Parce qu’un virus ne fait pas le printemps
Après s’être confiné, après s’être littéralement gavé de données sur les chaines d’information en continu, après avoir lu et relu, parfois tout et son contraire sur le nouveau coronavirus, que l’être humain est maintenant synonyme de danger pour son semblable, «commençons par se dire bonjour» lance le Dr Jean-François De la Sablonnière, psychiatre.
Le chef du département de psychiatrie au CISSS du Bas-Saint-Laurent le reconnait d’emblée, cette absence de sociabilité a aussi un impact sur nos vies. Comme si le printemps à nos fenêtres n’arrivait pas à nous rejoindre. Comme si l’on ne pouvait plus se saluer lorsque l’on se croise à l’épicerie.
«C’est comme si nous étions tous paranoïdes. Nous sommes méfiants du contact avec un autre être humain», souligne le Dr De la Sablonnière. De nature grégaire, l’homme développe avec cette pandémie une dichotomie dans ses rapports avec ses semblables. Le psychiatre reconnait que pour plusieurs, tout contact avec un autre être humain détient une notion de danger.
«On observe nos deux mètres de distance, on a peur que la personne s’approche trop et envahisse notre bulle, car on sait que ça représente un danger alors on est terriblement moins chaleureux et en même temps, nous sommes des bestioles sociales et nous avons besoin de contact et de chaleur humaine. On va la chercher autrement cette chaleur, mais il y a des gens qui auront un manque par le confinement. (…) Les gens isolés sont plus isolés que jamais».
Le Dr De la Sablonnière observe aussi que si ce confinement n’est pas une sinécure pour les personnes seules, il l’est aussi pour certaines familles. La violence conjugale s’y trouve même exacerbée.
«Un confinement chez soi quand tu as un conjoint avec qui tu ne t’entends pas, quand il y a un conjoint verbalement ou physiquement violent, c’est un drame humain extraordinaire.» Les victimes de tels conjoints ont encore plus de difficulté à appeler à l’aide étant maintenant totalement sous le joug de leur tortionnaire. Une inquiétude manifestée par de nombreux organismes d’aide.
ET LA MARCHE ?
Comment s’aérer l’esprit dans une situation anxiogène ? «J’ai des patients qui souffrent d’anxiété sociale et ce n’est pas rare que je prescrive à ces patients de prendre une marche et quand ils croisent quelqu’un, la prescription est simple, c’est de regarder dans les yeux, de sourire et de dire bonjour.»
Un sourire, un bonjour, de petites choses simples, mais qui en ce moment apportent une bouffée d’air frais. Une prescription qui peut aussi s’appliquer à l’épicerie. «On se protège en gardant nos deux mètres, mais on ne se protège pas en regardant nos souliers», s’esclaffe le psychiatre.
CPS du KRTB
De son côté, au Centre prévention suicide (CPS) du KRTB, la coordonnatrice Hélène Lévesque, observe une hausse d’appels principalement chez la clientèle régulière de l’organisme. «Les gens sont plus anxieux, ils sont plus inquiets de ce que l’avenir leur réserve. Nous avons aussi beaucoup d’appels concernant la nourriture ou la crainte d’un manque de nourriture.»
Mme Lévesque et son équipe remarquent que depuis la crise, la population est centrée sur la couverture médiatique de la pandémie. «C’est l’après qui me préoccupe. Ça fait un mois, il y a une certaine stabilité, mais l’après-Pâques pourrait amener une certaine hausse d’appels.»
La coordonnatrice anticipe un ressac directement lié aux retrouvailles familiales manquées. «Ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec les nouvelles technologies. La solitude est plus forte dans ces cas. Nous nous sommes préparés en conséquence.»
Les mesures de distanciation sociale obligent, la période de deuil est elle aussi différente et génère sont lot d’émotions. «On reçoit des appels de gens qui n’ont pas pu finaliser les deuils. C’est un processus fragile en ce moment», ajoute Mme Lévesque.
Un plan B donc a été prévu avec l’ajout de bénévoles de jebenevole.ca, mais aussi avec l’aide de personnel issu du monde de la santé qui n’occupe pas actuellement un poste à temps plein.
CISSS
Au Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent, on note aussi une hausse d’appels via la ligne 811, une situation normale, souligne-t-on puisque la pandémie soulève son lot d’émotions et de réactions.
On observe aussi une pression exercée sur les victimes de la COVID-19. «Il y a eu des cas de harcèlement médiatique, des voisins qui se sentent investis d’un devoir de surveillance. Certains ont fait l’objet de représailles. Il y a du harcèlement sur les médias sociaux. Ces gens-là sont des victimes, il est important de leur donner un moment de répit», souligne Ariane Doucet, conseillère aux communications.
C’est notamment ce qui explique que le CISSS du Bas-Saint-Laurent ne dévoile pas l’identité des victimes. «Plutôt que des reproches, on peut leur offrir de les aider, leur offrir ses services comme par exemple faire l’épicerie.»
Les réactions sont exacerbées. Mais il faut faire confiance à la rigueur des enquêtes épidémiologiques, souligne Mme Doucet Michaud. «Quand il y a un cas dans la communauté, si vous n’avez pas été contacté, c’est parce que les risques sont moins que faibles. C’est la même chose en CPE d’urgence ou au travail. Tous les cas sont enquêtés.»
SÛRETÉ DU QUÉBEC
Le climat de suspicion est apparu au même rythme que la neige s’est retirée de nos terrains. La SQ ne s’en cache pas, la majorité des appels reçus dans ses centres d’appels sont liés à la délation de rassemblements. À tel point que le corps policier a dû intervenir et faire appel au «gros bon sens» des Québécois.
«Beaucoup de personnes nous contactent quotidiennement pour poser des questions farfelues ou rapporter des situations inappropriées (...) Oui, il faut dénoncer les rassemblements intérieurs ou extérieurs, mais il ne faut pas tomber dans la paranoïa», a souligné le sergent Claude Doiron.
Une chasse aux sorcières qui engorge les Centres de gestion des appels (CGA) dont celui du Bas-Saint-Laurent, et qui contribue à dégrader le climat social déjà mis à rude épreuve.
Notre quotidien a changé donc. Notre façon de faire ses courses ne pas fait exception, notre façon de socialiser non plus. FaceTime, Zoom, Messenger, Skype ont remplacé les traditionnelles réunions de bureau, les dimanches de Pâques en famille se vivent maintenant sous l’hospitalité de Facebook. Une situation avec laquelle il faudra composer un certain temps, du moins jusqu’à l’apparition d’un vaccin.
«Le plus grand danger sera de relâcher. Avec aussi peu de cas confirmés au Bas-Saint-Laurent, la réouverture de la région pourrait entrainer une deuxième vague beaucoup plus forte puisque nous n’aurons pas encore développé d’immunité collective», prévient le Dr De la Sablonnière.
Si l’hirondelle ne fait pas le printemps, il serait bien de ne pas laisser un virus en dicter le ton.
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