Silos si beaux

Corine de Repentigny
J’adore faire découvrir la région à des étrangers. Leur vision toute neuve permet d’en apprendre sur ce que l’on croit connaitre. Leurs questions surprenantes engendrent parfois des fous rires, des recherches ou, tout simplement, la contemplation.
Je me souviens de cet étudiant anglophone, excédé de ses erreurs avec le genre masculin ou féminin, qui m’avait posé cette colle : « puisqu’on doit dire LA devant, alors peux-tu m’expliquer ce qu’est une POCATIÈRE,
Belle lancée, directement dans
Il y a eu cette Française, fraichement débarquée, qu’on avait invitée à luncher dans un shack à patate sur le bord de la route. « Qu’est-ce qu’une guedille ? » fut sa première question en lisant le menu sur le mur.
Hum. Comment expliquer sérieusement que c’est de la morve qui pendouille, comme dans « avoir la guedille au nez », mais que c’est aussi une garniture avec de la mayonnaise qu’on place dans un petit pain ?
Non, je ne connais pas l’origine du mot (mais quelle bonne question) !
Oui, effectivement, on est franchement dégueulasse !
C’est donc avec bravoure qu’elle a commandé une guedille au poulet. En rajoutant d’un ton à la fois candide et assuré « avec
Mémorable. Je riais trop pour manger.
Plus poétique, je repense cet un autre visiteur étranger avec qui je me promenais près d’un champ enneigé. Il s’est soudainement figé, le nez en l’air avec une expression béate.
— Ils sont tellement beaux…
— Quoi ? Les nuages ?
— Non, vos vieux
Ha ? Avant cette date, je n’avais jamais pris le temps de les observer attentivement. Son regard m’a permis de les admirer pour la première fois. On trouve nos églises majestueuses et nos phares pittoresques, mais, dans les terres agricoles, ce sont eux les repères, les monuments, les gratte-ciels ruraux.
Mon ami trouvait ces totems phalliques de la plaine (selon ses mots) très élégants avec leur coiffe en dôme immaculée. Son attention était surtout portée sur la bande de motifs juste en dessous. Le silo qu’on regardait arborait un anneau blanc avec des as de trèfle foncés. Il m’a fait remarquer que les motifs et les couleurs variaient d’une ferme à l’autre. Carreaux, lettrages, fleur de lys ; rouges, verts, bleus, noirs…
En écrivant ces lignes, je m’interroge sur leur raison d’être. Simple ornement ? Marque de commerce ? Signalisation pour les petits avions ou les hélicoptères ? Et comment ça se passait au moment de la construction ? Un représentant arrivait avec son catalogue de motifs, de la même façon qu’on peut choisir une tapisserie ? Je suis née en campagne, mais je ne connais pas ces détails. Presque une honte.
En bref, les nouveaux arrivants et les voyageurs ont le pouvoir de nous faire jeter un nouveau regard sur nos lieux, notre culture et notre savoir. Parfois, ils repartent chez eux, nous laissant seuls avec nos questionnements, nos larmes à l’œil, nos guedilles au nez, mais nos horizons ont grandi grâce à eux. C’est ce que j’appelle « voyager dans sa cour ».
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