Le Réveillon de Ti-Jean
Une fois, c’était Ti-Jean qui était monté dans le bois de bonne heure à l’automne. Ça fait que rendu le 23 de décembre, il commençait à s’ennuyer de sa blonde, c’est pas assez de le dire!
Seulement v’là l’histoire : depuis le mitan d’octobre il neigeait à plein ciel une journée sur deux, pis pas de la p’tite neige follette : des flocons gros comme des effaces de crayons. En plusse le vent était arrivé avec l’Avent, ça fait que les chemins étaient bouchés ben dur, pas moyen de gagner le bord. Pis pour mettre le comble là-dessus, un maudit carcajou avait défoncé la cache du cook. Ce que le maudit carcajou avait pas mangé, il l’avait arrosé de… vous savez quoi!
Pour faire ça court, je dirai que ça allait ben mal au campe. Le foreman avait averti les hommes qu’il faudrait jeûner tant que la tempête serait pas finie, parce qu’avant ça les attelages pourraient pas refaire la trail.
Vous connaissez mon Ti-Jean : l’ennuyance de sa blonde, il aurait têt’ben pu l’endurer. Mais pas manger à sa faim, lui qui coupait ses cent billots avant le souper, ça se pouvait pas. Il a dit au foreman :
—Passe-moi ta boussole, Eusèbe. Je mets mes raquettes pis je descends. Les hommes vont avoir leur réveillon, parole de Ti-Jean!
Eusèbe, c’était un bon foreman. Il s’est pas astiné avec Ti-Jean : il le connaissait, il savait qu’il avait la tête aussi dure que ses poings, pis le cœur aussi gros que ses mosselles.
Toujours que v’là mon Ti-Jean parti dans la tempête. Je vous conterai pas toute ce qu’il a traversé : vous voudriez pas me croire, bande de mécréants! Je vous dirai juste que les bancs de neige, les couteaux du vent, le frette à geler du gin, Ti-Jean a traversé ça en dedans d’une demi-journée. Rendu au village, il a pas perdu de temps : un bec à sa blonde, ensuite il est rentré au magasin pis il s’est faite remplir deux barils de victuailles. Avec du bon câble, il s’est attaché les deux barils sur le dos. Ensuite de ça il est passé au presbytère, ousque le deuxième vicaire avait pas grand’chose à faire. Ti-Jean l’a ramassé avec son linge d’église pis sa petite valise de religion, pis il l’a perché sur ses barils. Pis il est reparti pour le campe.
Le cook pis le foreman étaient devant la porte quand Ti-Jean est arrivé avec son équipage. Ils ont crié qu’ils voyaient une apparition, pis tous les hommes sont sortis pour voir… C’est vrai que Ti-Jean, poudré de neige comme il était, ses deux barils lui faisaient comme des ailes, pis le vicaire par-dessus avait l’air d’un oiseau blanc, comment ils appellent ça, donc? Ah! oui, une colombe.
C’est comme ça que ce soir-là du 24 décembre, les hommes ont eu leur messe de Minuit, puis ensuite un réveillon dépareillé. Pis ceux qui me creyent pas qu’ils aillent demander à Eusèbe : sa maison, c’est la deuxième au ras de la track des gros chars.
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