Le Mur
Je le dis sans honte : j’aime dormir. Que ce soit par un sommeil profond ou lors d’un petit somme à demi conscient, j’aime plonger de l’autre côté du mur.
Car il y a bien un mur entre la réalité de l’éveil et la réalité (tout aussi réelle) du rêve. C’est un mur qui n’est pas absolument imperméable, infranchissable : parfois on ne dort pas encore mais on commence à rêvasser, et puis on sombre, on dort, on bascule de l’autre côté. Parfois aussi on est solidement endormi, on rêve mais on veut sortir de notre rêve, on culbute dans l’éveil et on se demande ce qui a bien pu nous réveiller.
Lewis Carroll parlait de « l’autre côté du miroir »…
Si j’étais un scientifique, je voudrais étudier l’onirologie. Je voudrais trouver le moyen de voyager à volonté entre le monde du rêve et le monde qu’on dit « réel », entre notre monde éveillé et cet autre monde où nous passons le tiers de notre vie (au moins!).
Si j’étais un savant chercheur, je consacrerais ma vie à cette mission. J’y gagnerais un prix Nobel, qui sait?
Mais je ne suis qu’un poète et un conteur. Je ne sais pas formuler des équations lumineuses, je ne connais pas la physique des particules ni la chimie moléculaire. Toutefois je sens que mon intuition est bonne, qu’il y a un autre monde dans lequel j’existe (tout en étant parfois différent), un autre monde qui pourrait être le ciel des religions, une sorte de paradis imparfait bien plus attirant que le coin de nuage en forme de fauteuil réservé pour un concert de lyre éternel!
En fait, je me demande si le côté du rêve n’est pas l’éternité, « l’autre vie » dont parlent les religions, une forme inattendue de l’Éden. Pas si inattendue, peut-être? Ne parle-t-on pas d’une « vie de rêve », d’une « situation de rêve », quand on veut désigner quelque chose d’idéal?
Il se peut que la notion de perfection soit une erreur de la pensée. Nous ne sommes pas parfaits dans nos rêves, notre vie n’y est pas parfaite. Mais c’est une autre vie, une vie « en plus ». Est-elle éternelle? Quand, selon l’expression consacrée, mon âme se détachera de mon corps, est-ce que je cesserai d’exister dans le monde du rêve, ou bien vais-je continuer cette autre vie imparfaite?
Il y a tellement de questions…
Au moment où je suis en éveil, est-ce que je ne suis pas le rêve d’une autre partie de moi qui dort de l’autre côté du mur? Pourquoi cette réalité (la rue Lafontaine, ma chemise carreautée, la viande des Grisons que je mange, le café que je bois), pourquoi cela serait-il plus vrai que ce que je vivais tantôt pendant ma sieste? Je ne sais plus trop ce que je faisais dans mon rêve, c’est très vague, mais je sais que j’y faisais quelque chose.
Il n’y a qu’un moment dont je me rappelle clairement : dans mon rêve je trébuchais, et hop! Je suis retombé de ce côté-ci du mur, réveillé par le soubresaut qui agitait ma jambe douloureuse. Or une fois réveillé, je n’avais plus aucune douleur à la jambe. Il y a donc un contact, un lien. Le moi d’ici et le moi du rêve sont des jumeaux, même s’ils sont différents : ce qui me fait mal d’un côté ne me fait plus mal de l’autre, pourtant si je trébuche d’un côté, un mouvement physique fait crisper ma jambe de l’autre.
Des jumeaux, mais différents. De l’autre côté, je suis souvent invulnérable. Il m’arrive de flotter sans effort au-dessus du sol, comme si je patinais sur un coussin d’air.
Si j’étais un savant chercheur, il me faudrait préciser un lexique, définir strictement des mots : rêve et rêverie, par exemple. Je déterminerais que le rêve est cet état où nous plongeons quand nous sommes complètement endormis, alors que la rêverie est cet état où nous nous retrouvons (souvent avant de nous endormir) VOLONTAIREMENT « ailleurs ».
La rêverie peut conduire au rêve. Si, par exemple, je commence à jouer une ronde de golf dans ma tête avant de m’endormir, quand je basculerai dans le sommeil, vais-je continuer le parcours? C’est bien possible, car il y a forcément des « points de passage ». Quand on se réveille, la nuit, parfois, on se souvient d’avoir rêvé, et parfois on voudrait retourner dans son rêve; alors on le continue en rêverie, puis on se rendort. Est-ce qu’effectivement notre histoire se continue alors?
