surintendance de l’Éducation, chargée de l’organisation et du financement du réseau. Des commissaires d’école surveillent l’application de la loi sur place, préparent les programmes d’études et visitent les établissements relevant de leur compétence. Une autre loi, adoptée le 9 juin 1846, divise le système scolaire en deux entités bien distinctes : catholique et protestante. L’imposition de taxes réservées au fonctionnement des écoles, théoriquement existantes depuis 1841, est mise en pratique. Cet élément de la loi provoquera un profond mouvement d’opposition qui, de 1846 à 1852, affectera plus ou moins fortement une grande partie du Bas-Canada. Cette époque sera connue comme celle de la « guerre des éteignoirs ».
Les paroisses de la Côte-du-Sud s’équipent plus ou moins rapidement d’une infrastructure scolaire répondant aux objectifs des lois de 1841 et de 1846. En conséquence, l’alphabétisation croît dans la région. Les mariés signent alors dans les registres paroissiaux dans une proportion de 12,4 pour cent.
La guerre des éteignoirs
En 1824, la "guerre des éteignoirs" frappe assez durement la Côte-du-Sud. La population de la région, comme d’ailleurs dans la province, s’insurge contre les taxes scolaires obligatoires. En 1846, le président des commissaires d’école de l’Islet déplore : " Un certain nombre d’individus, les plus ignorants de la localité, sont parvenus à tourner le peuple contre les écoles, en sorte que nous avons à lutter contre la presque totalité de la population qui n’envoie pas les enfants à l’école, dans le but avoué de nous faire perdre l’allocation du gouvernement et de nous en laisser toute la responsabilité. [ ] Les éteignoirs, croyant s’exempter de payer, se servent des absurdités les plus ridicules pour parvenir à leurs fins ".
Certains éteignoirs se font même élire commissaires d’école. Mais, peu à peu, les esprits se calment. Après 1850, la taxe scolaire est mieux intégrée sans doute.
Le nombre d’écoles fluctue considérablement. Entre 1846 et 1850, 17 des 40 établissements de la Côte-du-Sud ferment leurs portes [ ] . L’année 1851 marque le début d’une remontée : le nombre de maisons d’enseignement passant de 23, en 1850, à 45, en 1867. L’opposition aux taxes scolaires s’estompe et davantage de jeunes fréquentent les écoles.
Les progrès de l’alphabétisation
L’arrivée des communautés enseignantes a amélioré la qualité de l’instruction. En plus de la lecture, de l’écriture, du calcul et du latin, on y ajoute de l’histoire et de la géographie, les Frères des Écoles chrétiennes offrent des cours de portée scientifique [ ] . Les filles ne sont pas oubliées, car les religieuses de la Congrégation Notre-Dame enseignent la couture, le crochet et tout ce qui se rapporte aux travaux ménagers.
En 1860, sur l’invitation de l’abbé Dominique Racine, curé du temps, les trois premières éducatrices, religieuses du Bon-Pasteur de Québec, répondent à son désir de venir dispenser l’instruction et l’éducation à Rivière-du-Loup.
En 1885, la Commission scolaire de Rivière-du-Loup décide de construire un collège pour les garçons. Deux frères des Écoles chrétiennes furent engagés.photo
Le 7 mai 1917, les deux premières soeurs de l’Enfant-Jésus débarquent à Fraserville (Rivière-du-Loup). Elles furent invitées, en présence des ouvriers, de quelques paroissiens et d’élèves, à lever la première pelletée de terre pour la construction du Berceau de la Congrégation des Soeurs de l’Enfant-Jésus sur la rue Pouliot. Dès le mois de septembre, elles prirent la direction des classes de filles dans les salles du collège, répondant au désir de l’abbé Télesphore Thibodeau. Bref, le taux d’alphabétisation de la population de la Côte-du-Sud augmente. [...] Les nécessités de l’économie, le développement des moyens de communication et l’usage de plus en plus considérable de l’écrit dans les affaires quotidiennes feront en sorte que l’apprentissage de la lecture et de l’écriture devienne, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, un atout socio-économique majeur!
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