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La légende du Pére Chialeux

durée 24 juillet 2014 | 06h00

Cette semaine j’ai une surprise pour vous, lecteurs fidèles.  Le texte que vous allez lire n’est pas de moi : il a été écrit par Monique Thériault dans le cadre d’un atelier de création littéraire portant sur la légende.

Or les légendes sont faites pour être racontées de vive voix bien plus que pour être lues…  Monique a donc écrit son texte en essayant de reproduire le mieux possible le langage oral –ce qui n’est pas facile, croyez-en l’auteur du VIEUX DU BAS-DU-FLEUVE!

Alors un conseil :  lisez à haute voix le texte qui suit.  Après un ou deux paragraphes, vous prendrez le rythme, l’accent, la tonalité…  Et s’il y a des gens autour de vous, ils se croiront revenus au temps des poêles à bois et des lampes à l’huile; vous les verrez s’approcher, s’asseoir en rond et vous écouter comme vos parents écoutaient les conteurs, jadis, dans les veillées…

Monique Thériault

La légende du Pére Chialeux


L’histoère que j’vas vous conter là a beaucoup fait’ jaser dans l’temps. C’est arrivé à un habitant du fin fond du quatrième rang de L’Isle-Verte, qui passait son temps à tout’ critiquer. Le pére Anthyme Veilleux qu’y s’appelait, mais à cause de sa réputation, tout l’monde au village s’amusait un peu méchamment à l’surnommer « Le pére Chialeux ».

En plusse, y avait la sacrée manie de siffler, pis ça, ça en rebutait plusieurs; d’aucuns prétendaient qu’en faisant ça, y appelait l’diable, que c’est l’curé lui-même qui l’avait dit. On fesait même courir le bruit que c’était lui le voleur des piquets de clôture qui disparaissaient pendant la grand’messe…


Jean-Jérôme Bevilacqua, Panoramio

Mais quessé qui y é t’arrivé, j’vas tout’ vous l’conter pis je vous jure que ça s’est tout’ passé de même. Vrai comme chus là.

Ça commencé un vendredi soèr dans l’mois des morts, pis même si y fesait un vent à écorner les boeufs, tout l’monde du boutte s’était rassemblé comme d’habetude, pour placoter de tout’ pis de rien à la lueur d’une lampe à l’huile. Mais à c’te fameuse veillée-là, la parlotte a pris une drôle de tournure, parce qu’on venait d’apprendre la mort de Ti-Gus, une belle jeunesse pétant de santé, qui avait été retrouvé mort dans sa grange l’après-midi, piétiné par sa jument. Personne aurait pu y prédire une mort aussi nâvrante.

On était encôre sous l’choc, comme y disent. Le pére Chialeux, dans un coin, rongeait son frein. Un moment donné, y était comme pus capable de se r’tenir, ça fait qu’y dit :

—C’est ben mal amanché pareil. Ça serait pas mal plus jusse si on connaîtrait d’avance l’heure de not’ mort. Comme ça, si on saurait que c’est dans 30 ans, ben on s’énarverait moins pis on prendrait la vie avec un grain de sel. Ou bedon on se préparerait pour être fin prêt avant d’arriver l’aut’ bord.

Ça quasiment collé l’bec à tout l’monde, si ben qu’on est tout’ restés figés sus nos chaises.

—Tu y penses pas, Anthyme? Y a demandé Ange-Aimé Paradis, qui était r’connu pour sa jugeotte dans paroisse. Si tu sarais que ton tour est pour betôt, quossé que tu ferais? Tu ferais du sang de cochon pis tu virerais ben fou!

—Ben moé, je vous garantis que c’est de même que je voudrais que ça s’passe... Qui vienne surtout pas comme un voleur, qu’Anthyme a répondu d’un ton sec pis tranchant.

Le restant d’la veillée, je vous jure qu’on pouvait sentir quèqu’ chose de malsain planer dans l’air. On avait beau asseyer de s’changer les idées, ça restait comme imbibé dans place. Le monde ont décidé de rentrer cheuz eux ben de bonne heure, en espérant de canter ben vite.

