L’Abîme du temps
Depuis plusieurs années, j’ai le plaisir d’animer des ateliers de création littéraire parrainés par la bibliothèque Françoise-Bédard. Au fil des sessions, ces ateliers ont groupé une douzaine de personnes intéressées et intéressantes que j’ai pris l’habitude d’appeler ma « mauvaise troupe ».
Ensemble nous avons exploré les univers du conte, de la légende, de la poésie, de l’écriture scénique, des causeries et conférences, du cinéma et de la bande dessinée –sans parler des « jeux d ‘écriture » tous plus ludiques et réjouissants les uns que les autres.
De ces ateliers sont restés des traces tangibles : un recueil de contes, un recueil de légendes, une très belle plaquette de poésie, un spectacle théâtral, et j’en passe!
Mais pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça?
C’est que récemment, en travaillant à l’écriture d’un scénario pour un court métrage (ou pour quelques planches de BD), nous avons posé la situation suivante : « Une petite fille de 9 ou 10 ans monte pour la première fois dans le grenier de ses grands-parents, à la campagne. Elle y trouve un tas d’objets qu’elle n’avait jamais vus, et elle se pose un tas de questions sur la nature et la fonction de ces objets. À quoi pouvait bien servir, par exemple, ce machin avec une grande roue et un pédalier? Cette large planche cannelée? Cette chaudière munie d’un couvercle joliment décoré? Ces espèces de tubes avec une manivelle au bout? Cette table surmontée d’une espèce de cheval en fer avec une petite roulette au derrière et un autre pédalier en dessous? »
Bref, une petite citadine d’aujourd’hui pourrait très bien n’avoir aucune idée de ce que sont un rouet, une planche à laver, une catherine, un tordeur de lessiveuse, une machine à coudre…
Est-ce si loin, pourtant?
Et nous qui avons grandi à l’époque où ces objets étaient encore utilisés, il nous arrive à nous aussi de ne plus savoir les nommer! Ainsi, l’autre jour, nous avons cherché pendant plusieurs minutes le nom de cet appareil quadrangulaire et légèrement pyramidal qui tournait pendant que le rouet filait la laine. Ça s’appelle un dévidoir; il y a même une chanson qui dit dans son refrain :
« Je le mène bien, je le mène au doigt,
Je le mène bien, mon dévidoi’ »…
Ainsi donc des mots se perdent quand ce qu’ils désignent tombe dans l’abîme du temps, sous la poussée irrépressible du progrès.
Ainsi nos noms vont tomber dans l’oubli quand nous aurons fini notre règne…
4 commentaires
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C'est vrai que c'est dommage d'oublier notre patrimoine, qu'il soit architectural, linguistique ou autre.
Faites l'expérience : montrez à un enfant d'une dizaine d'années une cassette audio ou VHS, ou un tourne-disque, ou même une télé des années 70, et demandez-lui ce que c'est. Il n'y a pas que dans l'électronique : plus jeune, je travaillais dans une pisciculture où les gens pouvaient pêcher leurs truites, et un enfant m'a demandé où était le bassin des poissons panés.
On ne sait plus ce qu'on mange, on ne sait plus ce qu'on dit, on ne sait plus ce qu'on utilise, et pourtant, la jeune génération croit tout savoir grâce à google et wikipedia.
Ah lala, de mon temps.... ;)
Pour les BD : si vous cherchez un illustrateur, ça pourrait m'intéresser.
Vous dites que « des mots se perdent quand ce qu’ils désignent tombe dans l’abîme du temps », ça me fait penser un peu aux paroles d’une chanson de Ferland.
On oublie
Tout s’oublie
Tout au long de la vie
On oublie
On oublie qu'on oublie
Il y a une part de vérité dans les deux ;)