Autonomie alimentaire : en quête d’un sain équilibre
Pour la résidente de Saint-Juste-du-Lac au Témiscouata, Julie Grant, la notion d’autonomie ne se limite pas qu’à l’alimentation. Il s’agit non seulement d’un mode de vie, mais aussi d’un art de vivre qu’elle expérimente depuis près de 18 ans.
Il faut dire que la pomme n’est pas tombée loin de l’arbre, puisque son enfance a été marquée par sa présence à la ferme laitière familiale. Elle y a aussi travaillé à l’adolescence. Dès qu’elle a eu un choix de vie à faire, Julie Grant s’est tournée naturellement vers la campagne.
«Tranquillement pas vite, quand tu as de l’espace, tu rêves un peu de cette vie-là. Tu as quelques poules, tu fais un jardin, tu t’installes mieux et tu agrandis tes trucs. Finalement, ça prend plus d’espace physiquement, mais dans ta vie aussi», explique Julie Grant. Cette dernière est formatrice en alphabétisation à l’ABC des Portages. En choisissant de s’installer à Saint-Juste-du-Lac, elle s’est donné une certaine liberté financière puisque le prix des maisons est moins élevé qu’en ville. «J’ai plus de temps, je ne cherche pas nécessairement à travailler à temps plein. Je ne suis pas prise à la gorge avec de gros paiements et comme je n’ai pas d’obligation économique extrême, ce que je fais chez nous a aussi un impact», ajoute Mme Grant. Le sens du mot autonomie s’est aussi élargi puisqu’elle récolte elle-même le bois qui sert à chauffer sa maison en hiver.
On voit souvent l’autonomie et l’autosuffisance comme le fait d’avoir un jardin et de s’occuper d’animaux, mais le changement est un peu plus profond que ce que l’on pourrait penser et demande beaucoup d’organisation. «Il y a tout un volet de transformation qui n’est vraiment pas à sous-estimer. Il faut passer plusieurs heures en cuisine. À un moment donné, il faut que tu trouves ton équilibre. On n’est pas au temps de la colonisation où on devait vivre en autarcie. Je n’ai pas cette prétention parce que c’est vraiment beaucoup de travail», explique Julie Grant. Pendant certaines années, toute la viande (cochon, poulet, œufs) et la majorité des légumes consommés par sa famille provenaient seulement de la production de sa terre. «Une des bases chez nous, c’est la sauce tomate. C’est ma spécialité. Elles sont toutes assaisonnées avec des légumes. Pendant quelques jours, je fais des grosses productions de sauce tomate, mais après ça, pour quelques semaines, je sauve du temps.»
Au cours des trois dernières années, l’envie s’est cependant faite sentir de ralentir la cadence et de chanter comme la cigale plutôt que d’agir comme la fourmi de la fable de Jean de La Fontaine.
LA FORCE D’UN RÉSEAU
Elle achète maintenant de la viande de son voisin. Une autre de ses connaissances lui fournit ses œufs. La base de son alimentation repose essentiellement sur des producteurs situés dans un rayon de 10 kilomètres de chez elle. Son degré d’autonomie fluctue avec les années, selon le temps qu’elle souhaite y mettre. «C’est le constat qu’on a fait pendant cette crise, faire reposer ça seulement sur les épaules d’un individu, je pense que c’est lourd. Mon réseau n’est pas formé de gens qui ont pignon sur rue, mais il me permet de m’entourer d’une communauté qui m’assure une certaine sécurité d’approvisionnement», précise Julie Grant. Selon elle, il faut surtout voir l’autonomie alimentaire comme étant la force d’un réseau. «Il ne faut pas juste penser à l’individu. Moi en tant qu’individu, je ne suis pas grand-chose. J’ai besoin d’un réseau pour pouvoir être autonome. J’ai besoin de celui qui vend de la paille pour pouvoir mettre une litière à mes animaux. J’ai besoin de celui qui a plus d’animaux et qui fait du fumier pour engraisser mon jardin. J’ai besoin de quelqu’un qui fait de la mécanique», image-t-elle.
ART DE VIVRE
Julie Grant voit l’autonomie alimentaire comme un mode de vie et un art de vivre qu’elle veut transmettre à ses enfants. «Manger un brocoli du jardin, ça ne goute pas pareil que le brocoli que tu achètes à l’épicerie. Mon petit gars de 10 ans, quand j’achète du brocoli, il le goute tout de suite. Avec cet art de vivre de bien manger, d’avoir des aliments frais et gouteux à portée de main, on devient gourmand.» En étant témoin de tout le travail que demande la récolte de ses propres aliments et leur transformation, l’appréciation de la valeur de ce qui est servi sur la table est bien différente. «Ça amène beaucoup de sentiment d’accomplissement. Le fait d’avoir un repas qui vient complètement de chez vous ou dans un rayon de 10 kilomètres, c’est valorisant. On connait l’effort qu’il y a eu derrière et le gout est complètement différent»
Ce choix de vie peut sembler idyllique, mais il vient aussi avec plusieurs contraintes et obligations. «Quand les concombres sont prêts, ça ne peut pas attendre deux semaines. Ça se peut que pendant un bel après-midi d’été, à la place d’aller à la plage, il va falloir faire de la relish pour ne pas les perdre. Des fois, je me demande : ‘’est-ce que c’est vraiment nécessaire. Est-ce que je passe à côté d’une certaine partie de ma vie?’’ Après, quand tu mets la relish sur la table qu’elle donne un petit ‘’kick’’ à ton hamburger, le sentiment d’accomplissement vient compenser. Ça prend cet équilibre. Jusqu’où je suis prête à aller et à accepter les contraintes?», résume Julie Grant.
CRISE SANITAIRE
La crise de la COVID-19 a amené des questionnements notamment sur la mondialisation de l’alimentation. Julie Grant croit que la mise en valeur de l’approvisionnement local est une excellente nouvelle. «Ça nous a réconfortés quant à notre choix de vie des dernières années. On a le sentiment d’être sur la bonne voie. Des fois tu doutes. On n’est plus au temps de la colonisation. On est habitué à un autre rythme de vie, des fois on se pose des questions. Est-ce qu’on fait ça pour rien, se prive-t-on vraiment ?» Au cours des dernières semaines, Julie Grant a décidé de bâtir un atelier pour être la plus efficace possible et ainsi moins ressentir les contraintes de son mode de vie.
«La crise m’a permis de réfléchir à mon rapport au temps. Quand je travaille chez moi, j’ai le même gain financier que si je donnais mon temps à quelqu’un d’autre en échange d’un salaire.» - Julie Grant
Elle recommande à ceux qui souhaiteraient se lancer dans l’agriculture ou le jardinage cet été de ne pas s’en mettre trop sur les épaules pour commencer. «Il faut rester dans la notion de plaisir plutôt que d’être dans un mode de performance et ne pas se mettre la barre trop haute. Plus le jardin est grand, plus ça demande de l’espace d’entreposage», souligne-t-elle.
La résidente de Saint-Juste-du-Lac veut développer au cours des prochaines années son approvisionnement en petits fruits pour en avoir toute l’année. Son autonomie alimentaire comprend aussi la cueillette de plantes sauvages, de champignons, la pêche, bref, s’éduquer et connaitre ce qui nous entoure pour vivre en harmonie avec la nature.
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