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L’année des deux printemps

durée 17 janvier 2013 | 09h50
Note de l’auteur :  Nous ne sommes qu’en janvier, mais un redoux a fait fondre la neige…  Vers le 12 ou le 13 jnvier, on se serait cru en avril!  Ça m’a donné l’idée de vous présenter ce petit conte qui parle, justement, d’un printemps trop tôt venu…  Bonne lecture!
(Richard)

L’année des deux printemps



Cette année-là, le printemps vint tôt sur Rivière-du-Loup et ses alentours.  Trop tôt, peut-être…  Avril n’était même pas entamé que toute la neige avait fondu, la rivière coulait, libre de glaces, les tulipes dressaient leurs têtes multicolores au-dessus d’un gazon déjà verdoyant.


Nadine était heureuse, et triste en même temps.  Elle était contente de voir l’hiver finir, avec la neige à pelleter, les trottoirs dangereux, les nuits tombées avant l’heure du souper.  Mais Charles-Antoine, lui, adorait jouer dans la neige, patiner durant des heures, trouver des endroits assez abrités des lumières de la ville pour voir s’allumer les étoiles.


Charles-Antoine allait avoir quatre ans; sa maman n’en avait pas vingt-quatre.  Ils vivaient seuls, tous les deux.  Ce n’est pas mon affaire de raconter pourquoi.  Je dirai seulement que pour Nadine le bonheur s’entendait comme le rire de Charles-Antoine; pour Charles-Antoine, le monde avait le visage de Nadine.


Donc le printemps vint tôt, cette année-là.  Trop tôt, peut-être.


La patinoire était fermée, les toboggans séchaient sur le perron, le fort de neige avait disparu.  Charles-Antoine s’ennuyait.  Quand on a quatre ans et qu’on s’ennuie, on peut devenir bien turbulent, et bien cruel.


Nadine avait beau lui inventer de nouveaux jeux, l’emmener en promenade sur les trottoirs de la rue Lafontaine, lui offrir des pâtisseries à la Microboulangerie, Charles-Antoine restait morose.  Il insistait pour traîner son bâton de hockey en promenade, il boudait les nouveaux jeux, il refusait même les danoises et les chocolatines.


Charles-Antoine s’ennuyait de l’hiver comme seul un enfant de quatre ans peut s’ennuyer.  Il devenait méchant, tournait le dos aux autres enfants quand Nadine l’emmenait à la garderie.  Il ne riait plus.


Nadine ne savait plus que faire.  Pour elle, perdre le rire de Charles-Antoine, c’était perdre le goût de vivre.  Elle en vint à maudire ce printemps trop pressé, ses tulipes hautaines et sa rivière trop libre.  Un soir, elle pleura après avoir bordé son fils.


Y eut-il quelque génie pour l’entendre, quelque Manitou pour voir sa détresse?


Toujours est-il que le matin du trois avril, le froid descendit de l’Arctique, la neige se mit à tomber, d’abord doucement, légèrement…  Charles-Antoine se précipita dehors, ouvrant la bouche et tirant la langue pour goûter les flocons.


Le vent se leva vers midi, et la neige s’épaissit.  Elle tomba tout l’après-midi, toute la soirée, toute la nuit, toute la journée du lendemain et encore toute la nuit suivante.  Quand enfin le ciel s’éclaircit, il y avait de la neige plus haut que Charles-Antoine.  Les rues étaient bloquées, les écoles fermées, les tulipes ensevelies, la rivière figée.


Et l’hiver revenu ne quitta plus Rivière-du-Loup et ses alentours pendant tout le reste d’avril.  Cette année-là, le proverbe fut bien démontré, qui dit que « le trois fait le mois! »


Chaque jour était une fête pour Charles-Antoine, qui pouvait glisser et patiner à son goût!  Nadine prit congé pour l’aider à reconstruire le fort; elle invita tous les enfants du voisinage pour d’interminables batailles de balles de neige d’où les petits sortaient les joues rouges, le nez humide, les yeux brillants.  Elle monta un igloo avec une petite ouverture dans le toit, d’où l’on pouvait voir les étoiles s’allumer comme des yeux de fées.


Quand elle emmenait Charles-Antoine à la Microboulangerie, le petit garçon se gavait de chocolatines et de danoises.


À la fin du mois, un soir, il enroula ses petits bras autour du cou de sa maman et murmura :


—Tu sais, maman, c’est le plus beau cadeau du monde que tu m’as donné!


—Mais…  Je ne t’ai pas donné de cadeau, mon chéri!  De quoi parles-tu?


—Tu m’as redonné l’hiver, je le sais bien.  Un soir, je t’ai vu pleurer.  Je ne dormais pas.  Puis je me suis endormi, et j’ai vu le bonhomme Hiver, et il m’a dit qu’il allait revenir parce que tu avais pleuré.


Nadine serra très fort son petit garçon.  De grosses larmes d’amour vinrent brouiller ses yeux.


—Tu sais, maman, tu n’as plus besoin de pleurer, dit Charles-Antoine.  Je l’ai assez vu, le bonhomme Hiver, j’aimerais mieux qu’il s’en aille, maintenant.


Y eut-il quelque Manitou pour observer cette scène, quelque génie pour entendre cet aveu?


Toujours est-il que dans la nuit suivante l’air chaud monta du sud; au matin le soleil embrasa le ciel, la neige et la glace fondirent en un rien de temps.  Nadine et Charles-Antoine allaient vivre un merveilleux mois de mai, et toute une vie de bonheur calme.


Mais pour Rivière-du-Loup et ses alentours, cette année-là est restée, dans les souvenirs, comme « l’année des deux printemps »…

commentairesCommentaires

5

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  • MT
    M. Thériault
    temps Il y a 11 ans
    Encore un bien joli conte… un enchantement. On est pas mal gâtés par les temps qui courent!
  • VT
    Val T
    temps Il y a 11 ans
    J'en veux un autre!

    J'ai adoré celui-ci : la relation simple et touchante entre la mère et son enfant. J'ai un faible pour cette jolie phrase: "pour Nadine le bonheur s’entendait comme le rire de Charles-Antoine; pour Charles-Antoine, le monde avait le visage de Nadine."
    Bien sûr, j'ai adoré la touche de magie.
  • R
    Richard
    temps Il y a 11 ans
    @M. Thériault et Val T: merci pour l'appréciation!
  • A
    Annie
    temps Il y a 11 ans
    M. Levesque,

    Ce n'est pas parce que je n'avais pas encore commenté que je ne l'ai pas trouvé intéressant mais par manque de temps.

    Merci encore pour ces beaux moments de douceur et d'évasion.
  • R
    Richard
    temps Il y a 11 ans
    @Annie: Merci à toi! Des moments de douceur et d'évasion... Qu'elle joie d'entendre que mes contes peuvent avoir le même rôle qu'un voyage dans le sud, par ces jours de froid glacial... Et ça coûte pas mal moins cher!
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