Les vieux enfants
Il y a toutes sortes d’enfants.
Il y a les enfants tout court, qui ont quelques années d’âge, toute la vie devant eux et dont les plus graves soucis sont le choix d’un jouet ou le moyen d’aller au lit un peu plus tard.
Ces enfants-là ne se posent même pas la question sur l’existence du père Noël. Ils lui écrivent des lettres touchantes, avec des tournures maladroites et des mots déformés. Ils guettent les nuits étoilées, en essayant de prévoir le trajet que suivront les rennes. Pour eux le Pôle Nord est un pays bien plus réel que l’Angleterre ou le Brésil. Ils savent tout de son histoire, de sa géographie; ils connaissent l’apparence des ateliers où travaillent les lutins, des écuries où dorment les rennes, du palais où résident le père Noël et la fée des Étoiles.
En fait, il y a bien des choses qu’ils ne savent pas. Mais pour leurs têtes d’enfants, ce sont des choses sans importance. Ils savent qu’ils n’ont pas besoin de tout savoir puisqu’ils sont des enfants…
Mais il y a d’autres enfants, bien plus vieux, qui savent tellement de choses qu’ils en ont oublié la moitié. Des enfants qui ont quelques décennies d’âge, qui ont connu des soucis de toutes sortes, dont presque toute la vie est derrière eux. Ces enfants-là ont cru longtemps savoir la vérité à propos du père Noël…
Mais parfois, quand ils ont dépassé l’âge des certitudes et de l’arrogance, quand ils sont redevenus faibles comme des enfants tout court, ils se mettent à douter. Il leur vient des envies de jeter par-dessus bord toutes les sornettes du progrès, toutes les assurances de la science et des techniques. Ils ont travaillé toute leur vie pour essayer de se procurer des tas de jouets géants qui ne leur ont jamais donné autant de plaisir que les poupées, les jeux de construction et les traîneaux de leur enfance.
Ils sont blanchis, cassés, perclus; mais dans leurs vieux corps il reste un peu de ce qu’ils étaient avant, bien avant. De certains, on dit gentiment qu’ils ont gardé une âme d’enfant. Pour d’autres, avec moins de délicatesse, on dit qu’ils retombent en enfance!
C’est qu’à partir d’un certain moment, ils se mettent à douter. Il leur vient à l’esprit une petite question, comme une petite lueur, une petite braise qu’ils pensaient éteinte et qui se remet à jeter de petites étincelles :
« Et s’il existait? »
Alors ces autres enfants, ces bambins à tête blanche ou chauve, ces fillettes qui marchent en poussant leur déambulateur, tous ces Anciens qui devraient n’avoir plus d’illusions ni de rêves, tous ces Vieux se remettent à l’espérance.
« Si c’était vrai? »
S’il y avait quelque part (pourquoi pas au Pôle Nord?) un bon gros Père facétieux et rieur, à qui on peut confier ses peines et ses vœux? Si les lutins n’étaient pas seulement ces pantins en plastique et en tissu qui encombrent les magasins? S’il y avait une Fée des Étoiles, ou une Fée des Neiges?
« Si tout cela était vrai? »
Alors les vieux enfants, débarrassés des limites de la réalité, recommencent à vivre. Ils admettent un père Noël qui serait comme une sorte de Jésus revenu sur Terre sans que personne ne le reconnaisse. Un Jésus à barbe blanche, bien plus rieur et bien plus gras qu’à l’époque des Évangiles. Et la Fée des Étoiles, c’est peut-être une Marie-Madeleine ou une Marie tout court, avec toute la bonté du monde et toute l’indulgence de ceux qui ont beaucoup souffert.
Quand on est enfant, tout peut arriver. Il peut y avoir un Jésus naissant dans une crèche et un gros Jésus rieur en même temps. Il peut y avoir un bœuf, un âne, des moutons et en même temps des grands rennes aux larges sabots, les premiers dans la paille et le sable sous un ciel torride, les autres dans la neige sous un ciel glacial.
Quand ils sont comme ça, les vieux enfants, tout peut leur arriver. Ils rêvent de remonter le fil de leur vie, et ils retrouvent tous ceux qu’ils avaient perdus depuis longtemps, ils recommencent à courir, à jouer, à bouger comme si l’arthrose et les rhumatismes n’étaient rien que des mots bizarres.
Certains deviennent des lutins! Ils répondent aux lettres maladroites des enfants tout court, ils bricolent des poupées en chiffon et des voitures en bois, des étoiles en papier et des bonbons à la mélasse –et les enfants tout court aiment bien mieux ces babioles pleines d’amour que les savantes mécaniques des magasins.
Mais la plupart des vieux enfants ne sont pas des lutins : ils sont d’abord des enfants. Alors eux aussi, il leur arrive d’écrire au père Noël. Ils le font discrètement, à la cachette, pour ne pas embarrasser ceux qui les prennent pour des adultes incrédules et réalistes.
Qu’est-ce qu’ils demandent au père Noël? Ils demandent, sans doute, la sérénité, la douceur, la sagesse de vivre le bonheur un jour à la fois. Ils ne demandent pas des jouets –enfin, pas souvent. Ils demandent de la beauté, de la bonté. Ils remercient le père Noël d’exister. Parfois ils ne l’appellent pas « père Noël », parfois ils l’appellent « petit Jésus ». Ils lui demandent la paix sur la terre, parce qu’ils sont de bonne volonté.
Quand ils entendent les raisonnables, les rationnels, les scientifiques, les incrédules, quand ils entendent ceux-là demander, avec toute leur certitude et leur arrogance :
« Prouvez-moi donc que le père Noël existe, qu’il y a des lutins, que le petit Jésus n’était pas un enfant comme les autres?
Apportez-moi la preuve! »
Alors les vieux enfants ne disent rien, ce serait bien inutile. Les incrédules sont bien trop nombreux, bien trop savants. Et puis ils ne sont plus assez jeunes ni encore assez vieux pour savoir… Mais parfois, en plissant tous leurs rides dans un grand rire intérieur, ils répondent tout bas :
« Prouvez-moi donc que le père Noël n’existe pas? Apportez-moi la preuve qu’il n’y a pas de lutins, pas de petit Jésus? Vous dites que vous n’avez jamais vu le père Noël ni les lutins, et alors? Je n’ai jamais vu d’atome ni de mammouth, je n’ai même jamais vu un pygmée ni un séquoïa, et pourtant je vous crois quand vous me dites qu’ils existent… »
À tous mes fidèles lecteurs,
Le plus merveilleux des Noëls.
Une année 2015 remplie d’amour, de santé, de sérénité, de rires…
Je vous reviendrai seulement en janvier. En attendant, je vous invite à partager, dans la section COMMENTAIRES, vos pensées, vos souvenirs et vos contes du temps des Fêtes…
8 commentaires
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J’ai bien aimé la magie qui opère chez les petits comme chez les plus vieux enfants…
Commencerons-nous l'année avec quelques énigmes?
2015 commence un peu froidement, non? 🌟🌟🌟