Sur les traces de la mémoire seigneuriale du Québec
Le 14 septembre se rassemblaient un peu plus de 100 personnes au Musée de la mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli pour assister à la projection du documentaire «La mémoire seigneuriale au Québec : identité et patrimoine», une réalisation de l’historienne et cinéaste Stéphanie Lanthier.
Le film a été produit au terme d’une recherche d’histoire orale intitulée «Les persistances du monde seigneurial après 1854 : culture, économie, société», menée par Benoît Grenier, historien et professeur à l’Université de Sherbrooke.
On associe volontiers le régime seigneurial à la période de la Nouvelle-France. On oublie souvent qu’il a été maintenu après la Conquête et officiellement aboli seulement en 1854. Mais sait-on que la propriété et le mode de vie seigneurial ont partiellement survécus bien longtemps après cette date ? «Par l’Acte abolissant les droits et devoirs féodaux dans la Province du Bas-Canada, adopté en décembre 1854, les seigneurs sont indemnisés pour la perte de leurs droits et, surtout, conserveront la pleine propriété des terres non concédées. […] Les censitaires, pour leur part, devront continuer à verser des rentes et la situation ne sera toujours pas réglée en 1935, lorsque le gouvernement du Québec adoptera la Loi abolissant les rentes seigneuriales. Il faudra attendre les années 1970 pour que disparaissent les derniers vestiges des rentes seigneuriales», explique M. Grenier.
Dans le cadre de ses travaux, l’historien priorise les enquêtes orales, une méthode de travail qui n’est pratiquement jamais utilisée pour des recherches sur les périodes précédant le début du XXe siècle. Cependant, pour Benoît Grenier, rencontrer des témoins vivants porteurs de la mémoire seigneuriale était la clé pour révéler l’existence des persistances seigneuriales au Québec. Ce sont pas moins de 34 individus qui ont été interviewés : descendants et descendantes de familles seigneuriales, propriétaires d’anciens manoirs seigneuriaux, amies et amis des familles seigneuriales, notaires, prêtres, historiens et historiennes, ingénieur forestier sur des terres seigneuriales, etc.
L’évènement au Musée de la mémoire vivante regroupait une partie de ces témoins et leurs proches. L’occasion de rassembler un nombre important de «familles seigneuriales» était assurément une première, du moins depuis fort longtemps. Le reste de l’assistance était composée de passionnés d’histoire et de personnes qui se sentaient également interpelées par le concept de Mémoire seigneuriale. Plusiuers Québécois se souviennent, par exemple, de leur grand-père qui payait des rentes seigneuriales, ont remarqué la présence de bancs seigneuriaux dans certaines églises ou vivent quotidiennement à proximité d’un ancien manoir seigneurial.
Par ailleurs, le lieu où s’est déroulée cette rencontre n’a rien d’anodin. D’une part, il allait de soi que le Musée de la mémoire vivante organise cette soirée puisque les entretiens réalisés par le chercheur sont déposés dans la collection du Musée. D’autre part, notons que le lieu lui-même est l’incarnation des persistances seigneuriales au Québec. En effet, le manoir reconstruit en 2008, soit près de 100 ans après son incendie, a été conçu avec les mêmes dimensions volumétriques que l’original. Quant à la mission du Musée, axée sur la mémoire et les mémoires, elle est intrinsèquement liée à l’œuvre littéraire de Philippe Aubert de Gaspé, le dernier seigneur de Port-Joly.
Commentaires