Monsieur Joseph Connaissant
14 février 2013 |
14h10
APRÈS MADEMOISELLE BRIND’AMOUR ET MONSIEUR PARLENROND, PERMETTEZ-MOI DE VOUS PRÉSENTER CETTE SEMAINE UN AUTRE PERSONNAGE QUE VOUS RECONNAÎTREZ PEUT-ÊTRE… VOICI :
Monsieur Joseph Connaissant
Il faut que je vous raconte mon souper en compagnie de Monsieur Joseph Connaissant.
Jusqu'à la quinzaine dernière, je n'avais jamais rencontré ce Monsieur; mais lui, il me connaissait très bien. Dès qu'une relation commune nous eut présentés l'un à l'autre, Monsieur Joseph commença à me parler de mon patronyme, m'expliquant les origines latino-celtiques et l'évolution au cours des siècles de mon nom et de quelques autres noms de famille. Il enchaîna en me parlant de mon père qu'il croyait avoir connu, de mon village natal qu'il connaissait comme sa poche, de mon collège dont il n'ignorait rien. Et comme Monsieur Joseph est un esprit éclairé, il me fit l'honneur de porter jugement sur mon nom, sur mon père, sur mon village et sur mon école.
A vrai dire les connaissances de Monsieur Joseph m'ont alors paru quelque peu superficielles et ses jugements un peu... rapides. Mais telle était son assurance que je n'eus pas le mauvais goût de discuter.
Quelques jours se passèrent. Je rencontrais Monsieur Joseph de temps à autre, ce qui me permit de mesurer l'étendue de son savoir et la rigueur de son jugement pour ce qui regarde les ordinateurs portables, le personnel de secrétariat, les voitures coréennes, les revêtements d'extérieur en acier, la musique pop, mon dentifrice, les lunettes de mon voisin, l'économie de l'Afrique équatoriale et l'utilisation de la bombe à neutrons. Quant aux multiples émissions en reprise de notre télévision, Monsieur Joseph en savait tout. Absolument.
Toujours est-il que me trouvant sans doute une agréable conversation (j'avais un fort mal de gorge à ce moment, et mes répliques consistaient surtout en hochements de tête et en grognements admiratifs), Monsieur Joseph Connaissant m'invita à souper en sa compagnie dans un chic restaurant. Le meilleur restaurant, assurément, puisqu'il m'expliqua en détail les lacunes de tous les autres. J'acceptai avec empressement.
Nous arrivâmes à dix-huit heures. À dix-neuf, Monsieur Joseph avait refusé deux apéritifs parce que mal préparés, retourné un plat de hors-d'oeuvre trop peu frais à son goût, expliqué au serveur quelques notions élémentaires de bonne tenue et indiqué au maître d'hôtel quelques modifications indispensables à une meilleure présentation de son menu.
À vingt heures et demie, Monsieur Joseph refusa la première bouteille de vin avant même qu'elle fut débouchée. Une certaine lacération de l'étiquette et la couleur, un peu claire pour un bourgogne, lui parurent suspectes. À vingt-deux heures, il en avait refusé deux autres, la première parce que le bouchon n'avait pas exactement l'arôme auquel il s'attendait, la seconde parce que le sommelier énervé avait malencontreusement laissé tomber quelques parcelles de liège dans le vin.
La quatrième bouteille fut la bonne... et Monsieur Joseph m'entretint longuement de robe, de bouquet, de foudres et de jéroboams pendant que notre viande refroidissait. Puis il renvoya la viande sous prétexte qu'elle était trop froide, refusa de la reprendre réchauffée sous prétexte qu'elle était maintenant trop cuite, exigea de rencontrer le patron, asséna à ce dernier quelques solides notions d'administration hôtelière, puis prit la porte en me traînant à sa suite et bien entendu sans payer. D'ailleurs le patron était à ce point impressionné qu'il voulait, lui, payer Monsieur Joseph pour que celui-ci aille apprendre des choses à deux ou trois autres restaurateurs des environs...
Après cela, je n'ai plus beaucoup revu Monsieur Joseph Connaissant. D'abord ma gorge a guéri, j'ai pu participer plus activement aux discussions, oser quelques répliques, émettre quelques objections, vouloir glisser quelques nuances. Monsieur Joseph dès lors s'est mis à moins aimer ma conversation.
Et puis moi-même je me suis moins intéressé aux discours de Monsieur Connaissant après qu'il eut épuisé la circonférence de ses sujets de prédilection et qu'il fut revenu à son point de départ. La seconde fois qu'il me parla de mon patronyme, des ordinateurs portables, de mon dentifrice ou de musique pop, je fis comme si de rien n'était. Mais quand il remit le disque pour la troisième fois au sujet des voitures coréennes, du personnel de secrétariat et de la bombe à neutrons, je me lassai et décidai de retourner aux reprises télévisées.
Au moins, mon téléviseur ne postillonne pas!
Monsieur Joseph Connaissant
Il faut que je vous raconte mon souper en compagnie de Monsieur Joseph Connaissant.
