La Légende de Moontakoa le chanteur
19 avril 2013 |
16h43
NOUS SOMMES EN PLEIN TEMPS DES SUCRES… MAIS SAVEZ-VOUS COMMENT NOUS EST VENUE CETTE COUTUME D’ENTAILLER LES ÉRABLES, DE RAMASSER LEUR EAU POUR EN FAIRE CES DÉLICES DU PRINTEMPS QUE SONT LA TIRE, LE SUCRE, LE BEURRE D’ÉRABLE? LAISSEZ-MOI VOUS RACONTER…
La Légende de Moontakoa le chanteur
L’histoire que je vais vous conter s’est passée il y a très, très longtemps. Pourtant les suites de cette histoire nous touchent encore aujourd’hui. Particulièrement ces jours-ci, où le printemps finit de sortir de l’hiver et commence –enfin!- à entrer dans l’été.
Ce que je vais vous raconter s’est passé près d’ici. Mais c’était il y a très, très longtemps; il n’était pas question de Rivière-du-Loup dans ce temps-là, ni de Fraserville, ni de Québec ou de Canada, ni de Nouvelle-France. Ni même d’Amérique, à bien y penser. Mais la grande mer de glace avait fini de fondre, le fleuve avait creusé son chemin. Et la rivière, qui n’avait pas encore de nom, tombait déjà de cent pieds de haut avant d’aller rejoindre tranquillement le fleuve.
En ce temps-là, il y avait une tribu qui plantait son campement d’hiver non loin d’ici, bien à l’abri d’une forêt de grands érables. Dans cette tribu, il y avait une fille si belle que les hommes, quand ils la voyaient, en avaient le souffle coupé. Il y avait aussi un chanteur dans cette tribu. Mais lui, quand il chantait, personne n’avait le souffle coupé. Au contraire.
Les femmes de la tribu le trouvaient plutôt laid, et les hommes le disaient paresseux. D’ailleurs on l’appelait Moontakoa, ce qui veut dire à peu près : « Marmotte maladroite ».
Pour dire le vrai, c’était un bien piètre chasseur. Plutôt que d’encocher des flèches pour tuer lièvres et chevreuils, il préférait pincer la corde de son arc pour écouter les vibrations. Une fois même il eut l’idée bizarre de tendre trois cordes sur son arc, et pendant des jours il s’amusa à gratter ces cordes, les yeux perdus dans le vague.
À la pêche, il n’était pas meilleur. Plutôt que de lancer son harpon dans le dos argenté des grosses truites, il essayait, en sifflant, de faire le contrepoint au bruit de l’eau sur les rochers.
Quand par fatalité la tribu devait aller en guerre, Moontakoa restait au campement, avec les femmes, les enfants et les vieillards. Je ne sais pas ce qu’il serait devenu, si le Manitou ne lui avait pas donné des dons de guérisseur. Il serait mort de faim sans doute, ou de froid; car dans ces temps-là, les braves et les squaws n’avaient pas beaucoup d’indulgence à l’égard des maladroits qui ne savaient ni chasser, ni pêcher, ni se battre. Dans ce temps-là, où la survie de tous dépendait du courage et de l’adresse de chacun, il n’y avait pas de place dans la tribu pour un chanteur.
Sauf que Moontakoa, comme je le disais, avait le don de guérir. Alors on le tolérait.
Les femmes ne l’aimaient pas, elles le trouvaient plutôt laid. Mais quand un enfant pleurait sans arrêt depuis des jours, sa mère l’amenait au chanteur. Celui-ci connaissait le pouvoir des herbes, la vertu des écorces. Il préparait un breuvage qu’il faisait boire au petit en fredonnant une chanson. Et le bébé s’endormait doucement.
Quand une vieille squaw toussait depuis des semaines, quand une grande fille souffrait du ventre à tous les mois, on les amenait à Moontakoa. Il chantait en préparant ses philtres, et la jeune fille comme la vieille femme étaient soulagées.
Les guerriers le disaient paresseux. Mais quand l’un d’eux revenait du combat avec une pointe de flèche dans l’épaule, il allait chez le chanteur. Le chasseur à qui le grand ours avait arraché la peau d’une jambe allait trouver le chanteur, comme le pêcheur qui s’était cassé le bras en glissant sur les pierres de la rive. Moontakoa composait des emplâtres, concoctait des onguents, fabriquait des attelles. En chantant, toujours en chantant. Mais lui seul –et le Manitou- savaient que son chant avait un rôle à jouer dans la guérison des malades et des blessés. Maintenant, il faut que je vous dise : un jeune couple et leur petite fille avaient quitté la tribu en canot d’écorce, quelques années auparavant, pour aller vivre sur une île. Un automne, cette famille revint monter son tipi avec ceux de la tribu, dans le campement bien à l’abri d’une forêt d’érables. L’enfant était devenue une fille si belle que les hommes, quand ils la voyaient, en avaient le souffle coupé.
