Misgenre : une histoire de poches
Andréanne Lebel
J'ai participé le 9 avril dernier à la demi-finale de slam Rivière-du-Loup, une deuxième expérience de lecture poétique à vie pour moi, devant public. J'ai eu le plaisir de pouvoir passer en finale, qui aura lieu le 14 mai. Mon but est de partager des bouts de ma réalité, de m'amuser, de faire rire, et de faire réfléchir, aussi simple que ça. Je n'avais pas nécessairement l'ambition de me rendre jusqu'en finale.
Voici mon texte coup de coeur, par les réactions qu'il a suscitées lors de sa lecture, que celles qui m'ont été communiquées par la suite. Je me suis dit qu'il fallait que ce slam vive ailleurs que simplement par ma voix, une soirée seulement.
Misgenre : une histoire de poches
Moi, je magasine des deux côtés du rack.
Mais plus souvent de l'un que de l’autre.
Je m’énarve pas trop avec ça, le linge de fille ou de gars.
Tant que je peux trimballer mon kodak sans que mes culottes craquent, ça me va. J’suis pas trop regardante.
Je ne m’étonne donc pas qu’on se méprenne sur mon sexe pendant que j’ai le nez planté entre deux cotons ouatés.
Je suis même loin d’être insultée, je m’y attends. C’est pas évident, mes cheveux, de dos, avec un gros manteau d’hiver, faut pas s’en faire…
Je pense que le Saint-Graal, je l’ai trouvé dans la section des garçons.
J’y ai fait la découverte de l’année, j’en ai presque pleuré.
J’ai pu entrer ma main jusqu’au coude dans les poches de mon pantalon. JUSQU’AU COUDE.
Faut dire qu’avant, ça prenait tout pour arriver à glisser un billet de 5$ dans la mini poche grosse comme mes deux doigts dans mes skinny jeans. Maintenant j’y mets mon cellulaire, un paquet de gomme, mon portefeuille, et même mes mains...en même temps. Je pense à l’arnaque que sont les sacs à mains.
Quel genre d’efficacité veux-tu avoir quand un objet aussi basique qu’une paire de pantalons te brime dans ta liberté? J’en suis outrée.
Mais...
Depuis que j’ai l’air d’un garçon, et que je magasine dans la section mal-aimée, j’ai ouvert mes horizons.
J’ai accès au meilleur des deux mondes.
Parce que depuis que j’ai l’air d’un garçon, je n’ai plus peur de rentrer à pied chez moi la nuit. Je n’ai plus les doigts serrés autour de mon trousseau de clés d’un coup que je me ferais attaquer. Je ne me rappelle même plus où j’ai appris ça, mais je doute de l’efficacité de cette arme serrurière entre mes mains. D'ailleurs, c’est moi qui ai l’air du potentiel agresseur maintenant.
Depuis que j’ai l’air d’un garçon, on n’essaie plus de m’embrasser sur la joue lorsqu’on me rencontre pour la première fois de ma vie. J’ai droit à une poignée de main et à un regard interrogateur.
Depuis que j’ai l’air d’un garçon, je ne me fais plus parler trop fort dans le creux de l’oreille dans les bars par des prétendants qui espèrent une suite au soleil levant. Ça tombait bien, je n’en avais rien à faire.
Depuis que j’ai l’air d’un garçon, mes amies ont la paix lors de leur soirées, parce je m’impose, je dis aux rôdeurs carnassiers qu’elles sont déjà prises. Éprises de leur émancipation et de leur indépendance. Mal prises, je suis leur glissière de sécurité, leur garde fous.
Depuis que j’ai l’air d’un garçon, des filles inconnues viennent me parler, et me dire qu’elles sont intéressées d’essayer, à coups de clin d’œil et d’accotage de tête sur l’épaule. Essayer quoi? La fluidité, c’est ouvert à tout le monde, mais je ne suis pas un sujet expérimental. Vas dont piger dans ta talle.
Depuis que j’ai l’air d’un garçon, je sais comment me faire prendre au sérieux. Quand on se trompe sur mon genre, je lève la tête et les yeux, je prononce madame avec assurance et je tends la main. Et ce n’est certainement pas avec des culottes sans poches que ça va arriver.
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