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La longue histoire du pont Alphonse-Couturier

durée 23 février 2017 | 05h06

par Gilles Dubé

Note de Richard :  Gilles Dubé croyait vous avoir raconté ici, dans la semaine du 19 janvier dernier, l'histoire de l'ancien pont Dion.  Il se préparait à vous raconter aujourd'hui celle du pont Couturier...  Mais l'Histoire fait parfois de longs détours, et réserve souvent des surprises!  Notre ami Gilles a découvert qu'avant d'ériger un nouveau pont, il faut régler le sort de l'ancien.  Et ça n'est pas si simple, quand entrent en jeu l'arrivée des automobiles, les lenteurs administratives, une guerre mondiale et la chose politique!  Bonne lecture!  Vous allez vous régaler...

Vue de l’entrée du pont Dion avec sa courbe guère rassurante!

Comme vous le savez maintenant, le 26 juin 1905, Fraserville (ancien nom de Rivière-du-Loup) procédait à l’inauguration du pont Dion, ainsi dénommé en l’honneur du député Napoléon Dion qui avait piloté les démarches pour l’obtention d’une subvention gouvernementale de 2 000 $, la Ville et les citoyens ayant fourni les 3 500 $ manquants. Ce pont permettait de relier la rue Beaubien au secteur est dit « Village de Saint-Antoine. »

Conçu à une époque où la traction hippomobile l’emportait sur la circulation automobile, le pont Dion s’avérait un moyen de communication des plus satisfaisants. Toutefois, au fil des années, la situation allait changer de façon significative avec l’accroissement de la circulation motorisée, l’augmentation du transport routier et, disons-le, la négligence de l’entretien de cette infrastructure.

C’est ainsi que le jeudi 23 juin 1938, l’ingénieur de l’entretien au Service des ponts du ministère des Travaux publics écrit ce qui suit à monsieur Jos[eph] Labelle [son vrai nom : Lebel!], secrétaire-trésorier de la Ville :

« Lors de mon passage au pont susdit le 16 courant, j’ai constaté que cette structure est en bien mauvais état et j’attire l’attention de votre municipalité, propriétaire du pont, sur le danger qu’il y aurait pour le public voyageur si des réparations n’étaient pas entreprises à ce pont.

    Le plancher est en mauvais état et pourrait être la cause d’accidents d’un jour à l’autre.

    Les cordes inférieures de la superstructure et les assises du pont sont remplies de débris et déchets de toutes sortes et il est bien probable que les rouleaux qui servent au jeu de dilatation de l’acier ne sont pas en état de fonctionner. L’acier est également très rouillé. Le plancher de la passerelle est défectueux à plusieurs endroits.

    Comme ce pont ne tombe pas dans la catégorie de ceux que nous entretenons, nous soumettons ce fait à votre conseil municipal pour attention. »

Exactement une semaine plus tard, le jeudi 30 juin, l’ingénieur municipal Georges Ouimet [celui qui a dessiné les plans de l’hôtel de ville] adresse un rapport technique similaire, très détaillé, au greffier Jos. Lebel. Outre les constats de détérioration, il indique les opérations de correction à réaliser, telles la peinture, le brossage des pièces métalliques et les techniques de nettoyage à utiliser, notamment avec de l’huile de charbon. En terminant, il recommande qu’une inspection du pont soit faite à tous les trois ou quatre mois.

Nous ne savons pas, pour l’instant, quelles suites immédiates ont été données à ces rapports. Il est cependant plausible de croire qu’avec l’arrivée de la guerre, les dépenses tant gouvernementales que municipales aient connu leur période d’ « austérité ». [Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce mot n’est pas très récent : il a été créé au XIIIe siècle!].

Le 30 juillet 1941, un ingénieur civil du nom de R. Marchand adresse un rapport à monsieur John G. O. O’Connell, ingénieur de l’entretien au ministère des Travaux publics pour lui faire part de ses observations et recommandations à la suite de sa visite du pont cinq jours auparavant. Les travaux qu’il recommande de faire, en regard de la structure d’acier et du plancher principalement, sont estimés à 7 800 $. Il conclut comme suit :


« Vu que la capacité de ce pont lors de sa construction n’était que de 8 tonnes, je recommande que la superstructure actuelle soit remplacée par une nouvelle superstructure moderne qui fera face au trafic toujours croissant dans cette région. »

Disons tout de suite que la patience est de mise : le gouvernement donnera effectivement suite à cette recommandation… 34 ans plus tard! Mais poursuivons.

Quelques semaines plus tard, le 20 août, le maire de Rivière-du-Loup, le Dr Antonio Paradis, adresse aux maires de 16 municipalités, localisées à l’est de Rivière-du-Loup, une demande de résolution d’appui pour la reconstruction du pont qui constitue la voie naturelle d’accès à Rivière-du-Loup pour ces paroisses environnantes en précisant que :

« Notre ville n’est pas dans une position financière qui lui permette d’entreprendre cette dépense et fera les démarches nécessaires auprès du gouvernement provincial pour que ce dernier se charge de cette construction. »

Ayant recueilli les appuis souhaités, et devant une situation qui ne cesse de s’aggraver, le conseil municipal, siégeant sous l’autorité du pro-maire monsieur Eusèbe Marquis, adopte, le 24 novembre 1941 la résolution suivante :

« ATTENDU que le Pont Dion sur la Rivière-du-Loup a dû être fermé au cours de l’été dernier comme impropre à la circulation;

ATTENDU qu’il a été constaté, après examen, que le susdit pont n’était pas réparable et devrait être remplacé par un nouveau pont;

