Qu’est-ce qui nous fascine dans le crime ?
Geneviève Malenfant Robichaud
Un soir où je sélectionnais un balado à écouter, j’ai réalisé que plusieurs de mes choix parlaient de crimes. Et que ce genre d’histoires, même tragiques, ne m’empêchaient nécessairement pas de dormir. Je me suis demandé pourquoi sommes-nous tant fasciné.e.s par le crime ? Évidemment, l’Internet avait la réponse pour moi !
Pourquoi ?
Plusieurs amateurs-amatrices désirent simplement résoudre un mystère. Une bonne histoire est toujours agréable à écouter. Même si elle est vraie. Même si elle est terrifiante. Il est aussi arrivé que des balados sur une affaire en cours demandent au public de s’impliquer, en fournissant des indices ou en contribuant au financement ; ce qui donne l’impression d’avoir contribué à résoudre l’enquête.
Le fait de présenter ces informations dans une belle narration, bien organisée dans un ordre moins chaotique que la réalité, aiderait aussi à développer un sentiment de résolution, particulièrement lorsque l’enquête est fermée et que le coupable a été puni. L’histoire devient une espère de conte de fées pour adulte qui permet d’apprivoiser la peur dans un environnement contrôlé. On sait que le mal existe et ces histoires nous apportent la preuve qu’il peut être combattu.
Une étude de 2010 (Vicary et Fraley) suggère que le sujet est particulièrement populaire chez les femmes en raison de notre peur d’être attaquées et notre conscience d’être trop souvent une proie de choix. Se renseigner sur une situation anticipée redonnerait un semblant de compréhension et de contrôle. Comme l’humain a tendance à partager davantage les informations qui peuvent nous garder en sécurité (Blaine & Boyer, 2018, cité dans Scrivner 2021), le témoignage d’une femme ayant échappé de justesse à un tueur en série nous semblerait donc primordial. Même chose pour une analyse en provenant du FBI. Mieux comprendre le comportement des autres aiderait à mieux s’en protéger.
Pour certaines, il est agréable de se rappeler toute la violence à laquelle on a échappé au cours de notre vie. Quand on se compare, on se console… Pour d’autres, côtoyer par la bande les pires côtés de l’humanité aiderait à sublimer les parts plus sombres de leur propre cerveau. Ce type de récit nourrirait notre curiosité malsaine de manière plus socialement acceptable. Pour d’autres, les auditrices recherchent simplement une dose d’adrénaline dans le confort de leur salon.
Enfin, les récits très binaires, avec un « bon » et un « méchant », renseigneraient sur les normes et les valeurs mises de l’avant par la société. Ces histoires nous rassuraient sur le fait d’être une « bonne » personne.
Les risques de ce type de passion
Disons-le d’emblée, écouter du « true crime » avec modération n’est pas un signe de déchéance morale. Toutefois, comme avec n’importe quoi, certaines personnes peuvent développer une obsession malsaine ou présenter des symptômes similaires à un choc post-traumatique. Il faut donc demeurer prudent.
Au niveau de la société, les spécialistes se questionnent sur les possibles impacts, bien que rien ne semble prouver ces hypothèses pour le moment.
L’accent sur les histoires les plus spectaculaires pourrait donner l’illusion que les crimes majeurs ou très violents sont plus fréquents qu’ils ne le sont en réalité, ce qui peut effrayer inutilement la population. Si cette peur est instrumentalisée pour cautionner des lois plus sévères ou un budget policier mal utilisé, les conséquences pourraient être importantes. Spécialement quand on sait qu’il existe des biais en défaveur de certaines populaires vulnérables. Il est important de se rappeler que toutes les œuvres émergent d’un point de vue éditorial. Il peut être tentant d’omettre certains éléments ou d’en exagérer d’autres.
À l’inverse, la narration simplifie la compréhension, mais peut aussi sursimplifier le réel. La croyance en un monde très binaire pourrait créer une fausse séparation entre « nous » et les « criminels ». On pourrait alors avoir tendance à sous-estimer ou sous-rapporter certains comportements (ex. : « mon collègue ne peut pas battre sa femme, c’est tellement un bon gars ! »), jugeant la personne plutôt que les comportements.
Enfin, toutes les histoires policières qui envahissent nos divertissements pourraient amener de fausses perceptions face au système de justice, autant d’un côté (penser que la technologie judiciaire permet toujours tout résoudre) que de l’autre (penser que la police et le système judiciaire sont toujours corrompus ou incompétents).