Et parfois, quand on rêve, on sait que notre rêve n’est pas « nouveau », on le sait DANS NOTRE RÊVE, on le sait aussi quand on s’éveille et qu’on se rappelle d’avoir plusieurs fois fait ce rêve. Comment pourrait-on le savoir s’il n’y avait pas des « points de passage »?
Chers lecteurs, je vous laisse méditer (songer, jongler, rêvasser, rêver) là-dessus pendant quelques jours. Depuis des années, je renouvelle mon billet chaque semaine; il se pourrait que je diminue un peu le rythme. Que diriez-vous si je vous revenais avec un nouveau texte seulement dans quinze jours?
12 commentaires
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Il y a certaines "redondances" dans mes rêves, des endroits où je suis déjà allé... en rêve seulement! Parfois, je mets toute la journée à me remettre de mon rêve, car même sans m'en souvenir tout à fait, je me sens bizarre, et je confonds même certains événements : était-ce un rêve ou bien la réalité?
Pour franchir cette "porte", beaucoup de gens utilisent des drogues. Je ne vais quand même pas vous suggérer d'en prendre, Richard, pour vos recherches en onirologie ;)
Pour ce qui est de la publication aux deux semaines, je n'y vois pas d'inconvénient. Sauf pour les énigmes dont on voudrait la réponse plus vite :)
Bonne journée pluvieuse à toua!
Mon premier n'est pas en manque.
Mon deuxième existe.
Mon dernier est une interjection pouvant exprimer la honte.
Mon tout amuse les enfants s'il est en papier.
Ah, et pour mes rêves... oh non! J'aime mieux ne pas m'"étendre" sur le sujet! (Avouez qu'elle est "songée"!)
Bonne quinzaine. On se revoit ... quand vous serez là!
Comme les autres l'ont écrit, même si j'attends toujours impatiemment tes textes, tu mérites de reposer un peu ta si fertile imagination. Nous te lirons donc aux 2 semaines et, tu auras plus de temps pour nous piéger avec tes énigmes.....Bye!
1- ??? A (mais je ne peux l'expliquer)
2- vit (existe)
3- on ( j'ai honte...)
Si c'est la mauvaise, réponse, j'ai honte!!! ON....
Contrairement à Annie, je vais m’étendre sur le sujet (elle était bonne! ;o))
Moi aussi je suis convaincue qu’il se passe quelque chose de l’autre côté.
L’impression d’être en pays de connaissance dans un rêve alors qu’au réveil ce décor nous est complètement étranger. Comme Madeleine, bien sûr, il m’en arrive aussi des plus perturbateurs. Je n’ai jamais la bonne clef pour ouvrir le cadenas et si je n’ai qu’une clef, sûrement la bonne, alors là je suis incapable de trouver où elle va. Je suis électrocutée et certaine de mourir comme si je l’avais déjà vécu (répétitif) ou je tombe dans le vide et à ce moment précis je reviens de ce côté-ci. Délivrance…
Il m’arrive souvent de me réveiller, et somnolente, soulagée et sereine d’avoir rencontré des gens que je n’avais pas vus depuis longtemps. Je suis encore entre les 2 mondes communicants. Je me sens bien comme quand on a des nouvelles de quelqu’un. Et là, complètement éveillée, je revois clairement leurs visages, mais là, je n’ai plus aucune idée de qui ils sont, ce sont de parfaits inconnus pour moi dans cette vie. Comment ça s’explique? Qui sont ces gens? Je les connais ailleurs ou autrement ou je les ai déjà connus?
Un rêve qui me reste en mémoire, c’est qu’au réveil, je me demandais où j’étais rendue. J’étais perdue comme ce n’est quasiment pas possible. Je savais que je venais de faire un super de beau rêve et j’avais un air qui me trottait dans la tête, mais j’étais incapable de trouver ce que c’était et impossible de faire autrement que de le trouver. Finalement, j’ai mis le doigt dessus. C’était « Le plus beau voyage » de Claude Gauthier.
J’ai refait le plus beau voyage
De mon enfance à aujourd’hui
Sans un adieu, sans un bagage
Sans un regret ou nostalgie
J’ai revu mes appartenances….
Bizarre quand même…
Faut dire que j’ai très hâte de lire les autres commentaires.
Et, oui, M. Lévesque, c’est sûr que vous pouvez espacer vos billets, mais ne dépassez pas le cap des 21 jours… vous savez pourquoi.
Merci à tous ceux qui partagent leurs rêves...
“Nous sommes le rêve d'un dormeur qui dort si profondément qu'il ne sait pas qu'il nous rêve.” Jean Cocteau
Je me demande ce qu’il voulait dire exactement.
À mon tour de lancer une devinette : devinez qui a fait le dessin.
Bonne journée à toua!