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Les Mémoires du lutin Kling

durée 3 décembre 2015 | 08h16

…Et voilà!  Le Père Noël, la Fée des Étoiles et la plupart de mes collègues lutins sont partis dans le grand attelage, avec tous les rennes.  Sauf Petitbois, qui est malade, et le vieux Nez Rouge qui est trop vieux, maintenant.  Encore une fois c’est la Grande Tournée… Nous ne restons que quelques-uns au Pôle Nord.

Moi, je suis le lutin Kling.  Je suis l’accordeur de grelots.

On ne parle pas souvent de moi dans les livres de contes, et l’on ne me voit jamais à la télévision.  C’est normal: je ne travaille pas à l’invention ni à la fabrication des jouets nouveaux.  Et puis je suis bien trop timide pour accompagner le Patron et la Fée dans leurs visites des magasins et des studios!

D’habitude Copeau et Bonnet, les menuisiers-ébénistes, et Potdevert le peintre, et souvent aussi Coupdefil le couturier et Broquette le cordonnier « font » la scène avec le Père Noël et la Fée des Étoiles.  Ce sont de vrais lutins publics, ceux-là: toujours la pommette luisante, la barbe immaculée, le bonnet bien empesé.  Et puis ils aiment que les enfants les regardent travailler.  Ils sont un peu cabotins, je dirais.  Surtout Potdevert et Copeau.

Plusieurs autres lutins suivent aussi la Tournée, sans être souvent « en vedette » : les accordeurs de flûtes et de tambours, les coiffeurs de poupées, les brosseurs de peluches.  Et les chanteurs de la petite chorale.  À bien y penser, Contrefa le ténor est encore plus cabotin que Copeau et Potdevert.  Il faut le voir se cambrer quand il entonne le Chœur des anges!

Moi, je ne pourrais jamais affronter le public ou les caméras.  Je suis trop timide.

D’ailleurs je suis plutôt casanier.  Chez nous, au Pôle Nord, on apprend vite les beautés du silence blanc et de la solitude glacée.  Je me plais bien, au château.

J’avoue même que je m’y plais encore plus quand vient le temps de la Grande Tournée et que tout le monde s’en va aux quatre coins du monde.  Alors, pendant trois bons mois, tout le château et tout le Pôle Nord sont à moi.  Ou plutôt à nous, car je ne suis quand même pas tout seul: il y a aussi Sabotdur, Petitpatin, Paillette et Cloudecuir.  Mais nous sommes tous un peu casaniers.  Comme le château est grand et le Pôle Nord encore bien plus grand, nous pouvons goûter à notre aise les plaisirs de la solitude et du silence.

Pendant la Grande Tournée, je suis un peu en vacances.  Durant le reste de l’année, j’accorde les grelots: ceux qui brillent au sommet du bonnet des lutins, ceux que le Père Noël porte quelquefois à sa tuque, les tout petits grelots d’argent dont se pare la Fée des Étoiles, et surtout les milliers et les milliers de grelots de toutes tailles qui sont accrochés aux attelages.

Ce n’est pas une mince tâche que d’accorder tous ces grelots!  Il faut une sacrée bonne oreille.  Si on ne sait pas y faire, les grelots ne produisent que du bruit, vous comprenez?  Alors que leur rôle est de créer de la musique.  Une « musique d’ange », dit le Père Noël quand j’ai bien réussi mon travail.

Il me l’a dit encore ce matin, en partant.  Sans fausse modestie, je dois avouer que moi-même j’étais émerveillé par la pureté et l’harmonie de tous ces petits sons cristallins dans l’air froid.  On aurait dit que chaque flocon de neige chantait en neigeant…

Quand tout le monde rentre au château, dans les premiers jours de janvier, une bonne moitié des grelots sont désaccordés.  D’ailleurs l’attelage est souvent en piètre état: patins tordus, guides effilochés, harnais fatigués, brancards fêlés, et j’en passe.  On ne voyage pas de toit en toit sans abîmer un peu son traîneau!  Et croyez-moi, si vous vous mettez à compter tous les toits où s’arrête le Père Noël durant sa Tournée, vous aurez vite le vertige!

Les costumes aussi sont bien défraîchis, en janvier.  La robe de la Fée prend une couleur de neige au dégel, les bottes et les pantalons du Patron sont pleins de suie.  La fourrure blanche de sa tunique tourne au grisâtre.  Quant aux bonnets des lutins, n’en parlons pas!  Dans quel état croyez-vous qu’ils reviennent?

C’est pour ça que notre saison à nous, les lutins de l’Entretien, commence en janvier.  Petitpatin répare le traîneau, Cloudecuir repasse les harnais, Sabotdur se met en frais de refaire une santé à ses chers rennes.  Paillette la blanchisseuse, Tirette la bottière, Grosœil le géographe, tous se remettent à la tâche pour que la Grande Tournée de l’année suivante soit encore plus réussie.

Moi, bien sûr, je commence à réaccorder les grelots.

Il nous faut de huit à neuf mois pour tout remettre à neuf.  Pendant la période de janvier à mars, nous sommes à peu près les seuls à travailler, au Pôle Nord.  Le Patron, la Fée et les lutins qui ont « fait » la Tournée vont se reposer dans le Sud, les constructeurs révisent leurs outils et rangent les ateliers, les inventeurs dorment beaucoup, les rennes aussi dorment beaucoup, et mangent encore plus!

