Ceux qui ne font rien
Que font-ils, ceux qui ne font rien?
Cet homme que je vois assis sur son perron, torse nu, rien dans les mains, regardant la rue devant lui sans paraître la voir, que fait-il? Il pense, je veux le croire : on peut garder son corps immobile, mais on ne peut fermer sa pensée. Il rêve peut-être, cet homme. Il se voit peut-être ailleurs. Dans sa tête il est peut-être aux Antilles ou en Chine, ou dans son village natal (s’il est né ailleurs). Il est peut-être aussi dans un autre temps. Il se revoit peut-être, enfant, à courir derrière un papillon, à pêcher dans une rivière, à jouer avec un chien.
Qu’est-ce qu’il fait, celui qui ne fait rien? Est-il forcé de ne rien faire? Il est peut-être malade. Son corps, peut-être, ne lui obéit plus, ou lui obéit mal. Mais rien ne peut empêcher qu’il imagine une autre vie bien plus active! Dans cette autre vie il est peut-être aviateur, capitaine au long cours ou champion de boxe. Ou bien il est riche et rénove à ses frais tous les taudis de la ville. Ou bien il a un don, il touche du doigt les aveugles, les paralytiques, les boiteux, et par la force de son fluide il leur rend la vue, le mouvement, l’agilité.
Que font-ils, ceux qui ne font rien?
Cette dame assise dans une auto près de la pharmacie, elle attend sans doute son mari, son fils, sa fille… Elle ne bouge même pas la tête quand des gens passent à côté de la voiture. Elle a les mains croisées sur ses genoux. Le baudrier de la ceinture de sécurité lui coupe la poitrine en diagonale. Elle ne fait rien.
Que fait-elle dans sa tête, que voit-elle, à quoi pense-t-elle? Est-elle malade, son mari, (ou son fils, ou sa fille) est-il entré à la pharmacie chercher des médicaments pour elle? Est-ce qu’elle se voit alitée, connectée, entourée d’infirmières et de médecins?
Ou bien est-ce son mari (son fils, sa fille) qui est malade, et elle, elle se voit à son chevet, pleine de crainte et de chagrin?
Mais peut être aussi son fils (ou sa fille, ou son mari) n’est-il entré à la pharmacie que pour acheter des billets de loterie, et alors elle s’imagine millionnaire, dans une autre voiture plus luxueuse, refaisant son testament, choisissant une destination de voyage, ignorant superbement certains voisins qui l’ont parfois snobée…
Que font-ils, les gens qui ne font rien? Est-ce qu’ils vivent intensément, dans leur apparente catatonie?
D’ailleurs, n’y a-t-il qu’une façon de ne rien faire : rester immobile, les mains et les yeux vides, comme insensible au monde?
Celui qui est tellement absorbé dans ses chiffres ou son jeu vidéo, tellement concentré sur les gestes de son travail qu’il est fermé à toute distraction, celui-là semble faire des choses, mais se peut-il qu’alors son cerveau ne fasse rien?
Grave question que celle de l’action et de la réflexion. Du mouvement et de l’inertie, que cette action et cette inertie soient physiques ou cérébrales. Grave question. Tout le destin des humains est englobé dans cette question : être ou ne pas être, faire ou ne pas faire, avancer ou rester là…
7 commentaires
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M. Richard, vos lecteurs doivent être tellement occupés à faire plein de choses qu'ils n'ont pas le temps de commenter ce billet.
Et puis, on peut tout simplement savourer l'instant présent.
(À chaque fois, j'ai envie de faire des commentaires plus longs, mais comme je poste au réveil bien souvent, mes pensées ne sont pas encore claires. C'est pour ça que bien souvent, je préfère... ne rien faire et laisser les autres trouver les énigmes !)
Et je me dis aussi parfois, qu’à certains moments, il serait bien agréable de pouvoir arrêter ce va-et-vient constant de pensées qui trop souvent nous font nous ronger les sangs.