Le Jour de l’An au Pôle Nord
Au Pôle Nord aussi, on fête le Jour de l’An. Mais d’abord on se remet un peu de la Nuit de Noël.
Les rennes sont essoufflés, après leur périple autour de la Terre; le grand traîneau porte des marques, des égratignures, après des milliers de contacts avec les toits, les antennes, les cheminées. Le cuir des attelages est parfois fissuré, fendillé, étiré. Les grelots sont désaccordés. Le costume du Père Noël a besoin d’un sérieux nettoyage : sa fourrure blanche est maculée de suie et parfois un peu… épilée. L’étoffe rouge est tachée. Ses bottes sont boueuses, parfois lacérées par les briques et les pierres des cheminées. Quant à la robe de la Fée des Étoiles, n’en parlons pas : elle est chiffonnée et salie, et ses souliers de vair font pitié!
Bref, tout le Royaume a besoin d’une bonne remise en forme. La plupart des lutins aussi. Alors dès le 26 décembre, le Pôle Nord s’assoupit doucement.
Dans les écuries, Sabotdur se contente d’apporter double ration aux rennes : il veut les laisser souffler un peu avant de les examiner à fond pour déceler le moindre bobo. En grognant un peu, Cloudecuir accroche les attelages aux murs en attendant de reprendre ses alènes, ses huiles, tout ce qu’il faut à un sellier. Il détache les grelots et Kling (qui a remplacé Vieux Sage depuis un moment) les range sur un établi en grimaçant de leurs fausses notes. Petitpatin se contente de hisser le grand traîneau sur des blocs dans la soupente. Plus tard il le révisera sérieusement, et demandera à Potdevert de le repeindre.
Et tous les autres lutins et lutines, ceux et celles des ateliers de jouets, des cuisines, des dortoirs, tous se laissent aller à une douce (et rare) paresse. Du 26 au 31 décembre, le Royaume tourne au ralenti. Même le Père Fouettard se laisse gagner par l’ambiance : on l’a vu dormir en plein après-midi, lui qui pourtant se vante de ne jamais quitter de l’œil les enfants pas sages.
Quant au Père Noël… Ma foi, il faut que je vous fasse une confidence : le Père Noël, non seulement il somnole pendant cette période, mais en plus il ronfle! Et vous savez, les ronflements du Père Noël, c’est comme son rire : ça s’entend de loin! Heureusement, c’est un ronflement bien régulier, alors ceux qui l’entendent en sont bercés et s’endorment à leur tour…
Et la Fée des Étoiles, me demanderez-vous? Éh! bien, ne le dites à personne, mais la Fée des Étoiles, dès leur retour au Château après la tournée, elle quitte sa belle robe défraîchie, son diadème et ses souliers de vair. Elle enfile un confortable pyjama à pattes et, à l’instar de ses frères Noël et Fouettard, elle dort.
Savez-vous, je vois là comme une sorte de retour des choses… Dans la semaine qui suit la tournée, le Père Noël, la Fée des Étoiles et même le Père Fouettard font des rêves pleins d’enfants qui rient, qui s’embrassent, qui sont heureux. Ça compense pour tous les enfants qui ont rêvé du Père Noël et de la Fée… ou qui parfois (pas souvent) cauchemardaient avec le Père Fouettard!
Tout ceci pour vous dire qu’entre Noël et le Jour de l’An, le Pôle Nord est enfoncé dans une douce torpeur.
Mais le matin du premier janvier, le royaume se réveille! Toute la matinée, chacun fait son bilan, son inventaire, son plan d’action.
Fouettard, l’aîné de la famille, ferme son grand livre de l’année passée et prépare son grand livre de l’année qui commence. Il trace une colonne pour les noms, une colonne pour les mauvais coups, une colonne pour la punition recommandée. Il frotte et polit la grande longue-vue qui lui permet d’épier tous les enfants de la Terre. Il remplit son encrier, il aiguise ses plumes.
Le Père Noël, lui aussi, ferme le livre de l’année finie et ouvre un beau cahier tout neuf avec une colonne pour les noms, une colonne pour les actes de gentillesse et de bonté, une colonne pour les cadeaux demandés par courrier.
Justement Adolphe, le postier du Pôle Nord, remet de l’ordre dans son bureau de poste. Il sait que le travail sera plus léger pendant quelques mois, avant que ne revienne l’avalanche des lettres à l’approche du prochain Noël.
Sabotdur prépare la liste de toutes les potions dont il aura besoin, y compris la poussière d’étoile filante qui permet aux rennes de filer dans le ciel.
Cloudecuir range ses outils, ses huiles, ses chiffons sur l’établi de l’écurie; Kling place en bon ordre ses limes, ses diapasons, tout ce dont il aura besoin pour que les grelots tintinnabullent de nouveau en parfaite harmonie. Petitpatin vérifie le feu de sa forge, ses pinces, son enclume, ses marteaux. Il affûte ses scies, les fers de ses rabots. Et tous les autres ainsi, le matin du premier janvier, planifient, préparent, imaginent, esquissent…
Puis, quand le soleil atteint le sommet du ciel au-dessus du Royaume, un signal retentit. C’est Piston le trompettiste qui, embouchant sa trompette magique, souffle un air à la fois puissant et apaisant, une sorte d’appel. Alors tous les habitants du Royaume accourent au Château, où le Père Noël, la Fée des Étoiles et le Père Fouettard les reçoivent. Même Fouettard est souriant, pour une fois!
Ils sont bientôt tous là : Adolphe le postier, Kling l’accordeur de grelots, Copeau et Bonnet les menuisiers-ébénistes, Coupdefil le couturier, Broquette le cordonnier, Potdevert le peintre, Contrefa le ténor, Sabotdur le palefrenier, Petitpatin le voiturier, Paillette la blanchisseuse, Cloudecuir le sellier, Tirette la bottière, Grosoeil le géographe, Feudoux la cuisinière et tous les autres lutins et lutines, et même les rennes. Mais pour l’occasion les rennes sont de la taille d’un moyen chat. Ah! vous ne le saviez peut-être pas, mais avec le pollen d’une certaine étoile, cueilli par la Fée des Étoiles, Sabotdur peut amener ses rennes à prendre des tailles diverses…
Donc là, au midi du premier jour de l’An neuf, tout le Royaume fête l’amour, l’amitié, la générosité, la bonté. Au Pôle Nord, pas de différence entre les grands et les petits, les oreilles rondes ou les oreilles pointues, les lutins ou les lutines, les pâles ou les bronzés, les barbus et les imberbes. Et puis tous croient au Père Noël. Alors la fête du Jour de l’An est comme un moment de grâce, où tous ceux qui travaillent à faire le bonheur des enfants de la Terre boivent à pleines gorgées le bon vin du bonheur.
Il y a bien Rudolph qui boirait trop d’une autre sorte de boisson. Mais ça, c’est Fouettard qui le dit, et vous savez comment Fouettard est mauvaise langue…
3 commentaires
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Je me dis que la mère Noël est vraiment chanceuse que les terribles ronflements du Père Noël ne l’empêchent pas de dormir. Ça doit être la magie de Noël qui perdure…Elle doit être bien sage aussi. Et j’ai bien aimé les deux derniers paragraphes.
J’aimerais savoir concernant les lutins si le Père Noël leur donne des noms (très imaginatifs) en fonction de leurs habiletés ou bien si c’est à cause de leur nom qu’ils sont à ce poste.