V’là ti pas que l’lendemain, après souper, j’varnoussais autour des bâtiments, quand j’entends des bruits de roues pis de sabots, pis que j’entrevoé un homme qui fouettait ses chevaux comme une furie. « Pas humain de traiter des bêtes de même, que je me sus dit ». J’ai vu la voiture s’arrêter jusse devant l’entrée du pére Veilleux, qui s’trouvait mon voisin d’en face. Y fesait déjà noèr depuis une bonne escousse, mais j’ai r’marqué pareil des drôles de dessins gravés sus l’côté de la voiture, c’étaient des signes bizarres que j’avais jamais vus nulle part avant.

Y a un étranger qui en est débarqué: grand, mince, y était pas accoutré comme le monde de par icitte. C’t à peine si j’y voyais a face : y était emmitouflé dans un capot de chat avec un casse de poil sus à tête… Quessé qui m’a frappé, cé qu’y était habillé ben trop chaudement pour la saison! Ché pas d’oussé qui r’ssoudait, mé c’était pas dur de s’apercevoère qu’y était accoutumé à une ben plus grosse chaleur que ça de par cheuz eux.

Ça m’a fait’ un drôle d’effet, si ben qu’y a un frisson qui m’a couru le long du dos, j’avais souleur. Pourtant, chus pas facile à fére broncher d’habetude, cé moé qui vous l’dit!

Chus resté planté là comme un codinde pour voir qui cé que c’était, pis de quoi cé qu’y allait fére là. Y t’nait de quoi dans ses bras, mais j’ai pas eu le temps de voère de quoi cé qu’y en r’tournait.

Y a frappé à porte. Ça pas pris ben du temps que l’ pére Veilleux est venu rouvrir. J’le voyais dans l’cadre de la porte, y était blanc comme un drap. Ché pas si y r’doutait quèqu’ chose de louche ou bedon si y savait pas comment se dépêtrer de ça, mais j’l’avais jamais vu de même : je vous garantis qu’y avait l’air pas mal moins fendant que d’habetude.

La suite, c’est sa femme Démerise, qui était dans cuisine à c’te moment- là, qui me l’a contée. A m’a dit que le monsieur « si élégant » « qui avait des « si belles maniéres » y y’avait pas inspiré confiance tu-suite en partant. Y avait un air pas trop-trop catholique, qu’a m’a dit. A trouvé ça louche en joualvert qu’un homme soueye venu assayer de leu’ vend’e des âbres à fruits en plein mois de novembre. Pourtant c’tait un gars instruit, pour ben dire, qui parlait comme un docteur!…

En plusse, y l’a pas r’gardée pantoute, elle; jusse son mari, pis gui souriait, pis gui parlait pareil comme si c’était une vieille connaissance. Mais son homme y a donné sa parole qui l’connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Avant de r’partir, y a tenu à serrer la main d’Anthyme pis y a glissé un écorce de bouleau roulée comme un parchemin dins mains. Aussitôt qui leus a viré l’dos, le pére Veilleux l’a déroulée, c’était griffonné d’sus : « Que ta volonté soit faite ». Y’avait rien d’autre d’écrit, jusse ça.

Le pére Veilleux, y a allumé ça pas été long. Pis comme de raison, y a commencé à avoère peûr. Y s’est mis à virer en rond, y tenait pus en place. Y a levé l’rond du poêle à bois pour brûler ça, mais là, Démerise a dit qui a eu encôr plusse peûr. Des lettres pis des chiffres s’étaient formés dins braises. « Ce soir, 10 H 00 » qu’y pouvait lire comme faut. Paniqué, Anthyme a pris le tisonnier, ses mains tremblaient comme une feuille, y a assayé de déplacer les braises pour faire disparaître le message de sa vue, mais y avait rien à faire, y se reformait tu-suite.

L’feu s’est mis à crépiter comme jamais avant. Les ronds du poêle claquaient comme si y avait un tremblement de terre. Un bruit d’enfer que ça fesait. Paraît même qu’y avait des formes floues de visages toutes mal faites qui flottaient sus l’dessus du poêle.

