Lettre de la petite Marie-Rose au Père Noël
Lettre de la petite Marie-Rose au Père Noël
Père Noël,
Pôle Nord,
H0H 0H0
Cher Père Noël,
J'espère que tu accepteras cette lettre, mêlée à celles des milliers d'enfants qui t'écrivent pour te demander les derniers jouets à la mode. C'est que je suis, vois-tu, une petite fille de quatre-vingt-trois ans. Mais je crois en toi plus et sans doute mieux que bien des petits qui n'ont pas le dixième de mon âge...
Je suis une pensionnaire. La maison où je vis n'est pas toujours très propre, on n'y mange pas très bien. Les corridors ne sentent pas très bon. Mais peut-être qu'en vieillissant on est censé perdre le goût et l'odorat. Ce n'est peut-être pas très grave. Et puis, je me rappelle : j'étais pensionnaire aussi quand j'étais enfant, et dans le couvent la nourriture n'était pas très appétissante et les corridors ne sentaient pas très bon.
Peut-être que je retombe en enfance. Est-ce pour cela que j'ai osé glisser cette lettre dans la boîte spéciale ouverte au Bureau de Poste?
Toujours est-il que je veux te demander, cher Père Noël, de passer par la Maison des Blanches-Colombes quand tu feras ta tournée dans la nuit du 24 au 25 décembre. Il y a ici des grands garçons qui paraissent plus vieux que toi malgré ta barbe blanche, et des grandes filles (en fait, nous sommes pas mal plus nombreuses que les garçons). Nous avons tous une âme sensible aux beautés de l'hiver, mais aussi nous sommes frileux et nous avons peur de la glace. Plusieurs se déplacent avec une canne ou un déambulateur, quelques-uns ne quittent leur fauteuil roulant que pour leur lit.
Nous avons tous une âme sensible aux contes de fées, mais nous craignons les sorcières. Il y en a parfois, parmi les fées qui s'occupent de nous.
Quels jouets pourrais-tu bien nous apporter, bon Père Noël? Une canne sculptée, une marchette plaquée or, un fauteuil turbo-compressé? Je plaisante, bien sûr. Ce que nous aimons, comme tous les enfants, c'est les bonbons, les poupées, les peluches, les petites voitures, les livres écrits en gros caractères et bien illustrés.
Ce que nous aimons par-dessus tout, c'est sortir parfois de notre routine, de nos corridors, de notre réfectoire, de notre règlement, de notre solitude.
Comme tous les pensionnaires, nous rêvons d'être appelés au parloir. Avoir une visite. Quelqu'un qui nous parlera de l'extérieur, du monde que nous avons quitté; qui nous apportera des gants chauds, qui nous amènera peut-être manger des choses qui goûtent quelque chose.
Mes parents ne venaient pas souvent au parloir du pensionnat où j'ai passé mon enfance. Mes parents n'étaient pas riches, et les travaux de la ferme sont trop accaparants pour qu'on puisse les délaisser plus de quelques heures. Je ne leur en veux pas. J'avais des compagnes qui n'avaient pas de parents.
Ici, c'est pareil. Certains ont des enfants, des petits-enfants, mais... Avec la vie trépidante, les carrières, les bouchons de circulation, qui a le temps de visiter ses vieillards? Les gens d'aujourd'hui font garder leurs enfants dans des garderies et leurs parents dans des foyers. Ils coupent la famille par les deux bouts. Je comprends mal la vie moderne, bon Père Noël.
Mais je m'égare. Je ne veux pas t'écrire pour me plaindre ou pour discuter de notre époque... Je t'écris parce que toi, ta Fée des Étoiles, tes lutins, tes rennes, vous n'avez pas d'époque, vous n'avez pas d'âge. Vous êtes dans notre cœur, dans notre âme, dans nos rêves surtout. Grâce à vous, tous les âges et toutes les époques peuvent rêver, oublier une réalité qui n'est pas toujours beauté, bonté, amour.
Je t'en prie, bon Père Noël, dans ta nuit du 24 au 25, arrête ton traîneau sur le toit de la Maison des Blanches-Colombes. Arrête-toi aussi dans les autres Maisons, Résidences, Foyers, Centres... En même temps qu'à tous les petits enfants du monde, pense à tous les pensionnaires qui ont vécu de longues vies sans jamais t'oublier, sans jamais cesser de croire en toi, ta Fée, tes lutins, tes rennes, ton Royaume du Pôle Nord.
Je ne veux pas te faire une liste des jouets que j'aimerais trouver autour du petit sapin en plastique que j'ai dressé sur la commode de ma chambre. J'aime trop les surprises.
J'ai réussi à trouver des biscuits délicieux, et je te garderai un grand verre de lait. Il restera frais sur le bord de ma fenêtre.
Je crois bien que je dormirai quand tu viendras, malgré mes insomnies, et même si je m'efforcerai de garder les yeux ouverts pour te surprendre. Je ne sais pas comment tu fais, mais les enfants, même ceux de mon âge, dorment toujours à poings fermés quand tu passes!
Merci à l'avance, bon Père Noël.
Marie-Rose,
chambre 3313, Maison des Blanches-Colombes.
P.S. Je ne sais pas si tu te souviens... Il y a plus de trois quarts de siècle, tu m'avais apporté un petit ourson brun. Je l'ai toujours...
4 commentaires
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Et un très joyeux Noël à vous tous, amis lecteurs et lectrices! Puisse le Père Noël (mon ancien patron) vous combler de tout ce que vous souhaitez, pour vous-mêmes et pour tous ceux que vous aimez.
Je vous souhaite également un très joyeux Noël, entouré de tous ceux que vous aimez.