À la recherche de l’empathie perdue
Pierre Lachaîne
Nous venons tout juste de tourner la page sur une autre année. Une majorité d’éditorialistes, de chroniqueurs et d’essayistes nous convie à différents exercices de remise en question. Ce que nous avons fait de bien, de moins bien et de très mauvais. Puis, viennent les recommandations pour l’année à venir, les tendances fortes, les sursauts de l’économie probables ou à envisager, les défis politiques et sociaux avec en prime des colonnes de chiffres et des graphiques dont l’acuité prévisionnelle varie selon les années. Cette pratique qui consiste à analyser le passé et à prédire l’avenir fait quasiment partie du folklore ou du moins de la tradition. Peut-être est-ce une façon de ne pas trop se culpabiliser par les non réalisés en les repoussant dans les à réaliser.
Sous la rubrique des objectifs ratés ou des non réalisés, il y a toujours le logement abordable, l’accès aux soins de santé, la lutte contre la pauvreté surtout chez les enfants, l’accès au service de garde et aux établissements scolaires, offrir des services de qualité et en quantité aux sans-abris, offrir un financement adéquat aux organismes qui luttent contre la violence conjugale et plus globalement contre la violence faite aux femmes. Nous pourrions poursuivre cette liste encore longtemps. Les besoins sont criants, la souffrance incommensurable et les tentatives d’y remédier nettement insuffisantes.
Plonger dans l’abîme des problématiques sociales nous donne trop souvent l’impression d’entendre un vieux disque de vinyle dont l’aiguille de lecture s’accroche sur le même sillon. On se répète année après année que la prochaine sera enfin celle où la donne changera et puis la rengaine revient, rejoue encore et encore mais avec plus de lourdeur dans le tempo car les problématiques s’alourdissent, s’entrechoquent à la manière d’une spirale qui progresse encore plus profondément dans l’innommable.
Nul doute, il existe un parallèle à faire avec la pénurie de main-d’œuvre. Le manque est sans précédent et sévit simultanément dans tous les secteurs. Dans certains hôpitaux, on a fait une trouvaille, le temps supplémentaire obligatoire (TSO). Une façon de nier le problème. Dans les commerces, des commis pas plus hauts que trois pommes à qui l’on demande la même dextérité qu’aux personnes expérimentées, encore une façon de noyer le poisson. La machine à imprimer des dollars et les caisses enregistreuses fonctionnent à plein régime. Les clients se comportent comme s’il n’y avait rien de nouveau. Il y a un manque de personnel dites-vous, ben voyons.
L’empathie s’est perdue dans la vitesse des actions humaines, déjà que l’image du métro-boulot-dodo nous laissait entrevoir la laideur de ce qui nous attendait. Nous nous y sommes néanmoins précipités à corps perdu, sans âme et surtout sans prendre le temps de réfléchir. Toujours la rengaine du temps perdu, le temps c’est de l’argent donc ne pas en perdre, rien à perdre on mise tout sur le plus rapide. Perdre sa vie à la gagner. Réfléchir mais pourquoi faire? Surtout qu’il faut du temps pour le faire et c’est précisément ce que nous n’avons pas, que nous n’avons plus.
Pour retrouver l’empathie, il faut retrouver le temps de se voir vivre. Il faut retrouver le temps de comprendre l’autre. Il faut aussi retrouver le temps de souffler, le temps d’entendre, le temps d’observer. Peut-être serons-nous en mesure, à nouveau, d’entendre la plainte de l’autre.
Nous vous recommandons, bien humblement, de réécouter la magnifique chanson de Paul Piché, l’Escalier. Je nous souhaite une très bonne année à s’écouter et à s’entendre chanter l’espoir que nous puissions arriver à freiner avant que la vitesse nous siffle l’humanité qu’il nous reste.
Par Pierre Lachaîne
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