À c’te moment-là, l’pére Veilleux a steppé pas à peu près : son horloge coucou s’est mis à sonner huit heures. Y savait pus où se garrocher…

Pis neuf heures. Y avait pratiquement toujours les yeux rivés sus l’pendule. Plusse que l’heure avançait, plusse que le pére Veilleux semblait parde la tête. Y rabâchait des afféres qui tenaient pas deboutte pantoute. Y a couru charcher l’horloge pis y s’é acharné sus les aiguilles pour assayer d’la r’mette à huit heures, comme si ça pourrait changer le cours du temps… mais y avait rien à fére, les aiguilles voulaient rien savoère pis continuaient d’avancer pareil.

Quèques segondes avant les premiers coups de dix heures, ça s’est mis à fesser dans l’mur d’la cuisine : trois gros coups. Boum! Boum! Boum! Comme un avertissement.

Dix heures tapant. À moitié fou, le pére Veilleux a r’gardé une derniére fois l’pendule, y a aperçu le coucou sortir pis se mette à chanter. Là, y a porté sa main au coeur pis jusse avant que l’oiseau disparaisse pour de bon, il s’est écrasé à terre pour jamais s’relever.

Démerise m’a donné sa parole qu’a avait senti une grosse odeur de soufre, pis qu’un paquet de boucane s’était répandu, assez qu’a avait d’la misére à respirer, pis qu’a a ben entendu un rire malfesant qui sortait du tuyau du poêle. C’est là qu’a vu son mari disparaître dains gros nuage de boucane noère. A couru se réfugier cheuz nous, c’est là qu’a nous a toute raconté quossé qui venait de s’passer.

L’lendemain matin, à barre du jour, j’ai faite l’tour des voisins pour leu demander si eux aut’ avec y avaient eu la visite du mystérieux étranger. Y s’était jusse rendu sus le pére Veilleux. Pas ailleurs. Mé la nouvelle qui s’répandait comme une traînée de poudre, c’est que la croix de chemin qui était là depuis nombre d’années avait été jetée à terre, foudroyée par un éclair.


Jean-Jérôme Bevilacqua, Panoramio

Mais tout l’monde, sans l’dire, savait ben qu’y avait pas tonné, pis que de toute façon, y a jamais d’orage à c’temps-là de l’année.

C’est pour ça que depuis c’temps-là, à l’Isle-Verte, le darnier samedi d’octobre, on a commencé à r’culer les montres pis les horloges d’un heure. Pour s’rappeler de c’te homme-là pis de son entêtement à vouloère reculer l’heure parce qui savait que la sienne avait sonnée.

Pis pour qu’on s’rappelle que dans l’fond on est ben mieux de pas connaître l’heure de not’mort.

Pis surtout qu’y faut jamais, au grand jamais, tenter le diable…

 

 

commentairesCommentaires

7

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  • A
    Annie
    temps Il y a 10 ans
    Bon texte, Mme Thériault, bravo. Pas facile à écrire, sûrement.
  • Y
    Yoann
    temps Il y a 10 ans
    Oui, beau conte ! Avec de surcroît une photo prise chez moi, j'avais l'impression d'y être.
  • S
    Stéphane
    temps Il y a 10 ans
    en effet,, c'est ben plus plaisant de lire toute la légende à voix haute!!! On a totalement l'impression de vivre toute l'histoire et on reconnait l'accent du bas du fleuve. Une sacré belle légende à lire
  • S
    S.Lemieux
    temps Il y a 10 ans
    Superbe legende....belle ecriture...on se croit dans l"histoire
    Bravo madame Theriault.....j"attends avec impatience...une prochaine histoire.....Au plaisir de vous relire .....S.L.
  • R
    Richard
    temps Il y a 10 ans
    Comme de fait, il pourrait bien y avoir une prochaine histoire de Mme Thériault un de ces jours... Et peut-être aussi d'autres histoires d'autres auteurs. Patience...

    En attendant, dès jeudi, une énigme et trois charades!
  • RD
    Réjean Deschênes
    temps Il y a 10 ans
    Merveilleux texte. Bien rendu avec finalité non-annoncée. Félicitations.
  • MT
    Monique Thériault
    temps Il y a 10 ans
    Merci beaucoup pour les commentaires.
    J’ai bien aimé aussi la façon dont le webmestre a illustré le texte.
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