Le Noël de Cricri
Cricri, la petite souris grise, trottine doucement vers sa maison —un trou dans la plinthe, au bas du mur du salon. Juste devant le trou il y a une patte du divan, ce qui est bien commode car ainsi Boule-de-laine, le gros chat jaune, ne peut pas déranger Cricri : il est bien trop gros pour se glisser entre le divan et le mur!
Cricri trottine en pleurant doucement dans ses moustaches. Quand elle renifle, cela fait un petit bruit tout menu et tout triste : «nif, nif»... C’est qu’aujourd’hui, nous sommes le 24 décembre; toute la maison est illuminée, la cuisine est pleine d’odeurs appétissantes. Dans le salon, juste en face de la porte de Cricri, il y a un grand sapin avec tout plein de boules rouges, bleues, dorées... et là-haut, très, très haut, il y a une étoile qui brille comme un espoir.
Tout cela est bien gai, mais Cricri est bien triste. Toutes ces choses ne sont pas pour les petites souris. Elle aurait bien aimé pourtant participer à la fête! Elle aurait bien voulu voir la messe de Noël, entendre les cantiques et les carillons, et surtout —surtout! elle aurait bien aimé voir la crèche où l’on couchera le petit Jésus à minuit...
Depuis des jours et des jours Cricri entend les enfants de la maison qui posent des questions à maman et papa, depuis des jours elle écoute papa et maman raconter des choses merveilleuses à propos de Noël, à propos de la nuit enchantée pendant laquelle une étoile brillante comme un espoir a guidé des bergers et des rois vers un petit enfant couché sur de la paille.
Si au moins elle était un gros bœuf, ou même un âne! Car il y avait un bœuf et un âne dans la crèche, qui soufflaient sur le petit Jésus pour le réchauffer. Seulement Cricri est une souris, une toute petite souris grise. Jamais papa et maman n’ont raconté qu’une souris avait vu le petit Jésus dans la crèche. Un bœuf, un âne, des moutons venus avec les bergers, même des chameaux puisque les rois ne voyagent pas à pied. Mais une souris?...
Et puis les souris ne vont pas à l’église pendant la messe de Minuit! Alors Cricri pleure doucement en trottinant vers sa maison. Si doucement qu’elle n’éveille même pas le gros Boule-de-laine qui ronronne sur le divan.
Soudain... Un grand bruit arrive de la cheminée, un gros rire éclate, et Cricri toute tremblante voit apparaître une paire d’immenses bottes noires, puis de longues jambes rouges, puis une bedaine colossale, puis une barbe blanche, puis des joues rondes et des yeux rieurs et enfin un sac énorme plein de jouets et de boîtes de toutes les couleurs et de toutes les formes. Le gros bonhomme rit d’avoir dégringolé dans la cheminée; il époussette de sa mitaine rouge un peu de suie restée sur sa tuque.
Cricri est figée par la peur; Boule-de-laine, bien réveillé, se pelotonne sur le divan en retroussant méchamment ses babines.
Le gros bonhomme rit toujours. Il puise dans son sac, prend des boîtes joliment emballées, des joujoux, des bonbons, et les sème au pied du grand sapin. Puis il aperçoit Cricri et son rire redouble:
—Ah! C’est vrai, s’écrie-t-il de sa bonne grosse voix, j’allais t’oublier, toi. Attends!
Il fait un geste et voilà que Cricri est changée d’un seul coup en une jolie petite fille toute vêtue de gris. Le gros bonhomme la regarde un moment, puis il dit:
—On ne peut pas te laisser aller à l’église toute seule, il te faut un chevalier servant...
Il fait un autre geste et voilà qu’à la place de Boule-de-laine il y a, assis sur le divan, un gros garçon tout rond, tout rougeaud, tout confus, vêtu de laine jaunâtre.
—Parfait, parfait! rit le gros bonhomme. Maintenant dépêchez-vous : la messe de Minuit commence dans un quart d’heure!
Et il disparaît dans la cheminée. Alors le gros garçon tout rond tend son bras à la timide petite fille et ils se rendent tous deux à l’église. Là Cricri s’extasie des lumières et des carillons, s’émerveille des cantiques si harmonieux, se pâme d’admiration devant la crèche avec Joseph et Marie et l’enfant Jésus entourés par des bergers et des rois et aussi par le bœuf, l’âne, les moutons, les chameaux... Et puis il y a devant la crèche une étoile brillante comme l’espoir!
Quand elle a bien tout vu, tout entendu, tout admiré, quand son âme de souris est remplie de beauté, de bonheur et de paix, quand la messe est finie, Cricri se tourne vers son compagnon, l’embrasse sur les deux joues et... se réveille!
Boule-de-laine n’a jamais compris comment il a pu se réveiller avec une souris entre ses deux pattes de devant. Il était tellement surpris qu’il l’a laissée filer. Quant à Cricri, elle n’a jamais compris comment elle s’est retrouvée sur le divan entre les pattes du chat. Mais cela n’est pas important : elle est heureuse.
Et qu’y a-t-il de plus important que le bonheur —fut-ce le bonheur d’une souris, d’une toute petite souris grise?
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