Galanteries à la gare
Par Sarah Beauregard et Johannie Dufour
Il était une fois une jeune femme et un jeune homme qui attendaient l’arrivée de leur parenté à la gare de Mont-Noël. Assis chacun sur un banc, ils étaient plongés dans leur lecture : Naoko dévorait l’autobiographie de Jaëlle, célèbre chanteuse pop, et Eduardo étudiait Cyrano de Bergerac. Soudain, une voix retentit dans les haut-parleurs :
— Votre attention, s’il vous plaît. Une tempête de neige cause un retard d’une durée indéterminée du train numéro 9 en provenance de Houx-sur-le-Lac.
Naoko et Eduardo soupirèrent et levèrent les yeux vers l’horloge de la gare. Puis, leurs regards se croisèrent pendant une seconde. Gênés, ils reprirent rapidement leur lecture. « Si je n’étais pas si timide, j’irais lui parler et nous pourrions attendre ensemble… », pensait Eduardo. « Je commence à être un peu fatiguée de lire, et ce jeune homme a l’air sympathique », songeait pour sa part Naoko.
Quelques minutes plus tard, Eduardo se leva et tenta courageusement une première approche :
— Salut! Euh… Tu attends quelqu’un?
— Évidemment, répondit Naoko avec un demi-sourire. Il n’y a rien d’autre à faire ici!
— Ha, ha! Tu as raison, lança Eduardo avant de se précipiter vers la salle de bain.
Les joues en feu et le cœur battant, il entreprit de se rafraîchir le visage et de retoucher sa coiffure. Malheureusement, dans sa hâte, il ouvrit trop grand les robinets et l’eau éclaboussa sa chemise et son pantalon! « Je suis si maladroit; elle va se moquer de moi! », se dit-il, désemparé.
Tout à coup, Octave, le cardinal rouge magique qui veillait sur la population de Mont-Noël, apparut. Sans préambule, il souffla ce conseil inusité :
— Pour aborder cette jolie dame, sois galant!
— Galant? Ça sonne 17e siècle, non?, rétorqua Eduardo, sceptique.
— Peut-être, se défendit Octave, mais les galanteries sont toujours appréciées, même à notre époque, car elles démontrent la considération et le respect.
Assimilant ces paroles, Eduardo redonna une allure décente à ses vêtements trempés en se tortillant sous le jet d’air du séchoir à mains. Puis, il se rendit de nouveau auprès de Naoko :
— Excusez mon introduction malhabile de tout à l’heure, noble demoiselle. Votre sourire angélique a provoqué la défaillance de mon cœur, et je me suis enfui comme un lâche. Pour me faire pardonner cette grossièreté, puis-je vous offrir un café ou un chocolat chaud de la machine distributrice?
Amusée par le ton démodé de son interlocuteur, Naoko accepta la proposition en riant. Comme elle frissonnait, Eduardo lui tendit son veston, qu’elle enfila avec gratitude. En sirotant leur boisson, ils se racontèrent leur vie, discutèrent de littérature et de leur parenté qui arriverait bientôt pour célébrer Noël, si la tempête daignait se calmer.
Trois heures plus tard, les haut-parleurs annoncèrent l’entrée en gare imminente du train numéro 9.
— Déjà!, s’exclamèrent les jeunes gens, qui n’avaient pas vu le temps passer.
— Eduardo…, commença Naoko d’un air espiègle. Je ne voudrais pas profiter de la situation, mais… pourrais-tu m’offrir une dernière chose?
— Oui, bien sûr. Quoi donc?
— Ton numéro de téléphone!, dit-elle, les yeux brillants.
Fier de son élève, Octave reprit son vol : « Non, la galanterie n’est pas morte, et c’est tant mieux! »