Le premier BOOMER
À la fin des années 1950, le seul BOOMER identifié comme tel au Québec s’appelait Bernard Geoffrion. Inventeur du lancer frappé (communément appelé « slapshot »), Geoffrion joue à la droite de Jean Béliveau et terrifie les gardiens de buts pas encore masqués de Toronto, Boston, New York, Détroit et Chicago.
Est-ce une ironique coïncidence si la carrière du BOOMER (ainsi surnommé pour la puissance de son tir) ressemble à l’histoire de toute une génération, celle justement des « baby-boomers »? |
Bernard Geoffrion gagne le trophée Calder, remis à la meilleure recrue de la Ligue Nationale, en 1952. En 1955, profitant bien malgré lui de la suspension de son illustre coéquipier Maurice Richard, il gagne le championnat des marqueurs, et renouvelle cet exploit en 1961. Le 4 mars 1961, le BOOMER devient d’ailleurs le deuxième joueur (après Maurice Richard) à marquer 50 buts en une saison. Il faut dire que l’équipe des Canadiens d’alors est une merveilleuse machine de hockey, qui a remporté cinq coupes Stanley de suite entre 1955 et 1960!
Le journaliste Roland Sabourin écrit du Geoffrion de cette époque : « La vie était facile pour lui. Il semblait ne jamais avoir de problèmes. »
La première cohorte des baby-boomers, ceux qui sont nés entre 1946 et 1956, arrive sur le marché du travail vers 1965. Comme Geoffrion, ils vont réinventer la manière de « marquer des points », ils vont « défoncer les obstacles », ils vont profiter d’une extraordinaire et constante progression économique et sociale. « L’équipe du tonnerre » de Jean Lesage a mis en branle la Révolution tranquille, René Levesque entreprend la nationalisation de l’électricité. Les grands chantiers se multiplient : il faut construire des hôpitaux, des écoles, des cégeps. Il faut harnacher des rivières, ériger des barrages, creuser un métro à Montréal, inventer une île pour Expo ’67, bâtir un stade pour les Olympiques, multiplier maisons et logements, semer des centres commerciaux, implanter l’informatique, tracer des autoroutes… Les emplois sont innombrables, variés, stables, et les salaires augmentent chaque année. |
Maurice Dumas a écrit cette phrase prophétique : « Boute-en-train, rieur et pince-sans-rire, Boum-Boum Geoffrion était néanmoins un homme de grands contrastes. Il pouvait vite devenir tourmenté, inquiet et songeur. »
Au milieu des années 1960, la carrière de Bernard Geoffrion commence à battre de l’aile. D’autres sont arrivés, plus jeunes, plus forts (un certain Bobby Hull à Chicago, par exemple). Le BOOMER est poussé vers une fausse retraite; il en sort pour joindre brièvement (et sans éclat) les Rangers de New York, devient entraîneur pour une équipe de l’expansion, tourne des publicités de bière. Son passage comme entraîneur des Canadiens en 1980 pourrait être un couronnement : c’est plutôt une déchéance. L’équipe ne va plus nulle part et le pauvre BOOMER va même congédier son fils Danny avant de repartir aux États-Unis.
Les baby-boomers qui sont nés entre 1956 et 1966 arrivent sur le marché du travail après le choc pétrolier de 1973. Les grands projets sont terminés ou abandonnés, certains, comme les Olympiques de 1976, ont creusé un gouffre immense dans l’économie collective. Les emplois disponibles sont de plus en plus rares, de plus en plus précaires. Les salaires n’augmentent plus, ils sont même sauvagement coupés dans la fonction publique. L’inflation est galopante. Les aînés qui ont su économiser peuvent « placer » leurs économies à 20%, mais les hypothèques coûtent 24% aux jeunes ménages qui veulent acquérir une maison…
Comme la carrière du BOOMER Bernard Geoffrion, le parcours des baby-boomers du Québec n’est pas un long fleuve tranquille. Commencés en torrents impétueux, cette carrière et ce parcours ont été cassés en plein milieu par une chute brutale, avant de s’étirer en sinuosités marécageuses…
Épilogue, 11 mars 2006 : Bernard Geoffrion meurt le matin même du jour où les Canadiens envoient son chandail numéro 5 rejoindre, au plafond du Centre Bell et au ciel de la gloire immortelle, le chandail numéro 7 de son légendaire beau-père, Howie Morentz. Comme l’a si bien dit le journaliste François Gagnon, le Boomer « aura raté son dernier rendez-vous avec l’histoire. » |
4 commentaires
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Pour l’épilogue, j’ose croire que d’en haut, il a quand même assisté à tout….