Monsieur Plumeauvent
L'homme est grand, cheveux gris redevenus blonds grâce aux vertus de la “Formule grecque”, teint blafard et même un peu verdâtre, longues mains d'artiste aux phalanges couvertes de poils et aux ongles délicatement taillés, cou de poulet et jambes torses. Il parle d'une voix pointue, tousse d'une toux délicate et rit (rarement) à petits hennissements fragiles. Il a des yeux qui ne se posent jamais, un nez aux narines diaphanes, une bouche qui se voudrait cruelle et qui n'est que boudeuse.
Mais je l'aime bien, cet homme. Il a des ambitions, mais se pique de détachement; et s'il prétend s'intéresser à tout c'est qu'il se cherche dans tout... Mais je l'aime bien. C'est un poète.
Ou plutôt il se veut poète.
Il serait un écrivain s'il écrivait le quart de ce qu'il prétend élaborer dans son vaste rêve éveillé. Et je n'oserais pas dire qu'il ne se croit pas du génie...
Il s'appelle Plumeauvent. Monsieur Aristide-Napoléon-Léo Plumeauvent. Et son poste dans une grande administration lui laisse d'amples loisirs pour l'Art... pour la Littérature... pour lui-même surtout!
Ce cher Léo! Il se connaît si bien, à force de se chercher jour après jour, que vous lui demanderiez pourquoi il prend son café à 15h18 plutôt qu'à 15h15, et il vous répondrait qu'il le sait! qu'il y a une raison... et, sans doute, que cette raison a quelque chose à voir avec l'un ou l'autre effet de l'Art.
Il me rend mon affection, monsieur Plumeauvent. Je lui parle souvent de lui...
Et surtout je lui parle de ce roman qu'il échafaude depuis quatorze ans, de cette comédie dont il est le seul à pouvoir rire car nul autre n'en connaît le moindre détail -sauf le titre: LES PRIVAUTÉS DE PLUMEAUVENT. Je lui rappelle avec quelle acuité il analyse les pages littéraires du DEVOIR...
Je lui demande souvent de me réciter son poème (car je ne lui connaîs qu'un poème) ou plutôt sa strophe (car son poème ne contient à vrai dire qu'une strophe.) Encore cette strophe n'est-elle qu'un distique, et si je demande à Léo de me le réciter c'est pour lui faire plaisir et non pour me le rappeler, car il y a longtemps que ces deux vers sont gravés dans ma mémoire. Les voici:
«O poète d'antan, aïeul de Plumeauvent,
Tu allais cheveux longs, bouche en cri, plume au vent...»
Certains de ses collègues prétendent (quelles mauvaises langues on trouve dans ces administrations!) que Léo se regarde tant soit peu le nombril, que ses oeuvres, s'il n'est guère certain qu'elles soient lisibles, sont par contre certainement autobiographiques; son chef de bureau (la vipère!) parle même de narcissisme, et sa directrice de section (sépulcre blanchi!) l'accuse de traiter ses dossiers selon des critères basés sur la similitude des cas avec le cas Plumeauvent. Mais dans ces administrations il se passe tellement de choses! Il passe tellement de gens! On étudie tellement de dossiers! Comment serait-il possible que quelques méchancetés ne se glissent pas de temps à autre dans les conversations de couloirs et de salles de toilette...
Revenons plutôt à Plumeauvent, à mon ami Plumeauvent. Car comment pourrais-je ne pas considérer comme un ami celui qui me promet depuis quinze années de me dédicacer une édition princeps de ses oeuvres sitôt l'encre d'imprimerie séchée? Celui qui me jure que je vais être le premier à connaître la nouvelle de son élection à l'Académie canadienne-francaise? Celui qui m’invite ferme, déjà, au lancement de ses prochains volumes?
Brave Plumeauvent! Certains perdent leur temps à se comparer aux autres, lui ne se compare qu'à lui-même —ou à Dieu le Père, à la rigueur. Certains s'usent à se plaindre de leur sort, lui plaint ceux qui ne sont pas comme lui. Certains courent après la gloire et la fortune, lui est persuadé que son étoile fait pâlir celle de Victor Hugo et que sa gloire est cause des distances que le commun des mortels garde à son endroit.
Décidément, je l'aime bien mon Plumeauvent. Il croit en lui-même.
Et pour une fois que dans les dédales de l'administration se rencontre quelqu'un qui croit en quelque chose avec certitude, simplicité, cohérence et persistance...
3 commentaires
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Autant m'en tenir à Plumeauvent. Qu'en pensez-vous?
J'ai lu dans la dernière semaines "Contes et menteries du bas-du-fleuve". J'ai acquis ce livre usagé récemment. J'ai beaucoup aimé et j'aimerais que vous me disiez à quel endroit je peux me procurer "Légendes de la Rivière-du-loup".
Merci à l'avance
Merci pour l'appréciation... Je pense qu'il peut rester quelques exemplaires des LÉGENDES à la Librairie J.-A. Boucher, sur Lafontaine. Sinon, peut-être un exemplaire usagé chez Turelis...
Bonne chance!
P.S. Avez-vous lu mon roman historique LE RELIQUAIRE? Pour celui-ci (plus récent), je sais qu'il en reste chez Boucher!