D’avril à juillet, les inventeurs abattent le gros de leur travail annuel.  Chaque nuit, ils vont se promener dans les rêves des enfants pour y trouver de nouvelles idées.  Quelques-uns visitent aussi l’esprit de certains adultes un peu spéciaux, comme les poètes, les magiciens, les clowns, quelques mathématiciens aussi.  Bref des adultes restés un peu enfants, que seuls les enfants et les lutins comprennent bien.

Comme il fait nuit sur une moitié de la Terre pendant qu’il fait jour sur l’autre moitié, c’est toujours la nuit quelque part.  Donc il y a toujours quelque part des enfants ou des poètes qui rêvent.  Alors on comprend que les lutins inventeurs accumulent une réserve de sommeil avant de partir en voyage dans les rêves.  D’avril à juillet, ils ne dorment presque jamais, trop occupés qu’ils sont à explorer le sommeil des autres!

D’août à octobre, c’est la grosse saison des constructeurs.  Ils fabriquent ce qui leur est commandé par les inventeurs, sous la surveillance de ceux-ci.  Potdevert, Copeau, Bonnet, Broquette, Coupdefil —tous travaillent sans relâche avec leurs équipes.  Croyez-moi, si Potdevert et Copeau sont cabotins pendant la Tournée de Noël, eh! bien, pendant la saison de la fabrication, ils sont d’excellents contremaîtres.  Leurs ateliers ressemblent à de vraies ruches.  Mais au lieu de produire du miel, ils produisent des jouets, des jouets, des jouets…

Pendant cette même période, le Patron et la Fée préparent les détails de la prochaine Tournée avec Grosœil.  Ils voyagent à leur tour dans les rêves des petits, pénètrent incognito dans les différents magasins, dans les écoles, dans les studios.  Bref ils « prospectent » tous les nouveaux territoires susceptibles de receler quelques parcelles de bonheur à faire naître.

Les gens ont peine à imaginer le Père Noël en civil, avec son veston croisé et jamais de cravate, ses grosses lunettes sur le bout du nez et la barbe parfois un peu salie par les bâtons de réglisse rouge qu’il mâchonne en travaillant.  Quant à la Fée des Étoiles, au bureau, elle est bien plus stricte que le Patron: robe classique, chignon bien serré, petites lunettes à monture d’or.  Et pas beaucoup d’humour, à vrai dire.  Il faut la voir pincer les lèvres, quand le Père Noël lance une plaisanterie et fait trembler les murs avec son gros rire…

D’août à octobre, donc, tout le monde travaille, au Pôle Nord.  Les inventeurs supervisent, les constructeurs construisent, les administrateurs planifient.  Nous, de l’Entretien, nous mettons la dernière main à tout le matériel de la Grande Tournée.  Puis, en octobre, c’est le grand départ.  Pour moi et quelques autres qui restons au château, c’est le commencement du repos.

C’est parfois un peu long, le repos.  Il arrive que je m’ennuie un peu, malgré mon amour du silence blanc et de la solitude glacée.  D’où cette idée qui m’est venue d’écrire mes mémoires.  Je trouve que ça sonne bien, ce titre :  LES MEMOIRES DU LUTIN KLING.  Ça sonne comme un quatuor de grelots bien accordés.

Mais j’ai assez écrit pour aujourd’hui.  Je vais aller aux écuries voir Sabotdur le pâlefrenier, et m’amuser un peu avec le vieux Nez Rouge.  Sans doute, ils ne refuseront ni l’un ni l’autre de prendre un petit coup avec moi…

 

commentairesCommentaires

8

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  • Y
    Yoann
    temps Il y a 9 ans
    Martin Lutin Kling ? A-t-il fait un rêve ?
    Autre question : dit-on "grelots" parce que ça rappelle quand on grelotte dans le froid, ou bien dit-on qu'on grelotte de froid parce que ça rappelle les grelots ?
  • BR
    Bourgoin Robert
    temps Il y a 9 ans
    La magie de tes mots m'enchante toujours. La lecture de ta poésie ramène le rêve d'enfant d'un noël très joyeux.



  • R
    Richard
    temps Il y a 9 ans
    À Robert: merci pour l'appréciation!
    À Yoann: tu auras la réponse à ta question dans deux semaines... Et cette réponse te surprendra peut-être!
  • D
    Danielle
    temps Il y a 9 ans
    Quel beau conte de Noel. Félicitations Mr Levesque, vous ramenez la magie dans notre coeur d'enfant d'autrefois. Joyeux Noel a tous
  • MT
    M. Thériault
    temps Il y a 9 ans
    Oui, c’est un bien joli conte qui nous fait découvrir de belle façon toutes les facettes du métier peu connu de lutin du Père Noël. C’est très instructif ;o), charmant à lire et en plus ça nous aide à entretenir la magie de Noël. Merci.
  • R
    Richard
    temps Il y a 9 ans
    @Danielle et M. Thériault: merci d'apprécier mes cadeaux de Noël!...
  • MD
    Madeleine D.
    temps Il y a 9 ans
    Richard, je suis toujours impressionnée par ta grande imagination... Chacun des lutins a un nom qui convient à son métier: fallait le faire !J'ai bien hâte de connaître l'origine des grelots....
  • R
    Richard
    temps Il y a 9 ans
    @Madeleine D.: je suis content que tu aies remarqué les noms de mes lutins... Pour l'origine des grelots, (si tu es sage), ce sera pour... dans deux semaines!
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