Mes suggestions « true crime » :
– Ma version des faits par Isabelle Richer (balado sur Odhio). Il y a aussi un livre, mais ce sont surtout des anecdotes et non un récit de procès comme sur le balado. La journaliste judiciaire revient sur plusieurs procès célèbres du Québec qu’elle a couverts et qui l’ont ébranlée. Le point de vue est particulièrement intéressant et modéré. J’ai appris sur plusieurs affaires que je ne connaissais pas. Avis aux cœurs sensibles, beaucoup de détails sont fournis et le deuxième cas est particulièrement intense.
– L’ombre du doute de Stéphane Berthomet (balado sur Odhio). L’ancien policier couvre deux affaires classées qui ont possiblement été couvertes à l’époque : celle d’une femme internée disparue lors d’une visite de son mari-police montée dans les années 50 et celle d’un policier « suicidé » lors d’une enquête sur le milieu criminel de Trois-Rivières dans les années 60 avant de pouvoir livrer son témoignage.
– Les tueurs du Brabant par le comédien Serge Hogogne (balado sur Odhio). Dans les années 80 en Belgique, plusieurs fusillades violentes se sont succédé sans que les coupables soient arrêtés.
– La filière de Philippe Sands (balado sur Odhio). Un juriste en droits internationaux, fils d’un juif ayant été enfermé dans un camp, a accès à des lettres envoyées par un nazi en fuite à sa femme. Lettres obtenues via un homme qui devient un ami… le fils du dit-officier. La balado ne porte pas nécessairement sur les crimes eux-mêmes, mais le sujet demeure confrontant.
– Les pires moments de l’histoire avec Charles Beauchesne (plusieurs plateformes, dont Urbania et Odhio). OK, je ne sais pas où l’on met la ligne entre crime et fait historique, mais je pense que ça compte pour du « true crime ». Balado d’humour (souvent noir) qui raconte rapidement des moments historiques où l’humanité n’a pas été à son meilleur… Je recommande l’épisode sur les allumetières, le seul qui se passe au Québec (attention les conséquences de cette négligence industrielle sont assez dégueulasses !).
American Predator, The Hunt for the Most Meticulous Serial Killer of the 21st Century par Maureen Callahan (disponible en français). La journaliste et autrice suit l’ensemble de l’enquête ayant mené à l’arrestation d’un criminel prolifique aux États-Unis entre 1996 et 2012. Elle couvre de nombreux aspects de l’affaire et l’écriture nous garde accrochés.
If You Tell de Gregg Olsen (pas de version française à ma connaissance). Dans une narration omnisciente, on suit trois sœurs (maintenant adultes) qui tentent d’échapper à une mère qui torture tous ceux qui l’entourent. En plus du fait qu’on voit rarement des femmes tortionnaires, ce livre m’a marqué, car l’histoire est tellement pire que ce à quoi je m’attendais. Googlez Michelle « Shelly » Knotek à l’avance si vous voulez savoir à quoi vous en tenir. Sinon, la narration est captivante.
La chaîne YouTube de Coffeezilla (en anglais), un gars qui couvre des fraudes financières, particulièrement sur la monnaie virtuelle.
Références :
Mon meurtre préféré : pourquoi tout le monde tripe sur le « true crime », par Mélissa Pelletier, Urbania, publié le 23 juillet 2019, https://urbania.ca/article/mon-meurtre-prefere-pourquoi-tout-le-monde-trippe-sur-le-true-crime
Pourquoi tant de femmes sont-elles passionnées d’histoire de crimes réels ? par Dominique Lévesque, Radio-Canada, publié le 8 janvier 2023, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1946307/balado-podcast-true-crime-meurtre-femmes-rodgers-charlton
Votre obsession pour le true crime pourrait nuire à votre santé mentale, par Allie Volpe, Vice, publié le 14 avril 2021, https://www.vice.com/fr/article/v7e4b9/votre-obsession-pour-le-true-crime-pourrait-nuire-a-votre-sante-mentale
Why are we so obsessed with true crime?, by Holly Spanner, for BBC Science Focus, https://www.sciencefocus.com/the-human-body/why-are-we-so-obsessed-with-true-crime
Why Do We Watch True Crime Shows? Jean Kim, psychiatre, pour Psychology Today, publié le 20 février 2023, https://www.psychologytoday.com/ca/blog/culture-shrink/202302/why-do-we-watch-true-crime-shows#:~ :text=True%20crime%20shows%20offer%20aus%20on%20Dark%20Triad%20personalities.
Why are we so obsessed with true crime? Blogue par Cara Fielder, publié le 16 février 2022 et mis à jour le 4 janvier 2023, https://www.law.ac.uk/resources/blog/why-we-love-true-crime/#:~ :text=It%20feeds%20our%20natural%20desire, humanity%20from%20a%20safe%20distance.
14 Reasons We Love True Crime, According to the Experts, par Erin McCarthy, Mental Floss, publié en 2018, mais révisé en 2023, https://www.mentalfloss.com/article/559256/why-we-love-true-crime
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