Tous les guerriers, les chasseurs, les braves, sont tombés plus ou moins sous le charme de la belle, qui s’appelait Kamouk, ce qui peut se traduire par : « Visage de fleur ». Le chanteur, lui, au premier regard, est tombé complètement, éperdument, désespérément amoureux. À tel point que du jour au lendemain il a tout oublié : les vertus des écorces, le pouvoir des herbes. C’est que le Manitou n’accepte pas que ses élus se détournent de lui…
Durant tout cet hiver-là, Moontakoa n’a fait que chanter pour sa bien-aimée. Il inventait toutes sortes de machines pour accompagner sa voix. Il grattait des nerfs de chevreuil attachés à des côtes de bélugas, battait des peaux de loups-marins tendus sur un crâne d’orignal, agitait des cailloux dans une vessie séchée.
Durant tout l’hiver, la belle Kamouk a refusé les avances de tous les braves, des meilleurs chasseurs, des guerriers les plus valeureux. Pour ce qui est du chanteur, elle écoutait ses poèmes et ses musiques, elle souriait, mais elle ne disait rien.
Puis vinrent les premiers jours du printemps, et la belle tomba malade.
Toute la tribu s’inquiéta, et Moontakoa plus que tout le monde. Parce que, rappelez-vous, il avait tout oublié : le pouvoir des herbes, la vertu des écorces. Pendant des semaines, il essaya de retrouver ses dons. Mais il avait beau mélanger, bouillir, pétrir, ses efforts ne servaient à rien. Il ne savait plus guérir. Et la belle se mourait.
Alors un matin, désespéré, le chanteur sortit du tipi où gisait sa bien-aimée, s’enfonça dans la forêt d’érables jusqu’au bord de la rivière, et se mit à chanter pour le Manitou. Il chanta d’une voix si prenante, sa mélodie était si belle, ses mots étaient si tristes, que les grandes outardes qui montaient vers le nord s’arrêtèrent dans leur course et vinrent se poser au bord de la rivière pour l’écouter. Les écureuils et les marmottes sortirent de leurs terriers et firent cercle autour de lui pour mieux l’entendre. Les rideaux de glace qui pendaient aux parois de la falaise, sous la chute, se fendirent et glissèrent dans l’eau tumultueuse de la rivière. Et la rivière elle-même sortit de son lit et s’approcha du chanteur pour l’écouter.
Et les érables à peine dégourdis de l’hiver, les grands érables remplis de sève, se mirent à pleurer. De leurs branches tombèrent des larmes sucrées qui gouttaient à travers les écorces avant de se figer dans la neige fondante.
Quand il sentit tomber sur lui la pluie douce et tranquille des érables qui pleuraient, Moontakoa comprit que le Manitou avait entendu son chant. Il fit un cornet avec de l’écorce de bouleau et recueillit les larmes des érables. Avec cette eau sucrée il inventa une médecine nouvelle, et la belle jeune fille qu’il aimait tant fut guérie, enfin.
***
Depuis ce temps-là, chaque fois que le printemps revient dans nos régions, il paraît que Kamouk et Moontakoa reviennent aussi. On ne peut plus les voir, car maintenant ils sont comme des esprits. Mais si vous observez bien certains phénomènes, vous saurez reconnaître leur présence.
Ainsi, quand la neige a commencé de fondre, rappelez-vous, il y a toujours des grands vents. Ça, c’est ce qui reste de la musique du chanteur. Encore aujourd’hui, les outardes s’arrêtent au bord de la rivière pour écouter le vent. Les marmottes et les écureuils sortent de leurs terriers pour mieux entendre. Les rideaux de glace qui pendent aux parois de la falaise se fendent et glissent dans les eaux tumultueuses de la rivière. Et parfois la rivière sort de son lit et s’approche pour écouter.
Et les érables à peine dégourdis de l’hiver, les grands érables remplis de sève, pleurent encore. Avec leurs larmes, on fabrique des sirops, des pains, des bouchées… Toutes sortes de remèdes qui guérissent du froid, des ténèbres, de l’ennui, de la peur, de la solitude, de la tristesse.
Vous saurez maintenant que tout ça est né il y a très, très longtemps, sur les bords de cette rivière que vous appelez maintenant la rivière du Loup.
