Le poète est venu...
Le poète est venu comme un soleil d’avril
Poser un œil brûlant sur la froideur du monde.
Et le poète a dit :
« Bonjour,
« Bonjour les fleurs,
« Vous êtes bien jolies,
« Vous avez doux parfum… »
L’Autre s’est emparé des jolies parfumeuses,
Les a bien repiquées en rangs bien alignés
Dans des serres de concentration,
Les a disciplinées,
Les a bien épurées,
Éliminant les faibles,
Imposant les couleurs,
Déterminant les formes.
Puis il les a tuées
En temps et lieu, selon les lois de la demande.
Il en a figé dans la cire,
Il en a coulé dans le verre,
Il en a ciselé pour des bouquets de noces
Et pour des bouquets de divorce
Il en a crucifié pour les pompes funèbres
Il en a mélangé aux rubans, aux peluches,
Au plastique, aux ballons,
Au phentex, aux bonbons.
Quand le poète cherche une rose tranquille
Balancée par le vent,
Une humble fleur des champs, marguerite ou pensée,
Un épilobe mauve, un bleu myosotis,
Il ne trouve plus rien dans les champs de béton,
Dans les plaines d’asphalte,
Dans les forêts d’acier aux feuillages de verre.
L’Autre a fait des bouquets de beaux billets de banque,
De beaux billets froissés de toutes les couleurs.
Mais ses bouquets n’ont pas d’odeur.
Le poète est venu comme un oiseau de mai
Tresser des anneaux d’or aux doigts des amoureux.
Et le poète a dit :
« Bonjour,
« Bonjour à vous qui croyez en l’éternité
« Qui n’avez plus qu’un cœur pour deux,
« Qui noyez l’un dans l’autre les soleils de vos yeux. »
L’Autre s’est emparé du cœur des amoureux,
Il a volé leur âme et détourné leurs yeux.
Il a tué l’Amour unique,
L’Amour sans fin, l’Amour toujours,
En lui donnant valeur comptable.
Et désormais les gens parlent de leurs amours
Comme d’un pantalon ou d’une automobile :
« Je vis mon quatrième
« Ou mon dixième amour,
« Mais je l’échangerai bientôt
Pour un autre modèle. »
Quand le poète cherche un couple de fidèles,
Un vieux couple vieilli comme l’acier trempé
Dans la forge du temps, dans le feu des années,
Il ne trouve le plus souvent qu'un assemblage
Que l’Autre a reconstitué
Avec des pièces de seconde main.
Le poète est venu comme un soleil de juin
Poser son œil de feu sur les enfants du monde.
Et le poète a dit :
« Bonjour,
« Bonjour enfants,
« Votre rire est joli comme une chanson d’ange.
« Le cercle de famille autour de vous s’enroule
« Et c’est un nid d’amour… »
L’Autre s’est emparé du rire des enfants.
Il a coupé le cercle.
Il a rompu les nids.
Et tous les enfants sans amour,
Il les a concentrés en rangs bien alignés
Dans les couvoirs artificiels des garderies,
Pour bien les uniformiser,
Les responsabiliser,
Les socialiser.
L’Autre s’est emparé du rire et de la liberté.
Les enfants désormais portent leur clé autour du cou
Comme un collier d’esclave.
Quand le poète cherche un enfant dans la ville,
Qui s’émerveille et chante avec les elfes et les fées,
Qui craint les ogres,
Et qui sait bien que son papa est le plus fort papa du monde,
Il ne trouve plus rien que des petits adultes
Qui regardent la guerre et la mort chaque jour
Sur l'écran de leur téléphone,
Et qui se moquent du Père Noël.
L’Autre a fait des jouets techniquement parfaits,
Mais ses jouets ne font pas rire
Et les enfants sont tristes.
6 commentaires
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Rien d'autre à ajouter.
C'est de vous???
C'est vrai que c'est dommage que ça soit vrai.
Le poète ne vient jamais seul. Il existe une vallée de larmes de tous les enfants pleurant d'ennui.
Un soir de beuverie, lourd de sa bedaine de glouton, cet Autre trébucha. Charmé par les chants de pleurs, Il avala alors la coupe du vin acide et pétillant de son pillage. L'acidité de ce breuvage lui coupa l'appétit ... À suivre!
Il est bien triste que ce soit vrai. J'ai pris plaisir à sermonner l'Autre!
Veuillez tolérer cette Sortie de Secours écrite qui n'enlève en rien la valeur et la profondeur de votre texte.
Cordialement, Constance Céline.