Quand le mot espoir quitte le vocabulaire
«Comment les gens peuvent-ils savoir ce qui se passe ici et nous laisser souffrir comme ça?»Cette question, le Dr André Munger l’a entendue plus d’une fois de la fin octobre au début décembre, une période qu’il a passée au cœur de la bande de Gaza, l’un des endroits les plus explosif de la planète. Une interrogation en apparence simple posée par des citoyens gazaouis, mais dont les tenants et aboutissants sont beaucoup plus complexes. «Disons que les mots nous manquaient…», a reconnu le médecin d’expérience.
Au lendemain d’une mission de six semaines, durant laquelle il a dirigé un hôpital de Médecins sans Frontières (MSF) France dans la région de Deir al-Balah, au centre du territoire assiégé par l’armée israélienne, le Dr Munger gardait en tête les rencontres humaines qu’il y a faites, souvent autour d’un thé.
Les scènes d’horreur, crève-cœurs, dont il a été témoin, sont impossibles à oublier. Les images des centaines de milliers de personnes «prisonnières» d’une enclave sans issue, sans domicile, ni ressources de première nécessité, sont toujours aussi vives, tout comme celles de leurs enfants très malades et mal nourris, pris au piège dans le froid de l’hiver.
Les bombardements quotidiens et incessants sur l’ensemble de la bande de Gaza résonnaient toujours aussi fort, tout comme les tirs des soldats au sol, parfois même à l’intérieur des tentes et abris de fortune.
Mais cette fois, au-delà de la détresse humaine, une détresse qu’il a plusieurs fois observée lors de précédentes missions, il a été confronté à une réalité plus singulière : une indignation générale des citoyens gazaouis, alimentée par l’inaction de la communauté internationale devant l’horreur dont ils sont victimes.
«Pourquoi rien n’est fait? Comment est-ce possible?», ont-ils répété, incrédules, aux humanitaires à court de réponses.
«Quand tu es dans un petit village de la République centrafricaine, au cœur de la brousse, ces questions spontanées sont moins présentes, même si on y retrouve aussi des affrontements entre des bandes armées, des bombardements, de la famine, des enfants qui meurent…», soutient le Dr Munger. Ce dernier est intervenu dans plusieurs zones de guerre aux quatre coins de la planète au cours des 20 dernières années.
«Cette fois, c’était très différent. Gaza est sur le bord de la mer Méditerranée, au centre de notre monde. La situation là-bas est connue, très documentée depuis longtemps. Les [habitants] sont aussi connectés, instruits et ils savent très bien que la Terre entière regarde tout ce qui se passe.»
Il convient que cette réalité «dure et cruelle» a été difficile à vivre sur le terrain, notamment dans les échanges quotidiens avec les civils. «Ils sont canardés tous les jours, mais la communauté internationale n’est pas capable d’arrêter leurs souffrances, résume-t-il. Ça crée une incompréhension et des questions légitimes… que l’on se pose nous aussi. Comment peut-on leur répondre? C’est très confrontant.»
Le mot «espoir», raconte-t-il, ne fait d’ailleurs plus partie du vocabulaire d’un grand nombre de Gazaouis, preuve que les blessures subies dans la bande de Gaza sont profondes et remontent à bien avant cette guerre. «Un homme m’a dit qu’il ne voulait tout simplement plus l’entendre. Ça fait tellement longtemps qu’ils espèrent [la paix] que ça les rend malades.»
Le Dr Munger assure néanmoins que les citoyens de Gaza étaient reconnaissants de la présence des humanitaires. Ces derniers, lucides, conviennent que cette aide ponctuelle ne peut suffire à résoudre leurs problèmes.. «Ils le savent…et nous aussi», résume le médecin.
C’est pourquoi ils leur ont demandé de promettre une chose : «Que nous allions continuer d’en parler, d’informer les gens sur ce qui se passe ici. C’est ce que je fais aujourd’hui.»
>> Gaza : une guerre en chiffres
Des morts, des blessés, une population déplacée et un territoire rasé… les quinze derniers mois de conflits entre le Hamas et l’armée israélienne auront marqué à jamais la bande de Gaza. Portrait de la situation en chiffres, selon les données du ministère de la Santé de Gaza (jugées fiables par l’ONU) et un récent rapport de MSF.
Attaques du 7 octobre 2023 en Israël
- 1 210 personnes tuées, dont environ 800 civils et plus de 50 enfants
- 251 prises en otage
Offensive israélienne à Gaza
- Plus de 46 000 victimes, dont une majorité de civils palestiniens
- Plus de 105 000 blessés
- Environ 1,9 M de personnes déplacées (90 % de la population)
- Seulement 229 patients autorisés à évacuer (1,6 % des besoins)
- 19 hôpitaux hors de service
- 8 employés de MSF et membres de leur famille tués
- 41 attaques et incidents graves subis par le personnel de MSF
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