Début d'un temps nouveau... vraiment?
Avertissement : Une fois n’est pas coutume : alors que chaque semaine je vous offre un texte court (réflexion, humeur, conte, légende, énigme)… je me propose, au cours des neuf prochaines semaines, de vous livrer neuf aspects d’un phénomène fort complexe : celui des « boomers ».
J’espère, chers lecteurs, que vous me resterez fidèles tout au long de cette plongée dans un passé assez récent. Car nous sommes encore au cœur même d’une période historique absolument originale.
La plupart d’entre nous, la plupart du temps, n’avons pas conscience de ce fait, pas plus que les gens du XVIe siècle n’avaient conscience de vivre la Renaissance. L’Histoire est comme un vaste édifice : pour en distinguer les détails, il faut prendre du recul.
Mais en même temps, il faut en rester assez proche pour que ces détails nous restent visibles… Au fait, certains curieux voudront le savoir, alors je vous le dis d’emblée : pour ma part je ne suis pas un « bébé-boomer »; je suis né trop tôt. Hélas?
DÉBUT D’UN TEMPS NOUVEAU… VRAIMENT?
« C’est le début d’un temps nouveau,
La Terre est à l’année zéro,
La moitié des gens n’ont pas trente ans,
Les femmes font l’amour librement,
Les hommes ne travaillent presque plus,
Le bonheur est la seule vertu… »
Le 21 mars 1970, cette chanson de Stéphane Venne, interprétée magistralement par Renée Claude, fait une entrée fracassante au palmarès québécois. Elle va devenir un cri de ralliement, un leitmotiv, un hymne international pour les baby-boomers.
On le dit alors, et on le répète : il s’est passé plus de choses sur Terre depuis 20 ans qu’au cours des 20 siècles précédents!
On le chante et on le danse : le monde quitte l’ère des Poissons pour l’ère du Verseau. Aquarius, Aquarius…
« C’est le début d’un temps nouveau,
La Terre est à l’année zéro… »
En France, mai ’68 veut ressembler à juillet 1789 : c’était bien joli de couper la tête des rois, encore faudrait-il que deux siècles plus tard la Révolution trouve son aboutissement dans une juste répartition des richesses et des pouvoirs, dans une véritable fraternité, dans une liberté sans restrictions. « Interdit d’interdire! » écrit-on sur les murs de la Sorbonne et des commissariats.
Aux États Unis, en 1969, une marche spectaculaire amène 250 000 personnes à Washington pour une manifestation contre la poursuite du conflit au Vietnam. Les campus universitaires sont des foyers de contestation à tous les niveaux. Du 15 au 18 août 1969 se tint à Bethel, près de la ville de Woodstock, un festival où de 100 000 à 200 000 personnes étaient attendues. Il en vint près de 400 000, et l’on sait combien ces jeunes vont répandre par la suite l’évangile de la contre-culture dont Woodstock fut la grand-messe.
Chez nous, 1970 est l’année de la Crise d’octobre. Le Québec et le Canada ne seront plus jamais les mêmes après ce choc brutal.
Il semble bien que pour tous, en effet, « La Terre est à l’année zéro »…
« La moitié des gens n’ont pas trente ans »
C’est bien vrai. Le Québec, par exemple, compte en 1970 autour de six millions d’habitants, dont plus de trois millions sont nés depuis 1946!
« Les femmes font l’amour librement »
La pilule anticonceptionnelle a marqué le début de la libération sexuelle. À la fin des années soixante apparaissent des slogans sur le “droit au plaisir”. Une jeune fille peut choisir ses partenaires sans crainte de se retrouver enceinte. Et puis le sida n’a pas encore été « inventé ». Faire l’amour pour le plaisir devient quelque chose de bon. Bien sûr l’Église n’est pas d’accord, mais la religion n’a plus le pouvoir d’imposer sa morale…
« Les hommes ne travaillent presque plus »
Les emplois sont multiples et variés, les syndicats prennent une place de plus en plus grande, les salaires augmentent chaque année et parfois plus souvent. On parle de la semaine de 35, voire 30 heures. On fait miroiter la retraite à 55 ans. Publicitaires, politiciens, philosophes des cafés, professeurs barbus revenant de Katmandou, tous le proclament : le temps est arrivé de la CIVILISATION DES LOISIRS.
« Le bonheur est la seule vertu »
Au grand dam des religions, le bonheur en ce monde, la jouissance sans complexe, le confort immédiat, deviennent plus importants que l’hypothétique « salut de l’âme » qui assurerait un bonheur éternel au prix de multiples sacrifices quotidiens. Non seulement les fidèles désertent-ils les églises, mais les prêtres par centaines désertent l’Église –surtout les plus jeunes! Les communautés religieuses voient taries en une seule génération leurs sources de recrutement. Plus de frères dans les écoles, plus de sœurs dans les hôpitaux, mais de fréquents mariages d’anciens prêtres, d’anciens frères, d’anciennes sœurs.
Cela dit, leurs cadets n’ont pas fini de payer pour les rêves, les illusions, la désinvolture des boomers. En France, la révolte des banlieues et la montée du radicalisme montrent que mai ’68 n’a rien changé. Aux États Unis les fils et petits-fils des déserteurs du Vietnam s’enlisent en Irak, en Afghanistan, partout.
Chez nous les deux solitudes ne sont pas encore réconciliées. Le sida pèse sur l’amour libre bien plus lourd que la morale chrétienne, et des maladies que l’on croyait éradiquées refont surface. La « rationalisation » a remplacé le plein emploi, les syndicats négocient le taux de baisse des salaires, et plus personne ne parle sans rire de la CIVILISATION DES LOISIRS.
La génération des baby-boomers voulait changer le monde. Elle a changé SON monde, en effet, comme peu de générations avant elle peuvent se vanter de l’avoir fait.
Mais elle ne fut qu’une égratignure sur l’immense parchemin de l’Histoire…
(À suivre)
8 commentaires
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Je suis en train de me dire que ça ferait un bon article pour un magazine…
Quoi de mieux qu'un blog intéressant pour y partager d'autres choses tout aussi intéressantes? (voire "déstabilisantes", en effet...)