Jusqu'à la quinzaine dernière, je n'avais jamais rencontré ce Monsieur; mais lui, il me connaissait très bien. Dès qu'une relation commune nous eut présentés l'un à l'autre, Monsieur Joseph commença à me parler de mon patronyme, m'expliquant les origines latino-celtiques et l'évolution au cours des siècles de mon nom et de quelques autres noms de famille. Il enchaîna en me parlant de mon père qu'il croyait avoir connu, de mon village natal qu'il connaissait comme sa poche, de mon collège dont il n'ignorait rien. Et comme Monsieur Joseph est un esprit éclairé, il me fit l'honneur de porter jugement sur mon nom, sur mon père, sur mon village et sur mon école.
A vrai dire les connaissances de Monsieur Joseph m'ont alors paru quelque peu superficielles et ses jugements un peu... rapides. Mais telle était son assurance que je n'eus pas le mauvais goût de discuter.
Quelques jours se passèrent. Je rencontrais Monsieur Joseph de temps à autre, ce qui me permit de mesurer l'étendue de son savoir et la rigueur de son jugement pour ce qui regarde les ordinateurs portables, le personnel de secrétariat, les voitures coréennes, les revêtements d'extérieur en acier, la musique pop, mon dentifrice, les lunettes de mon voisin, l'économie de l'Afrique équatoriale et l'utilisation de la bombe à neutrons. Quant aux multiples émissions en reprise de notre télévision, Monsieur Joseph en savait tout. Absolument.
Toujours est-il que me trouvant sans doute une agréable conversation (j'avais un fort mal de gorge à ce moment, et mes répliques consistaient surtout en hochements de tête et en grognements admiratifs), Monsieur Joseph Connaissant m'invita à souper en sa compagnie dans un chic restaurant. Le meilleur restaurant, assurément, puisqu'il m'expliqua en détail les lacunes de tous les autres. J'acceptai avec empressement.
Nous arrivâmes à dix-huit heures. À dix-neuf, Monsieur Joseph avait refusé deux apéritifs parce que mal préparés, retourné un plat de hors-d'oeuvre trop peu frais à son goût, expliqué au serveur quelques notions élémentaires de bonne tenue et indiqué au maître d'hôtel quelques modifications indispensables à une meilleure présentation de son menu.
À vingt heures et demie, Monsieur Joseph refusa la première bouteille de vin avant même qu'elle fut débouchée. Une certaine lacération de l'étiquette et la couleur, un peu claire pour un bourgogne, lui parurent suspectes. À vingt-deux heures, il en avait refusé deux autres, la première parce que le bouchon n'avait pas exactement l'arôme auquel il s'attendait, la seconde parce que le sommelier énervé avait malencontreusement laissé tomber quelques parcelles de liège dans le vin.
La quatrième bouteille fut la bonne... et Monsieur Joseph m'entretint longuement de robe, de bouquet, de foudres et de jéroboams pendant que notre viande refroidissait. Puis il renvoya la viande sous prétexte qu'elle était trop froide, refusa de la reprendre réchauffée sous prétexte qu'elle était maintenant trop cuite, exigea de rencontrer le patron, asséna à ce dernier quelques solides notions d'administration hôtelière, puis prit la porte en me traînant à sa suite et bien entendu sans payer. D'ailleurs le patron était à ce point impressionné qu'il voulait, lui, payer Monsieur Joseph pour que celui-ci aille apprendre des choses à deux ou trois autres restaurateurs des environs...
Après cela, je n'ai plus beaucoup revu Monsieur Joseph Connaissant. D'abord ma gorge a guéri, j'ai pu participer plus activement aux discussions, oser quelques répliques, émettre quelques objections, vouloir glisser quelques nuances. Monsieur Joseph dès lors s'est mis à moins aimer ma conversation.
Et puis moi-même je me suis moins intéressé aux discours de Monsieur Connaissant après qu'il eut épuisé la circonférence de ses sujets de prédilection et qu'il fut revenu à son point de départ. La seconde fois qu'il me parla de mon patronyme, des ordinateurs portables, de mon dentifrice ou de musique pop, je fis comme si de rien n'était. Mais quand il remit le disque pour la troisième fois au sujet des voitures coréennes, du personnel de secrétariat et de la bombe à neutrons, je me lassai et décidai de retourner aux reprises télévisées.
Au moins, mon téléviseur ne postillonne pas!
Commentaires
8
8 commentaires
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Bien fait pour votre personnage; il a dû trouver le temps bien long, mais avec tous les signes, il aurait dû deviner la tournure que ça prendrait et ne jamais accepter cette invitation!
Mon premier est l'ennemi de mon deuxième.
Mon petit deuxième, quand il est seul, connaît de jolis pas; quand on lui ajoute la particule de noblesse, il met les bateaux à l'abri.
Mon tout vous crève les yeux.
Les ennemis qui me viennent à l’esprit sont le feu et l’eau, le bien le mal, le chat la souris ou le proverbe qui dit que le mieux est l’ennemi du bien, mais ça ne colle pas.
Alors si vous le voulez bien, et si personne n’a trouvé d’ici là, avant de donner la réponse, vous me direz si mon point de départ était bon.
On essaie encore?
ra
de
charade? Est-ce que ça se pourrait?
chat
rat
de
Demain, un conte pour tous ceux de vous qui sont restés des enfants.