Tous pareils pour être différents!
Les années de la Grande Crise, puis les rationnements de la guerre, avaient pesé lourd sur la mode.
Photo : Wolcott / State Archives of Florida
Pas question de fanfreluches colorées quand la première préoccupation était de se protéger du froid. Inutile de rêver dentelles quand on doit se passer les vêtements des plus vieux aux plus jeunes, quand le remplacement d’un manteau représente des mois d’économies, quand des enfants vont à l’école pieds nus, avec leurs chaussures sur l’épaule pour en prolonger les semelles.
Jusqu’à l’adolescence des premiers baby-boomers, le vêtement est utilitaire, solide, un peu terne. Les premiers principes de l’élégance sont la propreté et la « modestie[1] ».
Tout va changer après 1960. La prospérité générale, l’arrivée de la télévision, la naissance du phénomène des « idoles » vont faire éclore une extraordinaire floraison de formes, de couleurs et d’audaces.
Ce sont les Anglais, les flegmatiques et imprévisibles britanniques, qui vont effectuer la mise à feu. Mary Quant, une jeune styliste de Londres, dénude d’un coup de ciseaux les cuisses de la longiligne Twiggy. La minijupe est née, elle va envahir le monde en même temps que les chansons et la coupe de cheveux des Beatles.
Mary Quant, tout à droite, lors d’un show en Arkansas, en 1968. (Keystone)
La vague venue d’Albion submerge Paris, New York et le reste du monde. Très vite, aux minijupes succèdent les microjupes, puis les maxi, les jumpsuits, les hot pants, les pattes d’éléphant, les cols Mao, les ponchos, les saris, puis les monokinis!
Le Québec fonce avec la vague, dans le déshabillage comme dans l’habit. En effet, notre Valérie répond vite aux Emmanuelle, nos Femmes en or finissent l’Initiation!
Chaque boomer, garçon ou fille, revendique la singularité dans le plumage. Mais en même temps, bizarrement (ou naturellement?) l’instinct grégaire semble trouver une force nouvelle. Les boomers veulent être originaux, ils revendiquent haut et fort le « droit d’être eux-mêmes »… Mais ils exigent et achètent les mêmes oripaux que « leurs amis ».
Ils n’ont pas compris (combien peuvent le comprendre?) que la véritable originalité ne consiste pas à se distinguer de la génération précédente, mais à se différencier de ses contemporains!
Ainsi les champions de l’individualisme, qui ont tant manifesté contre toute forme d’uniforme, vont imposer le plus universel de tous les uniformes : le jeans.
Ce pantalon inusable que Levy avait inventé pour les gardiens de troupeaux de l’Ouest américain, cette indestructible toile de Nîmes[2] que nos grands-pères gardaient comme « culottes à vêler », ce vêtement si « commun » que personne n’aurait osé le porter sauf pour les gros travaux, voilà que tous les garçons et les filles en ont fait un vêtement de base, avant que des couturiers au nez fin n’en fassent un objet de luxe.
Photo : www.menswearstyle.co.uk
Ce n’est pas le plus bel héritage de la génération boomer…
[1] Dans la bouche des prêtres, ce mot ne désigne pas seulement le contraire de la vanité. Être « modestement vêtu » veut dire ne rien montrer qui pourrait exciter la concupiscence. Bien sûr, cette notion s’applique d’abord aux femmes. Pas question alors de filles en jupes courtes, de bras nus, encore moins de décolleté. On a vu des curés refuser la communion à des femmes dont les épaules étaient découvertes, on en a vu retarder un mariage jusqu’à ce que la mariée ait dissimulé sa gorge sous un châle de bonne épaisseur.
[2] D’où le nom « denim »…
5 commentaires
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À propos du fait de vouloir se différencier en copiant les autres, ça me fait penser à ce texte de Desproges :
"(...)les intellectuels démocrates les plus sincères n'ont souvent plus d'autre but, quand ils font partie de la majorité élue, que d'essayer d'appartenir à une minorité. Dans les milieux dits artistiques, où le souci que j'ai de refaire mes toitures me pousse encore trop souvent à sucer des joues dans des cocktails suintants de faux amour, on rencontre des brassées de démocrates militants qui préféreraient crever plutôt que d'être plus de douze à avoir compris le dernier Godard."
On devrait donc avoir une guerre mondiale prochainement, si le temps le permet. Ça permettra de re-babyboomer :)
Et pour la mode et la série de cycles, j’imagine déjà les belles soirées guindées avec perruques d’époque… Que ça va être tripant… vous ne pensez pas, tous? ;o))