La Légende de Moontakoa le chanteur
L’histoire que je vais vous conter s’est passée il y a très, très longtemps. Pourtant les suites de cette histoire nous touchent encore aujourd’hui. Particulièrement ces jours-ci, où le printemps finit de sortir de l’hiver et commence –enfin!- à entrer dans l’été.
Ce que je vais vous raconter s’est passé près d’ici. Mais c’était il y a très, très longtemps; il n’était pas question de Rivière-du-Loup dans ce temps-là, ni de Fraserville, ni de Québec ou de Canada, ni de Nouvelle-France. Ni même d’Amérique, à bien y penser. Mais la grande mer de glace avait fini de fondre, le fleuve avait creusé son chemin. Et la rivière, qui n’avait pas encore de nom, tombait déjà de cent pieds de haut avant d’aller rejoindre tranquillement le fleuve.
En ce temps-là, il y avait une tribu qui plantait son campement d’hiver non loin d’ici, bien à l’abri d’une forêt de grands érables. Dans cette tribu, il y avait une fille si belle que les hommes, quand ils la voyaient, en avaient le souffle coupé. Il y avait aussi un chanteur dans cette tribu. Mais lui, quand il chantait, personne n’avait le souffle coupé. Au contraire.
Les femmes de la tribu le trouvaient plutôt laid, et les hommes le disaient paresseux. D’ailleurs on l’appelait Moontakoa, ce qui veut dire à peu près : « Marmotte maladroite ».
Pour dire le vrai, c’était un bien piètre chasseur. Plutôt que d’encocher des flèches pour tuer lièvres et chevreuils, il préférait pincer la corde de son arc pour écouter les vibrations. Une fois même il eut l’idée bizarre de tendre trois cordes sur son arc, et pendant des jours il s’amusa à gratter ces cordes, les yeux perdus dans le vague.
À la pêche, il n’était pas meilleur. Plutôt que de lancer son harpon dans le dos argenté des grosses truites, il essayait, en sifflant, de faire le contrepoint au bruit de l’eau sur les rochers.
Quand par fatalité la tribu devait aller en guerre, Moontakoa restait au campement, avec les femmes, les enfants et les vieillards. Je ne sais pas ce qu’il serait devenu, si le Manitou ne lui avait pas donné des dons de guérisseur. Il serait mort de faim sans doute, ou de froid; car dans ces temps-là, les braves et les squaws n’avaient pas beaucoup d’indulgence à l’égard des maladroits qui ne savaient ni chasser, ni pêcher, ni se battre. Dans ce temps-là, où la survie de tous dépendait du courage et de l’adresse de chacun, il n’y avait pas de place dans la tribu pour un chanteur.
Sauf que Moontakoa, comme je le disais, avait le don de guérir. Alors on le tolérait.
Les femmes ne l’aimaient pas, elles le trouvaient plutôt laid. Mais quand un enfant pleurait sans arrêt depuis des jours, sa mère l’amenait au chanteur. Celui-ci connaissait le pouvoir des herbes, la vertu des écorces. Il préparait un breuvage qu’il faisait boire au petit en fredonnant une chanson. Et le bébé s’endormait doucement.
Quand une vieille squaw toussait depuis des semaines, quand une grande fille souffrait du ventre à tous les mois, on les amenait à Moontakoa. Il chantait en préparant ses philtres, et la jeune fille comme la vieille femme étaient soulagées.
Les guerriers le disaient paresseux. Mais quand l’un d’eux revenait du combat avec une pointe de flèche dans l’épaule, il allait chez le chanteur. Le chasseur à qui le grand ours avait arraché la peau d’une jambe allait trouver le chanteur, comme le pêcheur qui s’était cassé le bras en glissant sur les pierres de la rive. Moontakoa composait des emplâtres, concoctait des onguents, fabriquait des attelles. En chantant, toujours en chantant. Mais lui seul –et le Manitou- savaient que son chant avait un rôle à jouer dans la guérison des malades et des blessés. Maintenant, il faut que je vous dise : un jeune couple et leur petite fille avaient quitté la tribu en canot d’écorce, quelques années auparavant, pour aller vivre sur une île. Un automne, cette famille revint monter son tipi avec ceux de la tribu, dans le campement bien à l’abri d’une forêt d’érables. L’enfant était devenue une fille si belle que les hommes, quand ils la voyaient, en avaient le souffle coupé.