ATTENDU que le dit pont avait été construit en 1904 dans le but d’établir des communications directes entre la Cité de Rivière-du-Loup et les municipalités d’une partie du comté de Témiscouata, particulièrement les municipalités de St-Arsène, de St-Épiphane, de St-Hubert, du Canton Hocquart, du Canton Bégon, de St-Éloi, de St-Clément, en même temps qu’il avantageait aussi les municipalités de Trois-Pistoles, de l’Isle-Verte, de Ste-Françoise, de St-Michel de Squateck, et plusieurs autres;

ATTENDU que sa construction a fortement contribué à augmenter le progrès économique de cette région de la province et que sa disparition est une source sérieuse d’ennuis pour les échanges commerciaux entre ces municipalités et la Cité de Rivière-du-Loup qui est leur centre naturel de commerce;

ATTENDU que ces diverses municipalités, ainsi que la Chambre de Commerce de Rivière-du-Loup, ont adressé au gouvernement de la province de Québec, ainsi qu’à ce conseil, des résolutions demandant la reconstruction immédiate du susdit pont;

ATTENDU que le susdit pont, construit avant le développement  de l’automobilisme, était de plus devenu insuffisant au trafic considérable qui s’était constamment accru entre cette cité et ces différentes localités, et qu’il importerait en même temps de le remplacer par un pont mieux adapté aux besoins du dit trafic;

ATTENDU que, dans l’état actuel de ses finances, la Cité de Rivière-du-Loup n’est pas en état d’entreprendre la reconstruction du dit pont, à la construction duquel le gouvernement de la province de Québec avait d’ailleurs lui-même contribué;


Que ce conseil, joignant ses instances à celles de la Chambre de Commerce de Rivière-du-Loup et des autres municipalités susdites, prie le gouvernement de la province de Québec de vouloir bien prendre immédiatement les mesures requises pour assurer, par la construction d’un nouveau pont, le rétablissement des communications directes entre la Cité de Rivière-du-Loup et les autres municipalités intéressées, et ce dès l’ouverture de la prochaine saison d’été dans le plus grand intérêt économique de toute cette région de la province. »

Les pressions politiques continueront sans doute de s’exercer au cours des mois suivants. Nul doute que le rôle du député libéral d’alors dans le cabinet d’Adélard Godbout, Léon Casgrain, ministre sans portefeuille, fut d’une certaine efficacité.

C’est ainsi que, quelques mois plus tard, soit le vendredi 24 avril 1942, l’ingénieur de l’entretien au ministère des Travaux publics, monsieur John G. O. O’Connell, soumet au secrétaire de la Ville, Joseph Lebel, un projet très détaillé d’entente administrative devant régir les travaux de réfection du pont.

Par cette entente, la Ville est responsable de la gestion entière du projet, selon les normes et exigences du ministère. Le gouvernement s’engage à fournir les « contremaîtres et spécialistes qualifiés fesant [sic!] partie du personnel du département », étant entendu que les dépenses seront comptabilisées dans le coût global des travaux. Le prix des matériaux à commander devra être préalablement autorisé par le ministère et ceux-ci devront être de première qualité. « La peinture employée pour la structure en acier devra être de la peinture « Government Standard Bridge Paint »  et un échantillon de celle-ci devra être préalablement analysé par un laboratoire.

La municipalité devra fournir la liste détaillée des personnes employées, ainsi que leurs salaires qui « seront ceux de l’office des salaires raisonnables », de même que tous les comptes payés, en deux copies. Si la Ville décide d’assurer les employés contre les accidents, les frais pourront être inclus dans le compte global des travaux, sinon les frais en cas d’accident seront entièrement à la charge de la municipalité.

Le ministère consent à louer l’équipement requis, les frais devant être comptabilisés dans les dépenses globales des travaux. Et voici la clause d’arrangement final :

« Le gouvernement s’engage à payer 50% de cette dépenses [sic] jusqu’à concurrence d’un montant total de $11,000.00 c’est-à-dire un octroi maximum de $5,500.00. Advenant le cas où ce montant de $11,000.00 serait dépassé, le surplus serait entièrement à la charge de la municipalité. »

**********
Voilà où j’en suis rendu, pour l’instant, avec ce feuilleton! Je me vois forcé de solliciter votre patience jusqu’à la semaine prochaine pour connaître la suite qui va s’étirer encore pendant 33 ans… tout un chemin de croix! Bonne semaine!

 

commentairesCommentaires

6

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  • R
    Richard
    temps Il y a 7 ans
    Rien n'est jamais simple... Dire que nous parlons du "bon vieux temps"... Le vieux temps était-il si différent?
  • MT
    M. Thériault
    temps Il y a 7 ans
    C'est vraiment intéressant quand même de voir comment tout s'est déroulé. Je me souviens du pont Dion, mais dans mon souvenir, me semble qu'il n'y avait pas une si grande courbe pour y accéder! La mémoire est une faculté qui oublie j'imagine...
  • A
    Annie
    temps Il y a 7 ans
    Plus ça change, plus c'est pareil... on a l'impression de lire quelque chose qui se passe en 2017! Bien hâte à la suite.
  • G
    Gilles
    temps Il y a 7 ans
    À Annie: Vous avez bien raison! Plus sça achanage, plus c'est pareil, comme dit l'adage. Regardez les nouvelles concernant l'actuel pont Laviolette de Trois-Rivières, vous ne serez pas dépaysée!
    Voir: http://quebec.huffingtonpost.ca/2017/02/27/fissures-pont-laviolette_n_15045798.html
  • MB
    Marc Bérubé
    temps Il y a 7 ans



    Pauvre maire Paradis , dommage qu'il ne savait pas la différence entre une dépense et un investissement . J'espère pour lui que dans son budget personnel , il n'en a pas trop souffert.
  • R
    Richard
    temps Il y a 7 ans
    La suite demain!
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