À propos de bienveillance
Eliane Vincent
Bonjour, je suis la blogueuse et j’inaugure aujourd’hui ce très beau et très invitant environnement pour nos conversations. Avec la gang du Blogue citoyen, souhaitons-nous longue vie sur InfoDimanche!
J’allais écrire quelque chose de songé sur le concept de bienveillance. Une récente incursion dans une escarmouche où le mot woke a été largement utilisé m’avait fait réfléchir sur la façon dont on s’emporte. Avec les meilleures intentions du monde, alors qu’on veut protéger et redonner leur dignité aux opprimés, on se retrouve, ayant atteint le bout de ses arguments, à traiter un octogénaire de « vieux tab... » – ce qui, vous me l’accorderez, est de l’âgisme caractérisé!
J’allais même oser, comme bien d’autres, affirmer que la nature des propos échangés au cours de ladite escarmouche rappelle le catéchisme d’antan, avec ses 519 réponses àsavoirparcœursouspeinedepéchévéniel.
Où est Dieu? – Dieu est partout, qu’ils disaient sur les bancs d’école.
Il aura fallu attendre Yvon Deschamps pour enfin remarquer que si les justes seront assis à la droite de Dieu, voulez-vous ben me dire c’est où, la droite de partout?
Je m’égare, mais pas tant que ça. Je voulais dire qu’il faut faire attention avec les dogmes, qu’ils sont toujours pleins de trous qu’on n’a pas le droit de remettre en question. Et aussi que c’est bien difficile de faire passer nos convictions dans le chas de l’aiguille de notre vivre ensemble. Comme l’a écrit fort justement mon tonton littéraire : [...] j’aime tout l’monde et mon voisin ça dépend (André Vincent, L’ouverture, éditions Parthen’air, 2006).
Et puis...
Et puis est arrivé vendredi, et ce vendredi-là a réuni dans notre cuisine de la famille rare, ce bout de famille qu’on voit ben trop pas souvent, dont on s’ennuie et qu’on retrouve comme on chausse – les clichés les plus usés sont toujours les meilleurs – des pantoufles moulées à son pied à force de promenades du lit au frigo.
Avec cette famille-là, on peut parler de tout, on n’est pas du genre à s’offenser de grand-chose. Nos convictions sont en constante évolution, on n’a pas tellement le temps de s’y accrocher. Peu importe le sujet, de nos discussions finit presque toujours par jaillir une lumière qu’on n’aurait pas crue possible; ça nous garde les yeux ouverts bien grand, comme le cœur. On navigue entre nos idées, gardant ce qu’on pense le meilleur et laissant faire le reste.
Ce vendredi-là, donc, après les penne et leur sauce unique jalousement proclamée meilleureaumondeévidemment, je jouais à la dame-de-la-maison, lavage de chaudrons et essuyage de comptoirs, en écoutant les trois ou quatre conversations qui roulaient autour de la table, à quelques pas derrière moi. Un sujet chaud, un sujet musique, un sujet photos de famille, et peut-être encore un autre sujet mais j’ai perdu le fil, égarée dans l’idée qu’il y avait de la bienveillance autour de cette table-là, de la vraie.
De la bienveillance familiale, la plus répandue. Je l’ai savourée longuement, lavant même quelques assiettes de trop, pour le seul plaisir d’être encore une fois sur la clôture, à contempler ce que nous sommes.
Il est grand, ce mystère-là
À l’échelle de nos cuisines, la bienveillance reste possible. Mais, nom d’un petit bonhomme, on dirait que dès qu’elle sort de là pour rejoindre la grand-place publique, celle des foules et des écrans, elle s’étiole devant la différence. On ne s’endure plus le point de vue divergent, on revendique ses opinions forgées dans l’acier des algorithmes, on ne souffre plus la contradiction, encore moins le compromis. La nuance est péché.
Conclusion? Puisque c’est Noël, je nous propose en guise de résolution vertueuse de nous méfier de nos certitudes, de nous rappeler d’écouter avant de parler, d’écouter avec ses yeux, comme l’a dit le même tonton que tout à l’heure, en cherchant ce qui nous ressemble plutôt que ce qui nous oppose. Il y a presque toujours un coin de l’autre auquel on peut rattacher nos idées, et vice-versa.
Boucar Diouf a l’art de dire ces choses-là, et il le fait superbement dans sa chronique du 17 décembre dans La Presse, en partageant un extrait de Paulo Coelho qui colle tellement bien à mon propos que j’en veux faire ma conclusion. Merci messieurs.
Dans l’histoire, un rabbin très sage demande à ses disciples quel est le moment où la nuit finit et où commence le jour. Certains pensent que le jour arrive lorsqu’on peut distinguer une brebis d’un chien, ou un olivier d’un figuier, mais le rabbin les rappelle à l’ordre : « C’est quand un étranger s’approche, que nous le confondons avec notre frère et que les conflits disparaissent. Voilà le moment où la nuit prend fin et où le jour commence. »
Par Éliane Vincent
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