Tous les guerriers, les chasseurs, les braves, sont tombés plus ou moins sous le charme de la belle, qui s’appelait Kamouk, ce qui peut se traduire par : « Visage de fleur ». Le chanteur, lui, au premier regard, est tombé complètement, éperdument, désespérément amoureux. À tel point que du jour au lendemain il a tout oublié : les vertus des écorces, le pouvoir des herbes. C’est que le Manitou n’accepte pas que ses élus se détournent de lui…
Durant tout cet hiver-là, Moontakoa n’a fait que chanter pour sa bien-aimée. Il inventait toutes sortes de machines pour accompagner sa voix. Il grattait des nerfs de chevreuil attachés à des côtes de bélugas, battait des peaux de loups-marins tendus sur un crâne d’orignal, agitait des cailloux dans une vessie séchée.
Durant tout l’hiver, la belle Kamouk a refusé les avances de tous les braves, des meilleurs chasseurs, des guerriers les plus valeureux. Pour ce qui est du chanteur, elle écoutait ses poèmes et ses musiques, elle souriait, mais elle ne disait rien.
Puis vinrent les premiers jours du printemps, et la belle tomba malade.
Toute la tribu s’inquiéta, et Moontakoa plus que tout le monde. Parce que, rappelez-vous, il avait tout oublié : le pouvoir des herbes, la vertu des écorces. Pendant des semaines, il essaya de retrouver ses dons. Mais il avait beau mélanger, bouillir, pétrir, ses efforts ne servaient à rien. Il ne savait plus guérir. Et la belle se mourait.
Alors un matin, désespéré, le chanteur sortit du tipi où gisait sa bien-aimée, s’enfonça dans la forêt d’érables jusqu’au bord de la rivière, et se mit à chanter pour le Manitou. Il chanta d’une voix si prenante, sa mélodie était si belle, ses mots étaient si tristes, que les grandes outardes qui montaient vers le nord s’arrêtèrent dans leur course et vinrent se poser au bord de la rivière pour l’écouter. Les écureuils et les marmottes sortirent de leurs terriers et firent cercle autour de lui pour mieux l’entendre. Les rideaux de glace qui pendaient aux parois de la falaise, sous la chute, se fendirent et glissèrent dans l’eau tumultueuse de la rivière. Et la rivière elle-même sortit de son lit et s’approcha du chanteur pour l’écouter.
Et les érables à peine dégourdis de l’hiver, les grands érables remplis de sève, se mirent à pleurer. De leurs branches tombèrent des larmes sucrées qui gouttaient à travers les écorces avant de se figer dans la neige fondante.
Quand il sentit tomber sur lui la pluie douce et tranquille des érables qui pleuraient, Moontakoa comprit que le Manitou avait entendu son chant. Il fit un cornet avec de l’écorce de bouleau et recueillit les larmes des érables. Avec cette eau sucrée il inventa une médecine nouvelle, et la belle jeune fille qu’il aimait tant fut guérie, enfin.
***
Depuis ce temps-là, chaque fois que le printemps revient dans nos régions, il paraît que Kamouk et Moontakoa reviennent aussi. On ne peut plus les voir, car maintenant ils sont comme des esprits. Mais si vous observez bien certains phénomènes, vous saurez reconnaître leur présence.
Ainsi, quand la neige a commencé de fondre, rappelez-vous, il y a toujours des grands vents. Ça, c’est ce qui reste de la musique du chanteur. Encore aujourd’hui, les outardes s’arrêtent au bord de la rivière pour écouter le vent. Les marmottes et les écureuils sortent de leurs terriers pour mieux entendre. Les rideaux de glace qui pendent aux parois de la falaise se fendent et glissent dans les eaux tumultueuses de la rivière. Et parfois la rivière sort de son lit et s’approche pour écouter.
Et les érables à peine dégourdis de l’hiver, les grands érables remplis de sève, pleurent encore. Avec leurs larmes, on fabrique des sirops, des pains, des bouchées… Toutes sortes de remèdes qui guérissent du froid, des ténèbres, de l’ennui, de la peur, de la solitude, de la tristesse.
Vous saurez maintenant que tout ça est né il y a très, très longtemps, sur les bords de cette rivière que vous appelez maintenant la rivière du Loup.
Commentaires
8
8 commentaires
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Mon passage préféré est celui où "Il chanta d'une voix si prenante, sa mélodie était si belle, ses mots si tristes, que les grandes outardes" ...etc, etc...
Je trouve ça bien bien beau.
Vos appréciation sont pour moi comme du bon sucre d'érable...
En lisant ça, je me disais qu'une chance que RDL a existé, tout part de là, mais je pense que vous avez un parti pris parce que ça explique aussi ce qui se passe dans le Témis...
Vous êtes décidément un très bon conteur(???).
Bonne semaine,